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A. Faut-il censurer encore quelqu'un?

B. Oui, les panégyristes. Ne croyez-vous pas que, quand on fait l'éloge d'un saint, il faut peindre son caractere, et réduire toutes ses actions et toutes ses vertus à un point?

A. Cela sert à montrer l'invention et la subtilité de l'orateur.

B. Je vous entends; vous ne goûtez pas cette méthode.

A. Elle me paroît fausse pour la plupart des sujets. C'est forcer les matieres, que de les vouloir toutes réduire à un seul point. Il y a un grand nombre d'actions dans la vie d'un homme qui viennent de divers principes, et qui marquent des qualités très différentes. C'est une subtilité scholastique, et qui marque un orateur très éloigné de bien connoître la nature, que de vouloir rapporter tout à une seule cause. Le vrai moyen de faire un portrait bien ressemblant est de peindre un homme tout entier; il faut le mettre devant les yeux des auditeurs, parlant et agissant. En décrivant le cours de sa vie, il faut appuyer principalement sur les endroits où son naturel et sa grace paroissent davantage; mais il faut un peu laisser remarquer ces choses à l'auditeur. Le meilleur moyen de louer le saint, c'est de raconter ses actions louables. Voilà ce qui donne du corps et de la force à un

éloge; voilà ce qui instruit; voilà ce qui touche. Souvent les auditeurs s'en retournent sans savoir la vie du saint dont ils ont entendu parler une heure; tout au plus ils ont entendu beaucoup de pensées sur un petit nombre de faits détachés et marqués sans suite. Il faudroit au contraire peindre le saint au naturel, le montrer tel qu'il a été dans tous les âges, dans toutes les conditions et dans les principales conjonctures où il a passé. Cela n'empêcheroitpoint qu'on ne remarquât son caractere; on le feroit même bien mieux remarquer par ses actions et par ses paroles, que par des pensées et des desseins d'imagination.

B. Vous voudriez donc faire l'histoire de la vie du saint, et non pas son panégyrique.

A. Pardonnez-moi, je ne ferois point une narration simple. Je me contenterois de faire un tissu des faits principaux: mais je voudrois que ce fût un récit concis, pressé, vif, plein de mouvements; je voudrois que chaque mot donnât une haute idée des saints, et fût une instruction pour l'auditeur. A cela j'ajouterois toutes les réflexions morales que je croirois les plus convenables. Ne croyez-vous pas qu'un discours fait de cette maniere auroit une noble et aimable simplicité? Ne croyez-vous pas que les vies des saints en seroient mieux connues, et les peuples

plus édifiés? Ne croyez-vous pas même, selon les regles de l'éloquence que nous avons posées, qu'un tel discours seroit plus éloquent que tous ces panégyriques guindés qu'on voit d'ordinaire?

B. Je vois bien maintenant que ces sermons-là ne seroient ni moins instructifs, ni moins touchants, ni moins agréables, que les autres. Je suis content, monsieur, en voilà assez ; il est juste que vous alliez vous délasser. Pour moi, j'espere que votre peine ne sera pas inutile; car je suis résolu de quitter tous les recueils modernes et tous les pensieri italiens. Je veux étudier fort sérieusement toute la suite et tous les principes de la religion dans ses sources.

C. Adieu, monsieur : pour tout remerciement, je vous assure que je vous croirai.

A. Bon soir, messieurs: je vous quitte avec ces paroles de saint Jérôme à Népotien: Quand vous enseignerez dans l'église, n'excitez point les applaudissements mais les gémissements du peuple. Que les larmes de vos auditeurs soient vos louanges. Il faut que les discours d'un prêtre soient pleins de l'écriture sainte. Ne soyez pas un déclamateur, mais un vrai docteur des mysteres de votre Dieu,

TOME III.

E

LETTRE

ÉCRITE A L'ACADÉMIE FRANÇOISE,

Sur l'éloquence, la poésie, l'histoire, etc.

(1)

Je suis honteux, monsieur "", de vous devoir depuis si long-temps une réponse: mais ma mauvaise santé et mes embarras continuels ont causé ce retardement. Le choix que l'académie a fait de votre personne pour l'emploi de son secrétaire perpétuel est digne de la compagnie, et promet beaucoup au public pour les belles lettres. J'avoue que la demande que vous me faites au nom d'un corps auquel je dois tant, m'embarrasse un peu: mais je vais parler au hasard, puisqu'on l'exige. Je le ferai avec une grande défiance de mes pensées, et une sincere déférence pour ceux qui daignent me consulter.

I.

Projet d'achever le dictionnaire.

Le dictionnaire auquel l'académie travaille mérite sans doute qu'on l'acheve. Il est vrai que l'usage,

(1) M. Dacier.

qui change souvent pour les langues vivantes, pourra changer ce que ce dictionnaire aura décidé.

Nedum sermonum stet honos et gratia vivax.
Multa renascentur quæ jam cecidere, cadentque
Quæ nunc sunt in honore, vocabula, si volet usus,
Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi.
HORAT. Art. poet. vers. 69.

Mais ce dictionnaire aura divers usages. Il servira aux étrangers, qui sont curieux de notre langue, et qui lisent avec fruit les livres excellents en plusieurs genres qui ont été faits en France. D'ailleurs les François les plus polis peuvent avoir quelquefois besoin de recourir à ce dictionnaire par rapport à des termes sur lesquels ils doutent. Enfin, quand notre langue sera changée, il servira à faire entendre les livres dignes de la postérité qui sont écrits en notre temps. N'est-on pas obligé d'expliquer maintenant le langage de Villehardouin et de Joinville? Nous serions ravis d'avoir des dictionnaires grecs et latins faits par les anciens mêmes. La perfection des dictionnaires est même un point où il faut avouer que les modernes ont enchéri sur les anciens. Un jour on sentira la commodité d'avoir un dictionnaire qui serve de clef à tant de bons livres. Le prix de cet ouvrage ne peut manquer de croître à mesure qu'il vieillira,

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