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de Broussais. Cet antagonisme tient à l'essence même des choses: un fait se présente toujours de deux façons, par ses apparences extérieures et particulières, et par ses causes plus profondes et plus générales; l'esprit, suivant qu'il a plus d'aptitude ou plus de préparation, saisit soit surtout l'une, soit surtout l'autre de ces deux faces, soit toutes les deux ensemble.

Il ne serait pas malaisé, en prenant quelques-uns des ouvrages les plus saillants de notre époque, de démontrer qu'en ce moment, contrairement à l'assertion un peu trop absolue de M. Chauffard, il n'y a pas, même à Montpellier, un médecin sérieux, si ami des généralités, qu'il ne tienne grand compte de l'état local lorsqu'il se trouve auprès du lit d'un malade, ni, même à Paris, un médecin si aveuglément attaché aux unités morbides, qu'il ne se laisse guider dans le traitement non-seulement par la considération de l'état général, mais aussi par certaines notions sur la nature intime des maladies. Ces associations d'idées se font aujourd'hui à notre insu, lors même que les nécessités urgentes de la pratique laissent trop peu de temps ou trop peu de place pour qu'une théorie arrêtée et réfléchie puisse intervenir; ce n'est donc guère qu'une question de plus ou de moins qui reste à débattre, soit avec M. Chauffard, soit entre Paris et Montpellier; cependant il vaut la peine, sous d'autres rapports, d'y regarder d'un peu près, afin de déterminer quelques-uns des points présentement en litige.

Comme la médecine n'est plus un mystère et que les médecins sont devenus gens du monde, il n'est pas mauvais que les personnes éclairées sachent où nous en sommes, et surtout où l'on voudrait nous conduire.

Parmi les médecins qui mettent le général au-dessus du particulier, l'organisme au-dessus des organes, on peut remarquer deux tendances fort différentes, et dont l'une est à mon avis aussi dangereuse que l'autre est profitable les uns cherchent les généralités dans l'étude de la médecine elle-même, c'est-à-dire dans l'étude de l'homme sain ou malade; tranchons le mot, dans la contemplation de la matière vivante à l'état physiologique et à l'état pathologique. Les autres, dépassant de beaucoup le cadre de la médecine proprement dite, vont chercher le point de départ et le contrôle de leurs doctrines biologiques dans les plus hautes régions de la métaphysique ou même de la théologie. J'appellerais les premiers des positivistes (je n'ai pas d'autre mot au bout de ma plume et je le prends dans son sens général, mais non pas dans celui de la philosophie de M. Comte), et les seconds des mystiques. Je trouve que les premiers sont dans le vrai, et je pense que les seconds sont dans l'erreur en déplaçant les questions et en empiétant d'une science sur une autre; rien ne discrédite et n'affaiblit autant les principes que d'en étendre les applications au delà des limites naturelles qu'ils comportent.

J'ai fait deux parts entre les livres qui m'ont fourni

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le sujet de ces réffexions les livres de médecine positive et les livres de médecine mystique. Je veux d'abord parler de ces derniers, et j'espère ne scandaliser personne en marquant mon désaccord sur une question purement scientifique ; je n'aime les professions de foi ni d'un côté ni d'un autre; toutefois, je ne rougirais pas de faire la mienne comme homme, si cela était nécessaire; je ne rougirai pas davantage de la faire aujourd'hui comme médecin.

Je ne crois pas plus à une médecine métaphysique ou catholique qu'à une chimie ou à une physique qui aurait la prétention de se fonder sur les dialogues de Platon ou sur les thèses de saint Thomas; je sais tout ce que valent les doctrines spiritualistes et les doctrines chrétiennes; je sais à quoi elles servent pour l'éducation morale et religieuse de l'homme; mais je n'ai jamais compris qu'on voulût les faire intervenir en une science qui a le corps pour objet, et qui, après tout, est essentiellement la même pour les animaux et pour l'homme. L'histoire dépose encore en ma faveur; et, pour ne citer qu'un nom, le plus illustre entre tous, Hippocrate n'a jamais été que le disciple de la nature. Dans les écrits qu'on peut légitimement lui rapporter, il n'est jamais sorti, pour trouver la méthode et créer les théories, du cercle de la médecine. Cette même histoire prouverait, au besoin,

1. Sauf peut-être en un seul passage du Pronostic; encore ce passage est-il sujet à discussion et à diverses interprétations.

que la médecine s'est en général fort mal trouvée du commerce trop étroit qu'elle a voulu parfois lier avec la philosophie ou avec la théologie; elle doit ses plus mauvais jours à cette union mal assortie.

Je ne voudrais pas trop contrister M. Chauffard, à qui personne plus que moi n'aime à rendre entière justice pour l'élevation de son caractère et l'étendue de son savoir; mais je suis bien obligé de lui dire qu'il m'est impossible de partager sa manière de voir sur la constitution de la méthode en médecine. Il est clair que ce ne sont ni les yeux, ni les oreilles, ni les mains qui élèvent les faits à la dignité de science; il est certain que les sciences sont créées par l'entendement qui trouve les lois, découvre les vérités fondamentales et distingue le contingent du nécessaire. Jusque-là tout va bien, car c'est presque une question de logique; mais pourquoi faire intervenir dans la physiologie générale les éternelles disputes du sensualisme et du matérialisme? Un médecin n'est ni plus ni moins sensualiste ou spiritualiste qu'un chimiste, un physicien, un astronome ou un zoologiste. S'il s'agissait de psychologie, oh! alors, je ne laisserais à personne le droit de se dire plus spiritualiste que moi; mais puisqu'il s'agit de médecine, je dois songer aux théories physiologiques bien plus qu'aux systèmes de psychologie; si dans la pratique de la médecine humaine je rencontre le difficile problème des rapports du moral et du physique, j'en tiens scrupuleu

sement compte, soit dans l'appréciation des symptômes, soit dans la direction du traitement, soit même comme cause éloignée de certaines manifestations morbides. Quelle que soit l'opinion sur la nature de ces rapports, à cela doit se borner le rôle de la psychologie dans la médecine; elle y intervient comme un accident et non comme un élément constitutif de la science, ou comme pouvant servir à l'explication de l'origine première et de la nature intime des maladies.

Mon savant confrère, M. Chauffard, fait une charge vigoureuse contre la philosophie dite positive. Eh bien! je lui adresserai juste le reproche qu'il dirige contre cette philosophie. M. Comte a, suivant moi, commis une faute en transportant son système du domaine des sciences physiques, naturelles et historiques sur celui de la psychologie, de la métaphysique, de la morale et de la religion; il a très-souvent raison pour les sciences; il a presque toujours tort pour le reste; de même M. Chauffard ne me paraît pas dans le vrai quand il emprunte à la métaphysique des règles de jugement pour la médecine; c'est se servir pour une opération d'un instrument qui n'y est pas propre. Ceux-là même qui font consister toute la médecine dans les phénomènes sont bien obligés, à peine de nullité, de rechercher les rapports de cause à effet et de féconder l'expérience par le raisonnement; mais les matérialistes qui nient le principe spirituel se servent de l'induction et de la déduction tout aussi bien que

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