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En vain les platoniciens du bas empire, qui imposoient à Julien, ont imaginé des allégories et de profonds mysteres dans les divinités qu'Homere dépeint. Ces mysteres sont chimériques : l'écriture, les peres qui ont réfuté l'idolâtrie, l'évidence même du fait, montrent une religion extravagante et monstrueuse. Mais Homere ne l'a pas faite, il l'a trouvée; il n'a pu la changer, il l'a ornée ; il a caché dans son ouvrage un grand art, il a mis un ordre qui excite sans cesse la curiosité du lecteur; il a peint avec naïveté, force, majesté, passion : que veut-on de plus?

grace,

Il est naturel que les modernes, qui ont beaucoup d'élégance et de tours ingénieux, se flattent de surpasser les anciens, qui n'ont que la simple nature. Mais je demande la permission de faire ici une espece d'apologue. Les inventeurs de l'architecture qu'on nomme gothique, et qui est, dit-on, celle des Arabes, crurent sans doute avoir surpassé les architectes grecs. Un édifice grec n'a aucun ornement qui ne serve qu'à orner l'ouvrage ; les pieces nécessaires pour le soutenir ou pour le mettre à couvert, comme les colonnes et la corniche, se tournent seulement en grace par leurs proportions: tout est simple, tout est mesuré, tout est borné à l'usage; on n'y voit ni hardiesse, ni caprice, qui impose aux yeux; les proportions sont si justes, que rien ne paroît fort grand,

quoique tout le soit; tout est borné, à contenter la vraie raison. Au contraire, l'architecte gothique éleye, sur des piliers très minces une voûte immense qui monte jusqu'aux nues ; on croit que tout va tomber,' mais tout dure pendant bien des siecles; tout est plein de fenêtres, de roses et de pointes ; la pierre semble découpée comme du carton; tout est à jour, tout est en l'air. N'est-il pas naturel que les premiers architectes gothiques se soient flattés d'avoir surpasleur vain raffinement, la simplicité grecque? Changez seulement les noms, mettez les poëtes et les orateurs en la place des architectes: Lucain devoit naturellement croire qu'il étoit plus grand que Virgile; Séneque le tragique pouvoit s'imaginer qu'il brilloit bien plus que Sophocle; le Tasse a pu espérer de laisser derriere lui Virgile et Homere. Ces auteurs se seroient trompés en pensant ainsi : les plus excellents auteurs de nos jours doivent craindre de se tromper de même.

sé, par

Je n'ai garde de vouloir juger en parlant ainsi; je propose seulement aux hommes qui ornent notre siecle de ne mépriser point ceux que tant de siecles ont admirés. Je ne vante point les anciens comme des modeles sans imperfections; je ne veux point ôter à personne l'espérance de les vaincre, je souhaite au contraire de voir les modernes victorieux par l'étude G 3

TOME III.

des anciens mêmes qu'ils auront vaincus. Mais je croirois m'égarer au-delà de mes bornes, si je me mêlois de juger jamais pour le prix entre les combattants:

Non nostrum inter vos tantas componere lites:

Et vitulâ tu dignus, et hic.

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VIRG. Ecl. III, vers. 108.

Vous m'avez pressé, monsieur, de dire ma pensée. J'ai moins consulté mes forces que mon zele pour la compagnie. J'ai peut-être trop dit, quoique je n'aie prétendu dire aucun mot qui me rende partial. Il est temps de me taire:

Phœbus volentem prælia me loquí,

Victas et urbes, increpuit lyrâ

Ne parva tyrrhenum per æquor

Vela darem.

HORAT. Od. lib. IV, od. 15, vers. 1.

Je suis pour toujours, avec une estime sincere et parfaite, monsieur, etc.

LETTRE

SUR

LES ANCIENS ET LES MODERNE S.

Cambrai ce 4 mai 1714.

La lettre que vous m'avez fait la grace de m'écrire, monsieur, est très obligeante; mais elle flatte trop mon amour propre, et je vous conjure de m'épargner. De mon côté je vais vous répondre sur l'affaire du temps présent d'une maniere qui vous montrerà, si je ne me trompe, ma sincérité.

Je n'admire point aveuglément tout ce qui vient des anciens. Je les trouve fort inégaux entre eux. Il y en a peu d'excellents: : ceux même qui le sont ont la marque de l'humanité, qui est de n'être pas sans quelque reste d'imperfection. Je m'imagine même que si nous avions été de leur temps, la connoissance exacte des mœurs, des idées des divers siecles, et des dernieres finesses de leurs langues, nous auroit fait sentir des fautes que nous ne pouvons plus discerner avec certitude. La Grece, parmi tant d'auteurs qui ont leurs beautés, ne nous montre au-dessus des autres qu'un Homere, qu'un Pindare, qu'un Théocrite, qu'un Sophocle, qu'un Démosthene.

Rome, qui a eu tant d'écrivains très estimables, nenous présente qu'un Virgile, qu'un Horace, qu'un Térence, qu'un Catulle, qu'un Cicéron. Nous pouvons croire Horace sur sa parole, quand il avoue qu'Homere même se néglige un peu en quelques endroits.

Je ne saurois douter que la religion et les mœurs des héros d'Homere n'eussent de grands défauts : il est naturel que ces défauts nous choquent dans les peintures de ce poëte. Mais j'en excepte l'aimable simplicité du monde naissant : cette simplicité de mœurs si éloignées de notre luxe n'est point un défaut, et c'est notre luxe quien est un très grand. D'ailleurs un poëte est un peintre qui doit peindre d'après nature et observer tous les caracteres.

Je crois que les hommes de tous les siecles ont eu à-peu-près le même fonds d'esprit et les mêmes talents, comme les plantes ont eu le même suc et la même vertu: mais je crois que les Siciliens, par exemple, sont plus propres à être poëtes que les Lappons. De plus, il y a eu des pays où les mœurs, la forme du gouvernement et les études, ont été plus convenables que celles des autres pays pour faciliter le progrès de la poésie. Par exemple, les mœurs des Grecs formoient bien mieux des poëtes que celles des Cimbres et des Teutons. Nous sortons à peine d'une étonnante barbarie : au contraire, les Grecs avoient

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