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iraient visiter la retraite de Denis Diderot, dit le philosophe. On peut se rappeler la visite qu'il reçut du prince héréditaire de Brunswick-Wolfenbuttel; il vient d'en recevoir une pareille du prince héréditaire de Saxe-Gotha. J'avais été l'introducteur du premier de ces princes; il n'était pas possible de faire ce rôle une seconde fois sans trahir le secret qu'on voulait dérober au philosophe. Ainsi le prince héréditaire de Saxe-Gotha s'y présenta en compagnie d'un autre voyageur de Strasbourg de sa connaissance, et sous le nom de M. Ehrlich, jeune homme de Suisse. Le philosophe le reçut avec sa bonhomie ordinaire, et eut un plaisir infini à causer avec lui. Au bout de quelques jours, il trouva M. Ehrlich dans la maison de M. le baron d'Holbach, à dîner; il alla à lui les bras ouverts, l'embrassa de toutes ses forces, et lui dit : « Eh! qui vous aurait cherché dans la Synagogue?» Pendant le diner il me demanda si je connaissais ce jeune homme. Je lui dis froidement : : « Un peu. C'est, me dit-il, un enfant charmant. En vérité, continuat-il, il me vient de votre pays des jeunes gens si aimables, si instruits, si modestes et si sages qu'ils me rendent la jeunesse de ce pays-ci absolument insupportable. Ce n'est pas, ajouta-t-il, le premier ni le seul jeune homme de ce mérite et de cette modestie qui me vienne de ce pays-là, j'en ai reçu plus d'un. » Après le diner on lui apprit le véritable nom de M. Ehrlich, et le philosophe trouva que cela ne changeait en rien les sentiments qu'il avait pris pour lui. »

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SALON DE 1769

A MON AMI MONSIEUR GRIMM.

PREMIERE LETTRE.

Le pauvre Salon que nous avons eu cette année! Presque aucun morceau d'histoire, aucune grande composition, rien, mon ami, qui valût la peine d'accélérer votre retour. Ce n'est pas que nos artistes aient chômé : ils ont travaillé, et beaucoup; mais ou leurs ouvrages ont passé en pays étranger, ou ils ont été retenus dans des cabinets d'apprentis amateurs qui en sont encore à la première fureur d'une jouissance qu'ils ne veulent partager avec personne.

Vernet avait exécuté pour M. de Laborde huit grands tableaux. Par un travers de tête auquel on n'entend rien, l'homme riche, en les lui commandant, a exigé que ces tableaux, une fois placés dans sa galerie, n'en sortiraient plus. Aussi n'en sont-ils pas sortis; le de Laborde a fermé l'oreille au cri public. Que dites-vous de cet abus cruel de la nécessité où se trouve l'artiste de sacrifier la ressource de son talent ou sa gloire? Le moderne Midas, qui ne connaît que l'argent, s'est imaginé que l'argent était la portion la plus précieuse de l'honoraire d'un homme qui doit avoir l'âme grande et le caractère libéral. Que ne l'interrogeait-il? Que ne lui disait-il : « Vernet, lequel des deux préférerais-tu, ou d'avoir fait pour rien un ouvrage sublime, ou d'en avoir fait un plat qu'on t'eût payé au poids de l'or?... » Il aurait vu si l'artiste eût balancé dans

son choix.

Mais c'est ma condition.

Votre condition, monsieur de Laborde, est injuste, antipatriotique et malhonnête. Vous auriez mérité que l'artiste vous en eût donné pour votre argent. De quel front auriez-vous exigé qu'il retrouvât un talent que vous priviez de l'aiguillon le plus puissant? Croyez-vous qu'il n'y ait aucune différence entre l'homme qui travaille pour un peuple immense qui doit le juger, et l'homme qui travaille pour un petit particulier qui condamne ses productions à n'arrêter que deux yeux stupides?... Mais, mon ami, pesez les suites de cet exemple bizarre, s'il était fait pour avoir des imitateurs.

Plus de Salon, plus de modèles pour les élèves, plus de comparaison d'un faire à un autre; ces enfants n'entendront plus ni le jugement des maîtres, ni la critique des amateurs et des gens de lettres, ni la voix de ce public qu'ils auront un jour à satisfaire.

Le sot homme, le vil personnage que celui qui envie à la jeunesse son instruction, à toute une nation son amusement! Mais il y a pis.

Je ne sais comment cela se fait, mais il est rare que la foule se forme devant une composition médiocre, presque aussi rare qu'à notre folle jeunesse de s'attrouper aux Tuileries autour d'une femme laide. Elle a un instinct qui la guide.

Plus de Salon; et le peuple, privé d'un spectacle annuel où il venait pèrfectionner son goût, en restera où il en est. Or, vous savez mieux que moi quelle est l'influence du goût national sur le progrès de l'art. L'art reste misérable chez un peuple imbécile. Il marche avec rapidité chez un peuple instruit. Et pourquoi, chez le peuple imbécile, l'artiste s'épuiserait-il de fatigue et d'étude pour des applaudissements qu'il peut obtenir à moins de frais? Il se dira : « Je réussis, cela me suffit. »

Plus de Salon, plus de concurrence entre les maîtres, plus de cette rivalité qui produit de si grands efforts, plus de cette frayeur du blâme public. Si l'artiste parvient à tromper le particulier ignorant qui l'emploie, son affaire est faite.

J'ai vu, grâce à M. de Laborde, le moment où, faute de tableaux, nous n'aurions point d'exposition cette année.

A la place du ministre, j'aurais pensé que le soutien des arts en France tenait à la durée de cette institution; j'aurais pensé que son extinction en avancerait la décadence de cent

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