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VI.

ÉPITRES III, VIII, IX, XII.

SI.

Maintenant, quelles étaient les relations d'Horace avec les autres grands?

Nous venons de le voir aimé d'Auguste et tendrement chéri de Mécène : il eût suffi de ces deux circonstances pour qu'il fût avec les grands, si jaloux de plaire à l'empereur et à son ministre, plutôt sur un pied de supériorité que d'égalité. Mais Horace n'était pas homme à se homme à se prévaloir du crédit qu'il possédait : de tous ceux dont il pouvait être ou devenir le protecteur il restait l'ami, l'ami tendre et dévoué. Lors même qu'il n'eût pas joui d'une faveur si haute, à cette époque où la littérature et surtout la poésie étaient si généralement aimées et cultivées parmi les nobles, on aurait toujours mis de l'empressement à le rechercher : l'admiration produit l'attachement. Une autre circonstance lui avait donné beaucoup d'amis, son éducation à Athènes avec des jeunes gens de familles distinguées, dans cet âge d'égalité qui contracte des liaisons étroites pour le reste de la vie.

Ne voyons donc plus désormais entre Horace et ceux auxquels il adresse ses épîtres aucune distance sociale. Horace, le poëte, marche de pair avec les

hommes de la plus haute naissance. Disons plus : par la déférence et par le culte qu'ils lui témoignent, il paraît même leur supérieur; mais il n'abuse jamais de cette supériorité. Riches, nobles, puissants lui font la cour: c'est l'oracle du goût, de l'élégance, de l'urbanité, du beau littéraire et moral, arbiter elegantiarum, c'est un ami sûr et discret, du commerce à la fois le plus agréable et le plus utile. Donc, honneur et bonheur d'être son ami!

Pour ne pas sortir de notre sujet, nous ne considérerons Horace que dans ses relations avec les amis qui figurent dans les épîtres. Nous laisserons à regret ceux que nous présentent les odes et les satires, entre autres Varius et Virgile, ce Virgile, si digne de l'animæ dimidium meæ, tous deux ses introducteurs, ses répondants auprès de Mécène,

à

....

Animæ, quales neque candidiores

Terra tulit, neque queis me sit devinctior alter, (v.)

propos desquels il s'écrie:

Nil ego contulerim jucundo sanus amico.

L'amitié semble avoir été plus que l'amour ou Vénus, comme il disait, une des divinités d'Horace, une de ses Muses (Pimplei dulcis!). Elle a inspiré bon nombre de ses odes, plusieurs passages des satires, la plupart des épîtres. Ces diverses poésies, telles qu'Horace les a traitées, appartiennent au genre qu'on appelait, il n'y a pas longtemps enle genre intime, mais avec cette différence entre les autres poëtes intimes et le nôtre, que ceux-là, presque toujours renfermés en eux, ne

core,

voient guère plus loin qu'eux-mêmes, ne sentent que par eux et pour eux. Nul, mieux qu'Horace n'a su

Multiplier son être et vivre dans autrui.

Il n'est pas moins occupé des autres que de lui; et même, lorsqu'il paraît l'être de lui, c'est le plus souvent en vue des autres. S'il expose avec une sorte de complaisance ses principes et ses goûts, s'il représente volontiers sa modération, s'il célèbre tant ses jouissances, ce n'est pas en homme personnel, pour se faire honneur ou tirer vanité d'un système, d'un genre de vie tel ou tel, ou rien que pour mieux savourer ses délices par le tableau qu'il s'en offre à lui-même. Non. C'est l'amitié, jamais l'amour-propre, qui guide Horace. Il tâche d'attirer ses amis à la pratique de sa philosophie, uniquement afin de les amener au partage des biens qu'elle lui procure. Heureux, autant qu'on pouvait l'être alors, il veut faire également, et de la même façon, le bonheur de ses amis. Il les voudrait mettre à moitié de ce qu'il éprouve, mais de ses plaisirs plutôt que de ses peines, s'il en avait. Une seule chose peut altérer sa félicité la pensée que ses amis ne la possèdent pas, qu'ils vivent inquiets, tourmentés, malheureux par leur faute. Excepto quod non simul esses, cetera lætus. De là l'un des principaux attraits d'Horace. C'est par cette tendresse de cœur, par cette sollicitude à l'égard des êtres qui lui sont chers, par l'ardeur dont il travaille à les rendre heureux, qu'il s'est fait de tous ses lecteurs autant d'amis. Nous admirons le poëte; nous nous atta

