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race et lui. La différence, c'est que l'esclave jouait le plus beau rôle, et que le maître, sacrifié, se retirait bien et dûment atteint et convaincu de travers et de vices supérieurs, d'iniquité flagrante, etc., rendu même presque odieux par le châtiment dont il menace, et dont il paraît avoir déjà frappé d'autres fois l'expression des bonnes vérités qu'il subit. Ocyus hinc te

Ni rapis, accedes opera agro nona Sabino.

Tout cela, bien entendu, n'était que jeu. Suivant un de ses procédés, Horace, non pas certes par précaution oratoire, mais afin de varier les formes de la satire, endossait plaisamment, comme pour son propre compte, mainte et mainte critique à l'adresse de tel ou tel de ses contemporains. Toutefois, il en est une qui le prend bien lui-même à partie :

Romæ rus optas: absentem rusticus urbem

Tollis ad astra levis.

En d'autres termes, ce que nous avons vu dans l'épître vIII:

Romæ Tibur amem ventosus, Tibure Romam.

Mais c'était (voir page 142) dans un moment d'hypocondrie qu'il faisait à Celsus cette espèce de confession. Il ne s'agit pas d'ailleurs du Sabinum. Son état le plus constant, ainsi qu'il le déclare au villicus dont il invoque même le témoignage, Me constare mihi scis, c'était le plus vif amour pour sa

campagne.

L'épître xiv est donc à quelque égard la contre

partie, comme une petite revanche de la satire. Au maître, cette fois, le beau rôle, le rôle d'un sage ou plutôt, ainsi que dirait Montaigne, d'un homme assagi, l'esclave paraît ce qu'il a toujours été, ce qu'il ne peut cesser d'être, avec tous les goûts de sa nature dépravée, non susceptible de perfectionnement. Cette différence entre eux, Horace se garde bien de la présenter sérieusement. Fidèle à sa manière, il trace une scène comique; nous croyons assister aux doléances d'un pauvre diable, maugréant contre la campagne qui s'enlaidit pour lui du souvenir des agréments de la ville. Nous sourions, et néanmoins le plaignons un peu, tout en félicitant son maître du bonheur qu'il sait recueillir aux lieux mêmes où lui, valet, se trouve si malheureux. Bien qu'Horace ne dépeigne pas longuement ce bonheur, comme on le sent dans quelques mots significatifs, discedere tristem, etc.! dans cette expression passionnée : Istuc mens animusque Fert!... Nul autre détail de ses plaisirs champêtres que glebas et saxa moventem, et ce vers par lequel il oppose à ses anciens festins de jour et de nuit la sobriété de ses repas rustiques, la douceur rafraîchissante de ses sommeils :

(Sommeils rafraîchissants goûtés au bord des eaux)

Cœna brevis juvat, et prope rivum somnus in herba.

Vers simple et charmant qui semble vous convier à ses jouissances.

On chercherait vainement un vers analogue dans les épîtres de Boileau, et particulièrement dans celle qu'il a faite, d'après Horace, à son Jardinier.

Ce vers si bref, on aime à le compléter d'après le souvenir des odes, avec les variantes que l'âge avait apportées :

Nunc viridi membra sub arbuto

Stratus, nunc ad aquæ lene caput sacræ.... (I, 1.)

In remoto gramine, etc. (II, II, et passim.)

D'après Jean-Jacques Rousseau, dont il nous rappelle naturellement une des peintures les plus admirées, même livre de l'Émile. D'Horace aussi « la salle à manger est partout, dans le jardin, sous un arbre; quelquefois au loin, près d'une source vive, sur l'herbe verdoyante et fraîche, sous des touffes d'aunes et de coudriers; le gazon pour table» et pour lit. Pour musique, le murmure entrecoupé de l'eau courante (lympha fugax), le ramage des oiseaux dans le feuillage entrelacé; la flûte quelquefois, non plus de Bérécynthe, mais du pâtre. Au lieu d'essences assyriennes, la fraîche senteur du ruisseau, le parfum des fleurs et de la campagne. Ces mêmes fleurs servant de couronnes, aux grands jours, quand les voisins partagent le repas. Le Massique ou le Falerne remplacés par un vin peu coûteux qui se rafraîchit prætereunte lympha; auquel la soif et la bonne humeur donnent un excellent bouquet:

Vinum rure meo possum quidvis perferre patique ;

