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SALON DE 1767

Publié en 1798

SALON DE 1767

A MON AMI MONSIEUR GRIMM.

Ne vous attendez pas, mon ami, que je sois aussi riche, aussi varié, aussi sage, aussi fou, aussi fécond cette fois que j'ai pu l'être aux Salons précédents. Tout s'épuise. Les artistes diversifieront leurs compositions à l'infini; mais les règles de l'art, ses principes et leurs applications, resteront bornés. Peut-être avec de nouvelles connaissances acquises, d'autres secours, le choix d'une forme originale, réussirais-je à conserver le charme de l'intérêt à une matière usée: mais je n'ai rien acquis; j'ai perdu Falconet1; et la forme originale dépend d'un moment qui n'est pas venu. Supposez-moi de retour d'un voyage d'Italie, et l'imagination pleine des chefs-d'œuvre que la peinture ancienne a produits dans cette contrée. Faites que les ouvrages des écoles flamande et française me soient familiers. Obtenez des personnes opulentes, auxquelles vous destinez mes cahiers, l'ordre ou la permission de faire prendre des esquisses de tous les morceaux dont j'aurai à les entretenir; et je vous réponds d'un Salon tout nouveau. Les artistes des siècles passés mieux connus, je rapporterais la manière et le faire d'un moderne, au faire et à la manière de quelque ancien la plus analogue à la sienne; et vous auriez tout de suite une idée plus précise de la couleur, du style et du clair-obscur. S'il y avait une ordonnance, des incidents, une figure, une tête, un caractère, une expression empruntés de Raphaël, des Carraches,

1. Il venait de partir pour la Russie à la fin de décembre 1766.

du Titien, ou d'un autre, je reconnaîtrais le plagiat, et je vous le dénoncerais. Une esquisse, je ne dis pas faite avec esprit, ce qui serait mieux pourtant, mais un simple croquis, suffirait pour vous indiquer la disposition générale, les lumières, les ombres, la position des figures, leur action, les masses, les groupes, cette ligne de liaison qui serpente et enchaîne les différentes parties de la composition; vous liriez ma description, et vous auriez ce croquis sous les yeux; il m'épargnerait beaucoup de mots; et vous entendriez davantage. J'espère bien que nous retirerons des greniers de notre ami ces immenses portefeuilles d'estampes, abandonnés aux rats, et que nous les feuilleterons encore quelquefois : mais qu'est-ce qu'une estampe en comparaison d'un tableau? Connaît-on Virgile, Homère, quand on a lu Desfontaines ou Bitaubé? Pour ce voyage d'Italie si souvent projeté, il ne se fera jamais. Jamais, mon ami, nous ne nous embrasserons dans cette demeure antique, silencieuse et sacrée, où les hommes sont venus si souvent accuser leurs erreurs ou exposer leurs besoins; sous ce Panthéon, sous ces voûtes obscures où nos âmes devaient s'ouvrir sans réserve, et verser toutes ces pensées retenues, tous ces sentiments secrets, toutes ces actions dérobées, tous ces plaisirs cachés, toutes ces peines dévorées, tous ces mystères de notre vie, dont l'honnêteté scrupuleuse interdit la confidence à l'amitié même la plus intime et la moins réservée. Eh bien! mon ami, nous mourrons donc sans nous être parfaitement connus; et vous n'aurez point obtenu de moi toute la justice que vous méritiez. Consolez-vous; j'aurais été vrai, et j'y aurais peut-être autant perdu que vous y auriez gagné. Combien de côtés en moi que je craindrais de montrer tout nus! Encore une fois, consolez-vous; il est plus doux d'estimer infiniment son ami, que d'en être infiniment estimé.

Une autre raison de la pauvreté de ce Salon-ci, c'est que plusieurs artistes de réputation ne sont plus, et que d'autres dont les bonnes et les mauvaises qualités m'auraient fourni une récolte abondante d'observations, ne s'y sont pas montrés cette année. Il n'y avait rien ni de Pierre, ni de Boucher, ni de La Tour, ni de Bachelier, ni de Greuze. Ils ont dit, pour leurs raisons, qu'ils étaient las de s'exposer aux bêtes, et d'être déchirés. Quoi! monsieur Boucher, vous à qui les progrès et la durée de

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