:

chons à l'homme, parce qu'il a l'âme aimante; parce que, en ne s'adressant qu'à ses amis, il s'adresse en définitive à tout le monde; qu'il contribue au bien-être, au bonheur de tout le monde. Nous sommes atteints, nous aussi, de ces ambitions, de ces cupidités, de ces ennuis, de ces inquiétudes qui poursuivaient les amis d'Horace. Si, non plus que pour eux, il ne parvient pas toujours à nous en guérir, il nous soulage au moins, il nous calme dans les moments que nous passons avec lui. Il accroît, d'un autre côté, le bonheur chez ceux qui le possèdent. Tous, nous lui savons gré de ses douces et salutaires paroles, verbaque et voces, de ses baumes assoupissants ou rafraîchissants, comme si c'était pour nous que cet habile médecin de l'âme et du corps les eût composés.

Une des préoccupations habituelles d'Horace, qu'il nous a lui-même signalée, prouve, indépendamment de ses écrits, comme il entendait le sentiment de l'amitié, avec quelle délicatesse il en comprenait les obligations.

Neque enim, quum lectulus aut me

Porticus excepit, desum mihi....

Occurram....

Sic dulcis amicis

(Sat., I, IV, 133.)

Veut-on voir de l'amitié, telle qu'il la pratiquait, une peinture achevée en quelques mots? c'est au commencement de l'épître que termine ce vers : Excepto quod, etc. Il parle à l'un de ses meilleurs amis, Fuscus Aristius:

....

In re scilicet una

Multum dissimiles, ad cetera pene gemelli,

Fraternis animis: quidquid negat alter et alter';
Annuimus pariter, vetuli notique columbi. (x.)

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Par où nous différons : quasi jumeaux du reste,
Cœurs fraternels. Veux-tu, moi je veux sans conteste :
Je ne veux pas, ni toi : tous deux vieux compagnons,
Connus, pour nous aimer, comme les deux Pigeons.

On aime à trouver dans Horace le premier souvenir de cette fable orientale, devenue à jamais nôtre par le génie de La Fontaine. Croirait-on que Voltaire, dans un article sur l'amitié, oublie de la mentionner2?

Il y a lieu d'être surpris (dit-il) que si peu de poëtes et d'écrivains aient dit en faveur de l'amitié des choses qui méritent d'être retenues. Je n'en trouve ni dans Corneille, ni dans Racine, ni dans Boileau, ni dans Molière. La Fontaine est le seul poëte célèbre du siècle passé qui ait parlé de cette consolation de la vie. »

Voltaire cite alors la fin de la fable des Deux Amis, dont il critique, comme impropre, ce terme de pudeur, le seul qui pût s'employer ici. De la fable des Deux Pigeons, pas un mot, non plus que de

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Tout ce que je voulais il le voulait aussi :

Il m'ouvrait ses pensers jusqu'au fond de son âme.

C'est une bergère qui parle (Racan, Bergeries, II, 1), d'après Catulle, VIII.

2 Il y fait allusion deux ou trois fois dans ses lettres à d'Argental:

« Je mets à l'ombre de vos ailes le vieux pigeon qui grelotte à présent sans plumes. >> (1776.)

3 Il ajoute : « On sent d'ailleurs que les derniers vers sont faibles; mais il règne dans ce morceau, quoique défectueux, un sentiment tendre et agréable, un air aisé et familier, propre au style des fables. »

J'ai moi-même omis, par inadvertance, le meilleur titre de Voltaire : ce

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