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d'abord dans les emplois extérieurs qui ôtent la liberté d'étudier. Un jeune homme pourroit de temps en temps faire des essais; mais il faudroit que l'étude des bons livres fût long-temps son occupation principale.

C. Je crois ce que vous dites. Cela me fait souvenir d'un prédicateur de mes amis, qui vit, comme vous disiez, au jour la journée : il ne songe à une matiere que quand il est engagé à la traiter; il se renferme dans son cabinet, il feuillete la Concordance, Combefix, Polyanthea, quelques sermonnaires qu'il a achetés, et certaines collections qu'il a faites de passages détachés, et trouvés comme par hasard.

A. Vous comprenez bien que tout cela ne sauroit faire un habile homme. En cet état on ne peut rien dire avec force, on n'est sûr de rien, tout a un air d'emprunt et de pieces rapportées, rien ne coule de source. On se fait grand tort à soi-même d'avoir tant d'impatience de se produire.

B. Dites-nous donc, avant que de nous quitter, quel est, selon vous, le grand effet de l'éloquence. A. Platon dit qu'un discours n'est éloquent qu'autant qu'il agit dans l'ame de l'auditeur : par là vous pouvez juger sûrement de tous les discours que vous entendez. Tout discours qui vous laissera froid, qui ne fera qu'amuser votre esprit, et qui ne remuera

point vos entrailles, votre cœur ; quelque beau qu'il paroisse, ne sera point éloquent. Voulez-vous entendre Cicéron parler comme Platon en cette matiere? Il vous dira que toute la force de la parole ne doit tendre qu'à mouvoir les ressorts cachés que la nature a mis dans le cœur des hommes. Ainsi consultez-vous vous-même pour savoir si les orateurs que vous écoutez font bien. S'ils font une vive impression sur vous, s'ils rendent votre ame attentive et sensible aux choses qu'ils disent, s'ils vous échauffent et vous enlevent au-dessus de vous-même, croyez hardiment qu'ils ont atteint le but de l'éloquence. Si, au lieu de vous attendrir, ou de vous inspirer de fortes passions, ils ne font que vous plaire et que vous faire admirer l'éclat et la justesse de leurs pensées et de leurs expressions, dites que ce sont de faux

orateurs.

B. Attendez un peu, s'il vous plaît ; permettez-moi de vous faire encore quelques questions.

A. Je voudrois pouvoir attendre, car je me trouve bien ici; mais j'ai une affaire que je ne puis remettre. Demain je reviendrai vous voir, et nous acheverons cette matiere plus à loisir.

B. Adieu donc, monsieur, jusqu'à demain.

TOME III.

E

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DIALOGUE SECOND.

B. Vous êtes un aimable homme d'être revenu si ponctuellement ; la conversation d'hier nous a laissés en impatience d'en voir la suite.

C. Pour moi, je suis venu à la hâte de peur d'arriver trop tard, car je ne veux rien perdre.

A. Ces sortes d'entretiens ne sont pas inutiles: on se communique mutuellement ses pensées; chacun dit ce qu'il a lu de meilleur. Pour moi, messieurs, je profite beaucoup à raisonner avec vous, vous souffrez mes libertés.

B. Laissez là le compliment: pour moi je me fais justice, et je vois bien que sans vous je serois encore enfoncé dans plusieurs erreurs. Achevez, je vous prie, de m'en tirer.

A. Vos erreurs, si vous me permettez de parler ainsi, sont celles de la plupart des honnêtes gens qui n'ont point approfondi ces matieres.

B. Achevez donc de me guérir: nous aurons mille choses à dire, ne perdons point de temps, et sans préambule venons au fait.

A. De quoi parlions-nous hier, quand nous nous séparâmes ? De bonne foi, je ne m'en souviens plus.

C. Vous parliez de l'éloquence, qui consiste toute à émouvoir.

B. Oui : j'avois peine à comprendre cela ; comment l'entendez-vous ?

A. Le voici. Que diriez-vous d'un homme qui persuaderoit sans prouver? Ce ne seroit pas là le vrai orateur; il pourroit séduire les autres hommes, ayant l'invention de les persuader sans leur montrer que ce qu'il leur persuaderoit seroit la vérité. Un tel homme seroit dangereux dans la république ; c'est ce que nous avons vu dans les raisonnements de Socrate.

B. J'en conviens.

A. Mais que diriez-vous d'un homme qui prouveroit la vérité d'une maniere exacte, seche, nue, qui mettroit ses arguments en bonne forme, ou qui se serviroit de la méthode des géometres dans ses discours publics, sans y ajouter rien de vif et de figuré? seroit-ce un orateur?

B. Non, ce ne seroit qu'un philosophe.

A. Il faut donc, pour faire un orateur, choisir un philosophe, c'est-à-dire un homme qui sache prouver la vérité, et ajouter à l'exactitude de ses raisonnements la beauté et la véhémence d'un discours varié pour en faire un orateur.

B. Oui, sans doute."

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A. Et c'est en cela que consiste la différence de la conviction de la philosophie, et de la persuasion de l'éloquence.

B. Comment dites-vous? Je n'ai pas bien compris. A. Je dis que le philosophe ne fait que convaincre, et que l'orateur, outre qu'il convainc, persuade.

B. Je n'entends pas bien encore. Que reste-t-il à faire quand l'auditeur est convaincu ?

A. Il reste à faire ce que feroit un orateur plus qu'un métaphysicien en vous montrant l'existence de Dieu. Le métaphysicien vous fera une démonstration simple qui ne va qu'à la spéculation l'orateur y ajoutera tout ce qui peut exciter en vous des sentiments, et vous faire aimer la vérité prouvée ; c'est ce qu'on appelle persuasion.

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B. J'entends à cette heure votre pensée.

A. Cicéron a eu raison de dire qu'il ne falloit jamais séparer la philosophie de l'éloquence : car le talent de persuader sans science et sans sagesse est pernicieux ; et la sagesse, sans art de persuader, n'est point capable de gagner les hommes et de faire entrer la vertu dans les cœurs. Il est bon de remarquer cela en passant, pour comprendre combien les gens du dernier siecle se sont trompés. Il y avoit d'un côté des savants à belles lettres qui ne cherchoient que la pureté des langues et les livres poliment écrits; ceux

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