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ACTE TROISIÈME

IVRES MORTS

Une salle magnifique du palais Negroni. A droite, une porte båtarte. Au fond, une grande et très large porte à deux battants. Au milieu, une table superbement servie à la mode du seizième siècle. De petits pages noirs, vêtus de brocart d'or, circulent à l'entour.

Au moment où la toile se lève, il y a quatorze convives à table, Jeppo, Maffio, Ascanio, Oloferno, Apostolo, Gennaro et Gubetta, et sept jeunes femmes, jolies et très galamment parées. Tous boivent ou mangent, ou rient à gorge déployée avec leurs voisines, excepté Gennaro qui paraît pensif et silencieux.

SCÈNE PREMIÈRE.

JEPPO, MAFFIO, ASCANIO, OLOFERNO, DON APOSTOLO, GUBETTA, GENNARO, DES FEMMES,

DES PAGES.

OLOFERNO, son verre à la main.

Vive le vin de Xerès! Xerès de la Frontera est une

ville du paradis.

MAFFIO, son verre à la main.

Le vin que nous buvons vaut mieux que les histoires que vous nous contez, Jeppo.

ASCANIO.

Jeppo a la maladie de conter des histoires quand il a bu.

DON APOSTOLO.

L'autre jour c'était à Venise, chez le sérénissime doge Barbarigo; aujourd'hui, c'est à Ferrare, chez la divine princesse Negroni.

JEPPO.

L'autre jour c'était une histoire lugubre; aujourd'hui c'est une histoire gaie.

MAFFIO.

Une histoire gaie, Jeppo! Comment il advint que don Siliceo, beau cavalier de trente ans, qui avait perdu son patrimoine au jeu, épousa la très riche marquise Calpurnia, qui comptait quarante-huit printemps. Par le corps de Bacchus! vous trouvez cela gai!

GUBETTA.

C'est triste et commun. Un homme ruiné qui épouse une femme en ruine. Chose qui se voit tous les jours.

11 se met à manger. De temps en temps, quelques-uns se lèvent de table et viennent causer sur le devant de la scène pendant que l'orgie continue.

LA PRINCESSE NEGRONI, à Maffio, montrant Gennaro. Monsieur le comte Orsini, vous avez là un ami qui me paraît bien triste.

MAFFIO.

Il est toujours ainsi, madame. Il faut que vous me pardonniez de l'avoir amené sans que vous lui eussiez fait la grâce de l'inviter. C'est mon frère d'armes. Il

m'a sauvé la vie à l'assaut de Rimini. J'ai reçu à l'attaque du pont de Vicence un coup d'épée qui lui était destiné. Nous ne nous séparons jamais. Nous vivons ensemble. Un bohémien nous a prédit que nous mourrions le même jour.

LA NEGRONI, riant.

Vous a-t-il dit si ce serait le soir ou le matin ?

MAFFIO.

Il nous a dit que ce serait le matin.

LA NEGRONI, riant plus fort.

Votre bohémien ne savait ce qu'il disait. - Et vous aimez bien ce jeune homme?

MAFFIO.

Autant qu'un homme peut en aimer un autre.

LA NEGRONI.

Eh bien! vous vous suffisez l'un à l'autre. Vous êtes heureux!

MAFFIO.

L'amitié ne remplit pas tout le cœur, madame.

LA NEGRONI.

Mon Dieu! qu'est-ce qui remplit tout le cœur?

L'amour.

MAFFIO.

LA NEGRONI.

Vous avez toujours l'amour à la bouche.

MAFFIO.

Et vous dans les yeux.

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Vos affaires sont en bon train près de la princesse.

MAFFIO.

Elle me dit toujours non.

GUBETTA.

Dans la bouche d'une femme Non n'est que le frère aîné de Oui.

JEPPO, survenant, à Maffio.

Comment trouves-tu madame la princesse Negroni?

MAFFIO.

Adorable. Entre nous, elle commence à m'égratigner furieusement le cœur.

Et son souper?

JEPPO.

Une orgie parfaite.

MAFFIO.

JEPPO.

La princesse est veuve.

MAFFIO.

On le voit bien à sa gaîté!

JEPPO.

J'espère que tu ne te défies plus de son souper?

MAFFIO.

Moi! Comment donc! J'étais fou.

JEPPO, à Gubetta.

Monsieur de Belverana, vous ne croiriez pas que Maffio avait peur de venir souper chez la princesse?

GUBETTA.

Peur? Pourquoi?

JEPPO.

Parce que le palais Negroni touche au palais Borgia.

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Ce que j'aime dans ce Belverana, c'est qu'il n'aime pas les Borgia.

MAFFIO, bas.

En effet, il ne manque jamais une occasion de les envoyer au diable avec une grâce toute particulière. Cependant, mon cher Jeppo...

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