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quand besoin serait, de n'avoir pour ennemis, moi, que les tiens, toi, que les miens. Un astrologue nous a prédit que nous mourrions le même jour, et nous lui avons donné dix sequins d'or pour la prédiction. Nous ne sommes pas amis, nous sommes frères. Mais, enfin, tu as le bonheur de t'appeler simplement Gennaro, de ne tenir à personne, de ne traîner après toi aucune de ces fatalités, souvent héréditaires, qui s'attachent aux noms historiques. Tu es heureux! Que t'importe ce qui se passe et ce qui s'est passé, pourvu qu'il y ait toujours des hommes pour la guerre et des femmes pour le plaisir? Que te fait l'histoire des familles et des villes, à toi, enfant du drapeau, qui n'as ni ville ni famille? Nous, vois-tu, Gennaro? c'est différent. Nous avons droit de prendre intérêt aux catastrophes de notre temps. Nos pères et nos mères ont été mêlés à ces tragédies, et presque toutes nos familles saignent encore. - Dis-nous ce que tu sais, Jeppo.

GENNARO.

Il se jette dans un fauteuil, dans l'attitude de quelqu'un qui va dormir.

Vous me réveillerez quand Jeppo aura fini.

JEPPO.

Voici. C'est en quatorze cent quatreyingt...

GUBETTA, dans un coin du théâtre.

Quatrevingt-dix-sept.

JEPPO.

C'est juste. Quatre vingt-dix-sept. Dans une certaine

nuit d'un mercredi à un jeudi...

GUBETTA.

Non. D'un mardi à un mercredi.

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JEPPO.

Vous avez raison. Cette nuit donc, un batelier du Tibre, qui s'était couché dans son bateau, le long du bord, pour garder ses marchandises, vit quelque chose d'effrayant. C'était un peu au-dessous de l'église SantoHieronimo. Il pouvait être cinq heures après minuit. Le batelier vit venir dans l'obscurité, par le chemin qui est à gauche de l'église, deux hommes qui allaient à pied, de çà, de là, comme inquiets; après quoi il en parut deux autres, et enfin trois; en tout, sept. Un seul était à cheval. Il faisait nuit assez noire. Dans toutes les maisons qui regardent le Tibre, il n'y avait plus qu'une seule fenêtre éclairée. Les sept hommes s'approchèrent du bord de l'eau. Celui qui était monté tourna la croupe de son cheval du côté du Tibre, et alors le batelier vit distinctement sur cette croupe des jambes qui pendaient d'un côté, une tête et des bras de l'autre, le cadavre d'un homme. Pendant que leurs camarades guettaient les angles des rues, deux de ceux qui étaient à pied prirent le corps mort, le balancèrent deux ou trois fois avec force, et le lancèrent au milieu du Tibre. Au moment où le cadavre frappa l'eau, celui qui était à cheval fit une question à laquelle les deux autres répondirent: Oui, monseigneur. Alors le cavalier se retourna vers le Tibre, et vit quelque chose de noir qui flottait sur l'eau. Il demanda ce que c'était. On lui répondit Monseigneur, c'est le manteau de monseigneur

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qui est mort. Et quelqu'un de la troupe jeta des pierres à ce manteau, ce qui le fit enfoncer. Ceci fait, ils s'en allèrent tous de compagnie, et prirent le chemin qui mène à Saint-Jacques. Voilà ce que vit le batelier.

MAFFIO.

Une lugubre aventure. Était-ce quelqu'un de considérable que ces hommes jetaient ainsi à l'eau? Ce cheval me fait un effet étrange; l'assassin en selle, et le mort en croupe.

GUBETTA.

Sur ce cheval il y avait les deux frères.

JEPPO.

Vous l'avez dit, monsieur de Belverana. Le cadavre, c'était Jean Borgia; le cavalier, c'était César Borgia.

MAFFIO.

Famille de démons que ces Borgia! Et dites, Jeppo, pourquoi le frère tuait-il ainsi le frère?

ЈЕРРО.

Je ne vous le dirai pas. La cause du meurtre est tellement abominable, que ce doit être un péché mortel d'en parler seulement.

GUBETTA.

Je vous le dirai, moi. César, cardinal de Valence, a tué Jean, duc de Gandia, parce que les deux frères aimaient la même femme.

MAFFIO.

Et qui était cette femme?

GUBETTA, toujours au fond du théâtre.

Leur sœur.

JEPPO.

Assez, monsieur de Belverana. Ne prononcez pas devant nous le nom de cette femme monstrueuse. Il n'est pas une de nos familles à laquelle elle n'ait fait quelque plaie profonde.

MAFFIO.

N'y avait-il pas aussi un enfant mêlé à tout cela?

JEPPO.

Oui, un enfant dont je ne veux nommer que le père, qui était Jean Borgia.

MAFFIO.

Cet enfant serait un homme maintenant.

Il a disparu.

OLOFERNO.

JEPPO.

Est-ce César Borgia qui a réussi à le soustraire à la mère? Est-ce la mère qui a réussi à le soustraire à César Borgia? On ne sait.

DON APOSTOLO.

Si c'est la mère qui cache son fils, elle fait bien. Depuis que César Borgia, cardinal de Valence, est devenu duc de Valentinois, il a fait mourir, comme vous savez, sans compter son frère Jean, ses deux neveux, les fils de Guifry Borgia, prince de Squillacci, et son cousin, le cardinal François Borgia. Cet homme a la rage de tuer ses parents.

ЈЕРРО.

Pardieu! il veut être le seul Borgia, et avoir tous

les biens du pape.

ASCANIO.

La sœur que vous ne voulez pas nommer, Jeppo, ne tit-elle pas à la même époque une cavalcade secrète au monastère de Saint-Sixte pour s'y renfermer, sans qu'on sût pourquoi?

JEPPO.

Je crois que oui. C'était pour se séparer du seigneur Jean Sforza, son deuxième mari.

MAFFIO.

Et comment se nommait ce batelier qui a tout vu?

Je ne sais pas.

ЈЕРРО.

GUBETTA.

Il se nommait Giorgio Schiavone, et avait pour industrie de mener du bois par le Tibre à Ripetta.

MAFFIO, bas à Ascanio.

Voilà un espagnol qui en sait plus long sur nos affaires que nous autres romains.

ASCANIO, bas.

Je me défie comme toi de ce monsieur de Belverana. Mais n'approfondissons pas ceci. Il y a peut-être une chose dangereuse là-dessous.

ЈЕРРО.

Ah! messieurs, messieurs! dans quel temps sommes

DRAME. - III.

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