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amis de tout âge, auxquels il pouvait s'adresser et pour eux, et pour lui-même. Pour lui, car plus heureux que jamais, il aimait plus que jamais à parler de son bonheur. Le reflet, qu'il en voyait dans ses vers comme dans un limpide miroir, le charmait, et d'ailleurs lui paraissait propre à tenter ceux de ses amis qui ne goûtaient pas une félicité semblable. Il s'en fallait qu'ils eussent sa sagesse. Les uns, du même âge que lui, persistaient dans leurs erreurs et leurs passions. Les autres, jeunes encore, pouvaient s'engager dans cette même voie qui les aurait rendus misérables. Ce qu'Horace voulait prévenir.

Aucun autre ne possédait au même degré que lui cet avantage célébré par Cicéron, dans le Traité de la Vieillesse :

«< Illa quanti sunt, animum tanquam emeritis stipendiis libidinis (je retranche ambitionis), contentionis, inimicitiarum, cupiditatum omnium, secum esse, secumque, ut dicitur, vivere! »

« Si jeunesse savait, dit un proverbe à nous, et si vieillesse pouvait! » Eh bien! notre poëte se plaît, dans un âge voisin de la vieillesse, à communiquer aux jeunes gens le savoir qu'il doit à ses années, afin qu'ils fassent de leur pouvoir le meilleur usage.

<< Que ne puis-je vous donner mon expérience! >> écrivait madame de Maintenon. Horace entreprend de donner la sienne. Il le fait, toujours avec un attrait piquant, une grâce aimante et persuasive, qui sauve tout l'ennui du genre didactique. Ses épîtres, instructives comme des traités moraux, intéressent comme des lettres, et par cela même in

ÉTUDE SUR LES ÉPITRES D'HORACE.

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struisent davantage, insinuent mieux, enfoncent mieux le précepte.

C'est une causerie familière et séduisante, où la leçon devient un charme, presque irrésistible.

Epistolarum genera duo (dit encore Cicéron) quæ me magnopere delectant : unum familiare et jocosum, alterum severum et grave. »

Ces deux genres délicatement fondus ensemble par Horace, n'en font chez lui qu'un seul. C'est par là que ses épîtres ont obtenu si grand succès de tout temps, chez toutes les nations, principalement la nôtre. Lyrique, satirique, épistolaire, il est toujours pour nous le plus français des poëtes latins. Mais il n'a nulle part mieux pratiqué que dans les épîtres son

Scribendi recte sapere est et principium et fons.

Or, cette rectitude, cette sagesse, ce bon sens, qualités éminemment françaises!

Le genre épistolaire lui-même, n'est-il pas aussi un genre français par excellence? Ce sermo pedestris, où pouvait-il être mieux le bienvenu que chez nous, si renommés pour exceller ou avoir excellé dans la conversation, dont l'épître tient tant?

Rappelons-nous, depuis les commencements de notre littérature, ce grand nombre d'écrivains épistolaires, en vers, en prose, quelques-uns à la fois dans ces deux formes. Rappelons-nous également un genre si rapproché de celui des lettres, nos mémoires confidentiels, dont plusieurs sont des chefsd'œuvre; nos contes eux-mêmes, où si volontiers intervient comme en une épître la personne du

conteur. Et, dans nos comédies de mœurs, mainte scène ne reproduit-elle pas (quelquefois jusqu'au défaut) le langage et le ton de l'épître? de l'épître d'Horace, quand c'est Molière.

Nous devions donc, nous surtout, apprécier un écrivain tel qu'Horace, chez qui nous retrouvons tant de nos qualités morales et littéraires, entre autres, pour n'en citer, dans ce dernier ordre, qu'une seule des plus habituelles, cette netteté, vernis de nos écrivains maîtres. Nous devions, lui plus qu'un autre, le lire, le relire et l'étudier. Aussi, dès la renaissance, avons-nous fait. Nul autre poëte de l'antiquité ne s'est plus infusé dans nos veines. Nous n'avons puisé nulle part autant qu'à cette source si pure, si limpide, à cette Digence, à cette Blandusie rafraîchissante. Nul autre, pendant que les imitations de certains poëtes anciens nous égaraient, nul autre n'a peut-être plus contribué, pour le fond et pour la forme, au perfectionnement de notre littérature, dans plusieurs genres. Nul enfin n'a été plus cité, n'a plus laissé de lui dans la mémoire, même des gens du monde, qui redeviennent, a-t-on dit, latins par lui et pour lui'.

