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le travail, font sentir une joie plus pure que la musique la plus charmante.

Les plaisirs simples sont moins vifs et moins sensibles, il est vrai : les autres enlevent l'arne en remuant les ressorts des passions. Mais les plaisirs simples sont d'un meilleur usage; ils donnent une joie égale et durable sans aucune suite maligne. Ils sont toujours bienfaisants, au lieu que les autres plaisirs sont comme les vins frelatés, qui plaisent d'abord plus que les naturels, mais qui alterent, et qui nuisent à la santé. Le tempérament de l'ame se gâte, aussi-bien que le goût, par la recherche de ces plaisirs vifs et piquants. Tout ce qu'on peut faire pour les enfants qu'on gouverne, c'est de les accoutumer à cette vie simple, d'en fortifier en eux l'habitude le plus long-temps qu'on peut, de les prévenir de la crainte des inconvénients attachés aux autres plaisirs, et de ne les point abandonner à eux-mêmes, comme on fait d'ordinaire, dans l'âge où les passions commencent à se faire sentir, et où par conséquent ils ont plus besoin d'être retenus.

Il faut avouer que de toutes les peines de l'éducation, aucune n'est comparable à celle d'élever des enfants qui manquent de sensibilité. Les naturels vifs et sensibles sont capables de terribles égarements; les passions et la présomption les entraînent : mais aussi

ils ont de grandes ressources, et reviennent souvent de loin; l'instruction est en eux un germe caché qui pousse et qui fructifie quelquefois quand l'expérience vient au secours de la raison, et que les passions s'attiédissent: au moins on sait par où on peut les rendre attentifs, et réveiller leur curiosité; on a en eux de quoi les intéresser à ce qu'on leur enseigne, et les piquer d'honneur, au lieu qu'on n'a aucune prise sur les naturels indolents. Toutes les pensées de ceux-ci sont des distractions, ils ne sont jamais oùr ils doivent être; on ne peut même les toucher jusqu'au vif par les corrections; ils écoutent tout, et ne sentent rien. Cette indolence rend l'enfant négligent, et dégoûté de tout ce qu'il fait. C'est alors que la meil leure éducation court risque d'échouer, si on ne se hâte d'aller au-devant du mal dès la premiere enfance. Beaucoup de gens qui n'approfondissent guere concluent de ce mauvais succès, que c'est la nature qui fait tout pour former des hommes de mérite, et que l'éducation n'y peut rien : au lieu qu'il faudroit seulement conclure qu'il y a des naturels semblables aux terres ingrates, sur qui la culture fait peu. C'est encore bien pis, quand ces éducations si difficiles sont traversées, ou négligées, ou mal réglées dans leur commencement.

Il faut encore observer qu'il y a des naturels d'en

fants auxquels on se trompe beaucoup. Ils paroissent d'abord jolis, parceque les premieres graces de l'enfance ont un lustre qui couvre tout: on y voit je ne sais quoi de tendre et d'aimable qui empêche d'examiner de près le détail des traits du visage. Tout ce qu'on trouve d'esprit en eux surprend, parcequ'on n'en attend point de cet âge; toutes les fautes de jugement leur sont permises, et ont la grace de l'ingénuité; on prend une certaine vivacité du corps, qui ne manque jamais de paroître dans les enfants, pour celle de l'esprit. De là vient que l'enfance semble promettre tant, et qu'elle donne si peu : tel a été célebre par son esprit à l'âge de cinq ans, et qui est tombé dans l'obscurité et dans le mépris à mesure qu'on l'a vu croître. De toutes les qualités qu'on voit dans les enfants, il n'y en a qu'une sur laquelle on puisse compter, c'est le bon raisonnement; il croît toujours avec eux, pourvu qu'il soit bien cultivé: les graces de l'enfance s'effacent; la vivacité s'éteint; la tendresse de cœur se perd même souvent, parceque les passions et le commerce des hommes politiques endurcissent insensiblement les jeunes gens qui entrent dans le monde. Tâchez donc de découvrir, au travers des graces de l'enfance, si le naturel que vous avez à gouverner manque de curiosité, et s'il est peu sensible à une honnête émulation. En ce cas, il est

difficile que toutes les personnes chargées de son éducation ne se rebutent bientôt dans un travail si ingrat et si épineux. Il faut donc remuer promptement tous les ressorts de l'ame de l'enfant pour le tirer de cet assoupissement. Si vous prévoyez cet inconvénient, ne pressez pas d'abord les instructions suivies; gardez-vous bien de charger sa mémoire, car c'est ce qui étonne et qui appesantit le cerveau; ne le fatiguez point par des regles gênantes; égayez-le, puisqu'il tombe dans l'extrémité contraire à la présomption; ne craignez point de lui montrer avec discrétion de quoi il est capable; contentez-vous de peu; faites-lui remarquer ses moindres succès; représentez-lui combien mal-à-propos il a craint de ne pouvoir réussir dans des choses qu'il fait bien; mettez en œuvre l'émulation. La jalousie est plus violente dans les enfants qu'on ne sauroit se l'imaginer; on en voit quelquefois qui sechent et qui dépérissent d'une langueur secrete, parceque d'autres sont plus aimés et plus caressés qu'eux. C'est une cruauté trop ordinaire aux meres, que de leur faire souffrir ce tourment; mais il faut savoir employer ce remede dans les besoins pressants contre l'indolence: mettez devant l'enfant que vous élevez d'autres enfants qui ne fassent guere mieux que lui; des exemples disproportionnés à sa foiblesse acheveroient de le décous rager.

vez,

Donnez-lui de temps en temps de petites victoires sur ceux dont il est jaloux; engagez-le, si vous le pouà rire librement avec vous de sa timidité; faites lui voir des gens timides comme lui, qui surmontent enfin leur tempérament; apprenez-lui par des instructions indirectes, à l'occasion d'autrui, que la timidité et la paresse étouffent l'esprit; que les gens mous et inappliqués, quelque génie qu'ils aient, se rendent imbécilles, et se dégradent eux-mêmes: mais gardez-vous bien de lui donner ces instructions d'un ton austere et impatient, car rien ne renfonce tant au-dedans de lui-même un enfant mou et timide, que la rudesse; au contraire redoublez vos soins pour assaisonner de facilité et de plaisirs proportionnés à son naturel le travail que vous ne pouvez lui épar gner; peut-être faudra-t-il même de temps en temps. le piquer par le mépris et par les reproches. Vous ne devez pas le faire vous-même; il faut qu'une personne inférieure, comme un autre enfant, le fasse, sans que vous paroissiez le savoir.

Saint Augustin raconte qu'un reproche fait à sainte Monique sa mere, dans son enfance, par une servante, la toucha jusqu'à la corriger d'une mauvaise habitude de boire du vin pur, dont la véhémence et la sévérité de sa gouvernante n'avoient pu la préserver. Enfin il faut tâcher de donner du goût à l'esprit

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