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anciens jours une vie si fortunée, devenue pour Horace à beaucoup d'égards une réalité, ainsi qu'elle l'aurait été, si nous en croyions les récits non moins poétiques de l'histoire, pour les Romains eux-mêmes sous un roi Sabin, le bon Numa, dont la philosophie naturelle, dans ses montagnes et sur le trône, représente en grande partie celle de notre poëte.

On sent, disais-je, dans les épîtres, ce perfectionnement, cette maturité dorée à laquelle il arriva; mais lui-même ne l'a-t-il pas comme exposée aux regards de ses lecteurs? Il est une épître, la dernière (à Florus, 11, 2), dont la fin montre ses progrès dans la sagesse. S'il a promis de s'amender, il a tenu parole. Avare ou cupide, il ne l'a jamais été; il s'est bien gardé de le devenir: ambitieux, pas davantage. Mais il n'est plus colère, plus voluptueux, etc. Cette dernière épître clôt les autres avec le même art que les ouvre la première. Nouvelle différence avec Boileau qui termine par une dissertation scolastique, sur l'amour de Dieu, tout à fait étrangère aux sujets des épîtres précédentes. Il semble qu'Horace avait le pressentiment de sa fin prochaine (noter que la mort apparaît comme à l'improviste dans cette conclusion de l'épître à Florus), et qu'il se voulait présenter une dernière fois tel qu'il était devenu, fixer son image en traits définitifs qui le recommandassent pour toujours. Alors même qu'il eût encore vécu longtemps et composé d'autres épîtres, elles pouvaient tout naturellement s'encadrer entre celle à Mécène et celle à Florus, laquelle serait toujours restée la dernière du recueil.

Un art également remarquable à signaler dans cette épître post-face, c'est la manière indirecte et fort adroite dont le poëte annonce son amélioration morale. Que d'autres embouchent, devant les dieux et devant les hommes, la trompette du charlatan ou de l'insensé ! Il procède, lui, sans orgueil et sans fracas, avec une modestie socratique, sous forme dubitative, interrogative. On le voit tel qu'un prévenu sur la sellette, interrogé par un juge, et restant silencieux, comme s'il laissait à d'autres, à ses amis, devenus en quelque sorte ses avocats (patroni) le soin de faire la réponse, unanimement favorable sur tous les points! Omne tulit punctum, etc.

Voici tout ce passage, bref résumé de la philosophie d'Horace :

Utar, et ex modico, quantum res poscet, acervo
Tollam....

Scire volam, quantum simplex hilarisque nepoti

Discrepet, et quantum discordet parcus avaro....

On reconnaît ici cette doctrine du juste-milieu, qui faisait le fond de sa morale,

Virtus est medium vitiorum et utrinque reductum.

(Ép. 18-9.)

sur laquelle il aime à revenir, qu'il tenait de son père, et qu'il avait retrouvée dans Aristote.

Les vers qui suivent le représentent jouissant pour l'esprit et pour le corps, pour la fortune et pour le rang social, de ce juste-milieu si désirable.

Pauperies immunda procul, procul absit....

(On pourrait dire de la fortune d'Horace, medio

critas, qu'elle ressemble, mais avec la constance de plus, à cette blonde maîtresse de l'ode (I, v), Simplex munditiis, aurea.

Non agimur tumidis velis Aquilone secundo;
Non tamen adversis ætatem ducimus Austris :
Viribus, ingenio, specie, virtute, loco, re,
Extremi primorum, extremis usque priores.

L'interrogatoire termine l'épître.

Non es avarus?

C'est par ce vice que commence, dans la première épître, l'énumération des maux à guérir. Ce vice, le premier, comme le chef et l'instigateur des autres vices; le vice romain par excellence; celui qu'Horace a le plus souvent et le plus énergiquement combattu.

Ambitione?

Caret tibi pectus inani

Autre infirmité romaine et contemporaine, qui vient, dans la même épître, après l'avarice ou cupidité (Laudis amore tumes?). Ici, comme pour l'avarice, chacun de prononcer l'abi. Si quelques malveillants avaient osé contester, l'accusé pouvait produire, entre autres témoins à décharge, l'empereur lui-même.

Caret mortis formidine?

Ce fantôme hideux, apparaissant aux riches dans le sein de leurs jouissances tourmentées. Horace ne manifeste nulle part dans les épîtres la crainte de la mort, quoique les années l'en eussent rapproché. Ne s'était-il pas accoutumé dès sa jeunesse

à l'envisager sans trouble (moriture), comme une déesse invitant à jouir de la vie, si courte (Festis quinquatribus, 97), et tempérant, dans l'une et l'autre fortune, malheureuse ou prospère, l'insolence ou l'abattement? Il a d'ailleurs appris à secouer toute espèce de crainte, ainsi que de violent désir. Prêt à tout, particulièrement au trépas, comme le sage de Lucrèce et de La Fontaine, il recevrait tout, sans étonnement, sans ébranlement d'esprit, æquo animo. Il semble que la mort ait voulu, par une fin subite, le récompenser de ne l'avoir point redoutée.

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La colère! un défaut natif, dont il s'est plusieurs fois accusé de bonne grâce. Nul doute qu'il n'ait fini par en triompher.

La cinquième question regarde la superstition, dominante alors à la place de la religion, qui s'effaçait chaque jour davantage. Il l'avait trop vivement attaquée dans les satires, pour y céder, au temps des épîtres. Puérile fantasmagorie, dont il se riait.

Natales grate numeras?

Oui. Rappelons-nous l'ode à Phyllis, cette petite épître si gracieuse; rappelons-nous les conseils à Tibulle, à Bullatius, etc. :

Grata superveniet quæ non sperabitur hora. (IV.)

Grata sume manu.

.... Horam (XI.)

Relativement à l'ignoscis amicis? odes, satires

(principalement la troisième du premier livre), épîtres, tout dans Horace nous atteste l'ami le plus indulgent, le plus tendre, le plus dévoué. L'âge ne faisait qu'ajouter à cette indulgence, à cette bienfaisante sollicitude. Comme le Cécube ou le Falerne, à mesure qu'ils vieillissaient, Horace allait s'améliorant par le progrès des années (lenior et melior). Elles lui rendaient avec usure, en qualités d'âme et de cœur, ce qu'elles pouvaient lui dérober du reste. Tout le contraire, au moral, du multa recedentes adimunt. Il pratiquait attentivement pour sa vie ce qu'il recommande, même épître, pour les écrits:

Luxuriantia compescet; nimis aspera sano

Lævabit cultu; virtute carentia tollet.

<< Rien si beau et légitime, dit Montaigne, que de faire bien l'homme et duement; » Horace le faisait; << ny science si ardue que de bien et naturellement sçavoir vivre cette vie. » Qui mieux qu'Horace entendait ce bien vivre? passé maître en cet art! Donc, cette espèce d'admonition qui finit l'interrogatoire, Horace depuis longtemps l'avait prévenue. Il n'avait pas besoin que d'autres lui disent assez. Son Génie, sa Muse, pour ainsi dire, l'en avait de bonne heure averti (Est mihi purgatam, etc.). Citons encore de la même épître

At qui legitimum cupiet fecisse poema,

ce poëme, sa propre vie, si bien ordonnée, surtout dans la dernière partie,

Animum censoris sumet honesti,

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