(cette eau de la Digence était si bonne qu'on pouvait à la rigueur se passer de vin). Serait-ce trop présumer d'Horace (je ne le crois pas, nonobstant un silence qui tient peut-être aux plus louables

motifs) qu'ajouter ici le trait le plus touchant de la description de Jean-Jacques? « S'il passait près de nous quelque paysan retournant au travail ses outils sur l'épaule, je lui réjouirais le cœur par quelques bons propos (non moins lenibus que le vin, oblivioso Massico), par quelques coups de bon vin, qui lui feraient porter plus gaiement sa misère; et moi j'aurais aussi le plaisir de me sentir émouvoir un peu les entrailles, et de me dire en secret: Je suis encore homme. »

Les convives goûtent ainsi le plaisir de Lucrèce, avec l'égoïsme de moins, une jouissance de plus, puisqu'ils adoucissent et consolent la misère dont la vue redouble le sentiment de leur bien-être. Je regrette de ne pas trouver au moins l'indication de ce plaisir, dans l'épître au Villicus.

Intendant de mes bois, et de cette humble terre,
Qui me rend à moi-même', et qui ne te plaît guère;
(Elle a pourtant cinq feux, et, dans les cas urgents,
Députe à Varia cinq pères, braves gens!)
Luttons à qui des deux pourra, sans moins de peine,
Moi de ronces purger mon cœur, toi mon domaine;
A qui vaudra le mieux d'Horace ou de son bien.
Ici de Lamia la douleur me retien3.

Mihi me reddentis. Ep. x, 8: Vivo et regno.

Voir aussi passim.

2 Habitatum. Ce détail et le suivant, patres, rehaussent plaisamment ce petit domaine, si dédaigné par le Villicus. - Bons pères de famille, les pères patriciens de l'endroit. · Ad Variam. Au conseil municipal de Varia, la commune dont la propriété d'Horace faisait une section.

3 Licence analogue à celles de je le voi, chèvrefeuil, dans l'épître de Boileau. Je construi, épître à Lamoignon, etc., etc.

Molière :

Je vien

De la part de monsieur Tartufe pour son bien, etc., etc.

Racine, Plaideurs, etc., etc.

Frère, privé d'un frère, il pleure, il se lamente,
Inconsolable!.... Et moi, mon âme impatiente
Se précipite et brise, en ses désirs brûlants,
L'immobile cloison qui me ferme les champs.
Là je vois le bonheur, qui pour toi n'est qu'à Rome.
Le sort d'autrui nous rit; le nôtre, il nous assomme.
Sottement on accuse un lieu qui n'en peut mais :
La faute est dans l'esprit, qui ne se fait jamais.
D'abord, humble valet, dans ton cœur en silence
Tu souhaitais des champs l'heureuse indépendance.
Un beau jour te voilà mon fermier! autres vœux.
Rien n'est beau que la ville, et ses bains, et ses jeux 2.

Vers qui rappelle l'Exstinctum Nymphæ...., le Te veniente die, te decedente canebat, un des plus expressifs de Virgile, etc., etc.; cet autre vers, qui semble comme accentué de sanglots, dans l'idylle du Jeune Malade (p. 253) :

C'est la mère, ta vieille, inconsolable mère
Qui pleure.

Ceux-ci de Boileau :

A peine ils sont assis que d'une voix dolente

Le chantre désolé lamentant son malheur....

Fratrem fratre, -rentis, -lentis. Répétition traînante et monotone des plaintes et des regrets. Nænia d'un frère sur son frère:

C'est toujours même note et pareil entretien.

Ainsi dans l'ancienne villanelle, cette poésie naïve consacrée à l'expression du deuil, etc. Voyez, de Jean Passerat, J'ai perdu ma tourterelle. Le rejet d'insolabiliter marque bien la prolongation des sanglots, l'étendue de la douleur. Contraste de ce grand mot avec fert qui part et s'élance comme un impatient coursier au commencement du vers suivant, fert et amat : c'est l'effraction de la barrière, complétée en quelque sorte par le reste du vers obstantia rumpere claustra, qui vaut bien l'essieu crie et se rompt.

Mens animusque. Mon esprit et mon cœur ; toutes mes pensées et tous mes sentiments. Le valet n'est pas moins impétueux dans ses désirs que le maître Voto ruis, 41.

:

Ludos. Ces jeux (entre autres divertissements particuliers ou publics), ces jeux dont rien que l'image charbonnée sur une muraille, etc., charmait un autre esclave d'Horace, et le retardait souvent :

Fulvi Rutubæque

Aut Placideiam contento poplite miror

Prolia, rubrica picta aut carbone; velut si

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