Billeder på siden
PDF
ePub

à laquelle Dieu réduit notre vanité? Les écritures ne sont-elles pas pleines de mille figures touchantes sur cette vérité? Les paroles mêmes de la Genese, si propres, si naturelles à cette cérémonie, et choisies par l'église même, ne seront-elles donc pas dignes du choix d'un prédicateur? Appréhendera-t-il, par une fausse délicatesse, de redire souvent un texte que le saint Esprit et l'église ont voulu répéter sans cesse tous les ans? Pourquoi donc laisser cet endroit, et tant d'autres de l'écriture qui conviennent, pour en chercher un qui ne convient pas? C'est un goût dépravé, une passion aveugle de dire quelque chose de nouveau.

B. Vous vous échauffez trop, monsieur: il est vrai que ce texte n'est point conforme au sens littéral.

C. Pour moi, je veux savoir si les choses sont vraies, avant que de les trouver belles. Mais le reste?

A. Le reste du sermon est du même genre que le texte. Ne le voyez-vous pas, monsieur? A quel propos chercher des ornements si déplacés dans un sujet si effrayant, et amuser l'auditeur par le récit profane de la douleur d'Artémise, lorsqu'il faudroit tonner et ne donner que des images terribles de la mort?

B. Je vous entends, vous n'aimez pas les traits d'esprit. Mais sans cet agrément que deviendroit l'éloquence? Voulez-vous réduire tous les prédicateurs

[ocr errors]

à la simplicité des missionnaires? Il en faut pour le peuple; mais les honnêtes gens ont les oreilles plus délicates, et il est nécessaire de s'accommoder à leur goût.

A. Vous me menez ailleurs: je voulois achever de vous montrer combien ce sermon est mal conçu; il ne me restoit qu'à parler de la division, mais je crois que vous comprenez assez vous-même ce qui me l'a fait désapprouver. C'est un homme qui donne trois points pour sujet de tout son discours. Quand on divise, il faut diviser simplement, naturellement : il faut que ce soit une division qui se trouve toute faite dans le sujet même; une division qui éclaircisse, qui range les matieres, qui se retienne aisément, et qui aide à retenir tout le reste; enfin une division qui fasse voir la grandeur du sujet et de ses parties. Tout au contraire, vous voyez ici un homme qui entreprend d'abord de vous éblouir, qui vous débite trois épigrammes ou trois énigmes, qui les tourne et retourne avec subtilité; vous croyez voir des tours de passe-passe. Est-ce là un air sérieux et grave propre à vous faire espérer quelque chose d'utile et d'important? Mais revenons à ce que vous disiez: vous demandez si je veux donc bannir l'éloquence de la chaire?

B. Oui, il me semble que vous allez là.

[merged small][ocr errors]

A. Ha! voyons: qu'est-ce que l'éloquence?
B. C'est l'art de bien parler.

A. Cet art n'a-t-il point d'autre but que celui de bien parler? les hommes en parlant n'ont-ils point quelque dessein? parle-t-on pour parler?

B. Non, on parle pour plaire et pour persuader.

A. Distinguons, s'il vous plaît, monsieur, soigneusement ces deux choses : on parle pour persuader, cela est constant; on parle aussi pour plaire, cela n'arrive que trop souvent. Mais quand on tâche de plaire, on a un autre but plus éloigné qui est néanmoins le principal. L'homme de bien ne cherche à plaire que pour inspirer la justice et les autres vertus en les rendant aimables; celui qui cherche son intérêt, sa réputation, sa fortune, ne songe à plaire que pour gagner l'inclination et l'estime des gens qui peuvent contenter son avarice ou son ambition: ainsi cela même se réduit encore à une maniere de persuasion que l'orateur cherche; il veut plaire pour flatter, et il flatte pour persuader ce qui convient à son intérêt.

B. Enfin vous ne pouvez disconvenir que les hommes ne parlent souvent que pour plaire. Les orateurs païens ont eu ce but. Il est aisé de voir dans les discours de Cicéron qu'il travailloit pour sa réputation : qui ne croira la même chose d'Isocrate et de Démosthene?

Tous les anciens panégyristes songeoient moins à faire admirer leurs héros, qu'à se faire admirer euxmêmes; ils ne cherchoient la gloire d'un prince, qu'à cause de celle qui leur en devoit revenir à euxmêmes pour l'avoir bien loué. De tout temps cette ambition a semblé permise chez les Grecs et chez les Romains par cette émulation, l'éloquence se perfectionnoit, les esprits s'élevoient à de hautes pensées et à de grands sentiments; par-là on voyoit fleurir les anciennes républiques : le spectacle que donnoit l'éloquence, et le pouvoir qu'elle avoit sur les peuples, la rendirent admirable, et ont poli merveilleusement les esprits. Je ne vois pas pourquoi on blâmeroit cette émulation, même dans des orateurs chrétiens, pourvu qu'il ne parût dans leurs discours aucune affectation indécente, et qu'ils n'affoiblissent en rien la morale évangélique. Il ne faut point blâmer une chose qui anime les jeunes gens, et qui forme les grands prédicateurs.

A. Voilà bien des choses, monsieur, que vous mettez ensemble : démêlons-les, s'il vous plaît, et voyons avec ordre ce qu'il en faut conclure; sur-tout évitons l'esprit de dispute; examinons cette matiere paisiblement, en gens qui ne craignent que l'erreur; et mettons tout l'honneur à nous dédire dès que nous -appercevrons que nous nous serons trompés.

B. Je suis dans cette disposition, ou du moins je crois y être; et vous me ferez plaisir de m'avertir si vous voyez que je m'écarte de cette regle.

A. Ne parlons point d'abord des prédicateurs, ils viendront en leur temps: commençons par les orateurs profanes, dont vous avez cité ici l'exemple. Vous avez mis Démosthene avec Isocrate, en cela vous avez fait tort au premier : le second est un froid orateur qui n'a songé qu'à polir ses pensées et qu'à donner de l'harmonie à ses paroles; il n'a eu qu'une idée basse de l'éloquence, et il l'a presque toute mise dans l'arrangement des mots. Un homme qui a employé selon les uns dix ans, et selon les autres quinze, à ajuster les périodes de son panégyrique, qui est un discours sur les besoins de la Grece, étoit d'un secours bien foible et bien lent pour la république contre les entreprises du roi de Perse. Démosthene parloit bien autrement contre Philippe. Vous pouvez voir la comparaison que Denys d'Halicarnasse fait de ces deux orateurs, et les défauts essentiels qu'il remarque dans Isocrate. On ne voit dans celui-ci que des discours fleuris et efféminés, que des périodes faites avec un travail infini pour amuser l'oreille; pendant que Démosthene émeut, échauffe et entraîne les cœurs : il est trop vivement touché des intérêts de sa patrié pour s'amuser à tous les jeux d'es

« ForrigeFortsæt »