:

Disons-le c'est comme un des ancêtres de notre littérature, ainsi que nous aurons sans cesse occasion de le faire voir dans cette série d'études sur chacune de ses épîtres.

'J'ajoute ici Virgile, dont tant de vers manent alto corde reposti.

II.

ÉPITRE PREMIÈRE. A MÉCÈNE.

SI.

Horace, dans sa première épître, destinée, ce nous semble, à servir aux autres comme de préface et d'introduction, se montre sous un aspect des plus intéressants. On l'y voit sérieusement occupé du dessein de corriger ses défauts, et, quoiqu'il ne le dise pas, de perfectionner ses qualités; en un mot, de pratiquer, autant et du mieux qu'il pourra, potenter, la philosophie. Les épîtres, qui suivent celle-ci, ne la démentent point. Au contraire, elles se distinguent par une morale sage, pure, élevée, facile néanmoins et tout engageante. Cette morale, prêchée d'exemple avec une sympathie si persua sive, on sent qu'elle procure le bonheur. Elle vous convie à la suivre, pour le goûter. L'amour des richesses, maladie si commune dans tous les temps, lèpre des Romains, surtout à l'époque d'Horace (Fervet avaritia miseroque cupidine pectus? 33); l'ambition, la fausse gloire ou la vanité (Laudis amore tumes? 36); les voluptés déréglées, l'intempérance, l'inertie ou la fainéantise, la colère, l'envie (Invidus, iracundus, iners, vinosus, amator, 38); le mécontentement de soi-même et des autres, l'inconstance, l'ennui, le dégoût (passim 1re épître), telles sont, en général, les passions ou dispositions

malfaisantes trouble de l'âme et de la vie qu'Horace attaque successivement, d'une façon variée, vive, dramatique, presque toujours enjouée, pour mettre en leur place les vertus contraires, et, par suite, le repos et la tranquillité dont il jouit. Donc, composée après les autres, cette première épître si charmante les annonce et les résume, pour ainsi dire, à l'avance, ainsi que fait, dans nos cours de Facultés, la première leçon, programme des suivantes.

C'est, dans l'histoire de notre poëte, une époque remarquable que celle de la composition des épîtres. Il nous y paraît à cet âge en quelque sorte climatérique, où bien des hommes, nés avec un fond de sagesse, cherchent à régler désormais leur vie par la raison 1. Tâche ici d'autant plus facile que, grâce à l'heureuse influence du naturel et de la première éducation, cette vie, même aux jours les plus fougueux de la jeunesse, consule Planco, ne s'est jamais trop écartée de la règle.

Non lusisse pudet, sed non incidere ludum.

(Épit, 14.)

Nous voyons un des premiers génies de notre littérature, J.-J. Rousseau, après avoir, comme il dit, flotté de la sagesse à l'erreur, entreprendre, mais sans succès, au même âge qu'Horace (et peut

« La jeunesse est si aimable qu'il faudroit l'adorer, si l'âme et l'esprit étoient aussi parfaits que le corps; mais quand on n'est plus jeune, c'est alors qu'il faut se perfectionner, et tâcher de regagner, par les bonnes qualités, ce qu'on perd du côté des agréables. Il y a longtemps que j'ai fait ces réflexions, et, par cette raison, je veux tous les jours travailler à mon esprit, à mon âme, à mon cœur, à mes sentiments. » (Madame de Sévigné. Aux Rochers, 1671.)

2 Voy. les Rêveries, etc., 3° Promenade, une des plus intéressantes.

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