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paroles pour lui dire cela! Ah! vous ne savez pas, vous, combien l'amour qui a des torts à se reprocher est un amour profond, exclusif et désespéré! Le jour où vous vous êtes dévoué pour moi, le jour où je vous ai vu mener à la Tour, le jour où j'ai entendu prononcer l'arrêt de votre mort qui était aussi l'arrêt de la mienne... mais à quoi bon les rappeler l'un après l'autre ? tous les jours, tous les jours, sans en excepter un, j'ai été pleine de vous, pleine d'amour, pleine de remords, pleine d'inexprimable douleur! La nuit je me relevais. J'appuyais ma tête contre le mur et je pensais à vous. J'étais toute la journée au pied de la Tour avec cette seule idée, la fuite, l'évasion, la vie, Gilbert! Il y avait des moments où je devais faire à ceux qui me voyaient l'effet d'une statue. Quelquefois les passants voulaient m'emmener parce qu'il pleuvait. - Oh! Gilbert, je t'aime, vois-tu. Je te trouve beau, tu es si noble. Tous les hommes ne sont rien devant toi, tu ne te doutes pas de cela, toi. Mon Dieu! que je t'aime! Tu ne me crois peut-être pas. Je t'ai trompé une fois. Je t'ai tant offensé. C'est pourtant bien sincère ce que je te dis. Oh! réponds! est-ce que tu me crois encore un peu? Oh! des paroles, des paroles, cela n'est rien, Gilbert, je voudrais qu'on pût s'ouvrir une porte sur le cœur et dire à l'homme qu'on aime Regarde! Il y aurait tant de choses à te dire dans ma position, que je sens et que je ne puis exprimer. Il n'y a pas moyen de te faire comprendre à quel point tu es tout pour moi, à quel point je suis confuse, repentante et à genoux devant toi! Je voudrais que le son de ma voix fût une caresse qui te rendît heureux. Oh! tu ne mourras pas! nous nous sauverons ensemble! tu es à moi! nous nous aimons! Qui m'eût dit cela ce matin? Quel changement! Mon Dieu! je suis folle, n'est-ce pas ? Gilbert, je me méprise et je me hais tant, qu'il me semble impossible que tu m'estimes et que tu m'aimes. Tu ne sais pas comme j'ai été malheureuse! Donne-moi ta main. Je t'aime je

t'aime! Regarde mes yeux, ils disent que je t'aime. Regarde mes larmes, elles disent que je suis heureuse! - Oh! encourage-moi à te parler ainsi. C'est mon cœur qui s'ouvre. le cœur de la pauvre fille perdue. J'avais des ailes comme toi autrefois. Je n'en ai plus. Comment se fait-il que tu veuilles encore de moi? Comment se fait-il que tu tiennes encore à mon amour? Est-ce que c'est vrai que tu y tiens, dis? Ce n'est pas par pitié seulement que tu dis cela? Bien sûr, tu m'aimes? Tu m'aimes! Dieu m'est témoin que tu me remplis le cœur de joie. Tu viens du ciel, Gilbert!

GILBERT.

O Jane! il n'y a rien à répondre après de telles paroles, dites comme tu les dis! Le cœur se fond. C'est à croire qu'on va mourir de ravissement. Oh! que m'importe le passé! Qui est-ce qui résisterait à ta voix? qui est-ce qui ferait autrement que moi? Oh oui! je te pardonne bien tout, mon enfant bien-aimé!

GILBERT.

Il va à la fenêtre et regarde.

Le bateau n'est pas là !

JANE.

L'homme qui doit le procurer a demandé une heure, tu sais ?

GILBERT.

Oh! cette heure est faite avec des années et non avec des minutes! Je voudrais être dehors! Je dis que je voudrais être dehors! Je ne veux plus mourir maintenant. Ces gens qui préparent un échafaud quelque part me font frissonner. Tu m'as rendu lâche en me disant que tu m'aimes.

JANE,

Gilbert! je mourrais si tu mourais.

NOTE III.

LES REPRÉSENTATIONS.

Marie Tudor a été représentée pour la première fois sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin, M. Harel, directeur, le 6 novembre 1833.

Le drame a été repris au même théâtre, sous la direction de MM. Ritt et Larochelle, le 27 septembre 1873.

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NOTES

D'ANGELO

1835

La loi d'optique du théâtre, qui oblige souvent à ne présenter que des raccourcis, surtout vers les dénoûments, exige impérieusement que le rideau tombe au mot: Par moi, pour toi! La vraie fin de la pièce n'est pourtant pas là, comme on peut s'en convaincre en lisant. Il est évident aussi que lorsque Angelo Malipieri, à la première scène de la troisième journée, explique aux prêtres le blason des Bragadini, il devrait dire : la croix de gueules et non la croix rouge. Espérons qu'un jour un seigneur vénitien pourra dire tout bonnement sans péril son blason sur le théâtre. C'est un progrès qui viendra. A l'heure qu'il est, il n'est guère permis à un gentilhomme de se targuer sur le théâtre d'autre chose que d'un champ d'azur. Sinople ne serait pas compris, gueules ferait rire, azur est charmant.

Pour tout ce qui regarde la mise en scène, MM. les directeurs de province ne peuvent mieux faire que de se modeler sur le Théâtre-Français, où la pièce a été montée avec un soin extrême.

Ajoutons que la pièce est jouée, dans ses moindres détails, avec un ensemble et une dignité qui rappellent les plus belles époques de la vieille Comédie-Française. M. Provost a reproduit avec une fermeté sculpturale le profil sombre et mystérieux d'Homodei. M. Geffroy réalise avec un talent plein de nerf et de chaleur ce Rodolfo mélancolique et violent, passionné et fatal, frappé comme homme par l'amour, comme prince par l'exil. M. Beauvallet, qui peut mettre une belle voix au service d'une belle intelligence, a posé puissamment la figure haute et sévère de cet Angelo, tyran de la ville, maître de la maison. La création de ce rôle place pour tout le monde M. Beauvallet au rang des meilleurs acteurs qu'il y ait au théâtre en ce moment. Quant à mademoiselle Mars, si charmante, si spirituelle, si pathétique, si profonde par éclairs, si parfaite toujours, quant à madame Dorval, si vraie, si gracieuse, si pénétrante, si poignante, que pourrions-nous dire après ce que dit, au milieu des bravos, des acclamations, des applaudissements et des larmes, cette foule immense et émerveillée qu'éblouit chaque soir le choc étincelant des deux sublimes actrices?

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