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tachement d'Horace. Horace avait donc perdu la moitié de lui-même', en un âge où de telles pertes sont irréparables. Le chagrin qu'il en ressentit précipita sa mort: touchante confirmation de la vérité de ses paroles: Ibimus, ibimus, etc., triomphe mémorable de l'amitié, mort enviable!

Il paraît que Mécène ne jouissait plus au même degré de la faveur d'Auguste, lequel cédait à d'autres influences qui devaient successivement changer la face de son règne si brillante alors et depuis qu'Horace avait, par la protection du ministre, obtenu la bienveillance et presque l'amitié de l'empereur. Supposez le poëte ayant vécu l'âge de Boileau, c'est-à-dire, dix-huit ans de plus, ou (pour aller jusqu'à la mort d'Auguste), vingt ans. Avec quelle affliction n'eût-il point vu s'effaçant d'année en année quelques traits du tableau si prospère tracé dans plusieurs de ses odes, notamment les ve et xvo du livre IV! Quel deuil dans la maison d'Auguste! Les désordres de Julie; l'empire toujours croissant de Livie, marâtre cruelle, mère ambitieuse; la mort des jeunes princes, fils adoptifs d'Auguste et son espoir; le visage du souverain s'assombrissant, après avoir tant d'années resplendi comme le printemps aux yeux du peuple enthousiaste; Horace ne vit point tout cela. Il n'eut point à souffrir d'un présent si triste, d'un avenir qui s'annonçait enveloppé de nuages sinistres (atra nube), avec cette perspective d'un Tibère qu'il

'Rappelons-nous les dernières paroles de Mécène à Auguste: Horatii Flacci, ut mei, esto memor.

avait deviné. Le soleil du Chant séculaire brillait toujours radieux sur la république, quand une mort subite termina les dernières années si paisibles, si fortunées du poëte. Ce genre de mort était précisément celui-là même que souhaitait Auguste pour lui, pour ses amis; la plus heureuse mort, après tout, pour ceux qu'elle frappe, puisqu'elle leur épargne les souffrances de la maladie, et quelquefois l'amertume des derniers moments.

La vie d'Horace était complète. Il n'avait pas besoin d'une plus longue existence pour accomplir quelque chose qu'il n'aurait point terminé.

« Je veulx, disait Montaigne, que la mort me treuve plantant mes choulx, mais nonchalant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfaict. »>

C'est peut-être là dans son jardin, près de son ruisseau, que la mort (Vacuna suprême !) trouva, nous ne dirons pas surprit Horace. Qui pouvait être plus nonchalant d'elle que le chantre du Nil admirari! que le philosophe pratique qui s'était ha

'C'est ainsi que mourut La Bruyère.

2 Ce n'est point à Paris, des suites peut-être de son ovation théâtrale, c'est à sa campagne qu'aurait dû mourir Voltaire, qui signait quelquefois dans ses dernières années, le vieux malade de Ferney; « ayant, dit-il lui-même, ayant de son lit.... devant lui, de beaux jardins, une belle campagne, un beau lac; à sa droite les montagnes du Jura; à sa gauche, les glaces éternelles des grandes Alpes.... » (Lettre à d'Argental.)

Ecoutons maintenant Ducis :

< Bon Dieu! comme je fuirais la capitale, si j'avais la centième partie de la gloire de M. de Voltaire, avec ses quatre-vingt-quatre ans ! Comme je me tiendrais sur mon pré, auprès de mon ruisseau, car j'aurais un ruisseau alors! Cette soif insatiable de gloire au bord du tombeau, cette inquiétude fiévreuse, cette complexion voltairienne, je ne comprends rien de tout cela. »

Voilà ce qu'écrivait Ducis, le 7 mars 1778. Voltaire mourait six semaines après.

bitué de bonne heure à considérer chaque soleil comme le dernier qui l'éclairât! à ne s'inquiéter jamais du lendemain1! Son œuvre, et littéraire et morale, était parfaite. Il avait opéré la réforme de ses mœurs. Il pouvait se rendre hautement le témoignage renfermé dans son épître 11, à Florus. La mort arriva donc à propos. Il était depuis longtemps chaque jour dans cet état de satisfaction qu'il décrit à Mécène :

Ille potens sui

Latusque deget, cui licet in diem
Dixisse Vixi!

Maître de lui! Mais, plus tard, qui sait? il pouvait cesser de l'être. On ne peut se résoudre à le croire, mais enfin, sa raison pouvait, sous le poids de l'âge, s'affaiblir. Et puis, les infirmités du corps! Il en fut préservé. Celles de l'esprit, elles pouvaient aussi l'atteindre. Aurait-il eu toujours la force nécessaire pour ne pas publier les débiles œuvres d'une imagination languissante, appauvrie? Vains et faibles enfants.... Il demandait, dans sa dédicace à Apollon,

Nec turpem senectam

Degere, nec cithara carentem.

Apollon l'exauça. Un beau commencement de vieillesse, et pas la caducité de l'homme et du poëte!... Les beaux jours de cristal de l'automne sans les jours de plomb qui leur succèdent!... La

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Carpe diem, quam minimum credula postero,

disait-il à Leuconoë. A Mécène :

Dona præsentis cape lætus horæ....

etc., etc.

:

cithare, jusqu'à sa dernière heure, résonnant pour lui brillante et mélodieuse! Unité complète dans son œuvre nulle disparate; rien qui puisse contrister ses admirateurs. Lac pur et limpide, sans marais nulle part, soit à l'entrée, soit à la sortie du fleuve qui se plaît à l'entretenir de ses belles eaux si paisibles! Ravissant Albano!

Donc,

Absint inani funere næniæ

Luctusque turpes et querimonia!

Il lui reste, à son dernier moment, assez de connaissance pour jeter un coup d'œil rapide et satisfait sur la carrière qu'il a si honorablement parcourue, sur la couronne d'immortalité qui l'attend à travers les âges.... Le voilà souriant à cette perspective de gloire, quand Deus interest........ ce dieu, la Mort!

Plaudite, cives 1!

'J'ai réservé pour un travail particulier, plus littéraire que moral, l'épître critique aux Pisons, et, des deux épîtres du second livre, la partie qui se rattache à l'Art Poétique. Ces épîtres, l'une surtout, excédant de beaucoup les dimensions du genre épistolaire, et traitant un sujet spécial, etc., m'ont paru devoir être examinées à part.

Avant de prendre congé d'Horace, qu'il me soit permis de lui adresser, en finissant, un vou, une prière, cette prière dantesque moins faite pour un Dante que pour un Silius Italicus, et, bien loin de ce dernier, pour un humble adorateur tel que moi :

Tu se' lo mio maestro e il mio autore....

Vagliami il lungo studio e il grande amore
Che m' han fatto cercar lo tuo volume!

FIN.

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