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A. He bien! monsieur, vous venez donc d'entendre

E

le sermon où vous vouliez me mener tantôt ? Pour moi, je me suis contenté du prédicateur de notre paroisse.

B. Je suis charmé du mien; vous avez bien perdu, monsieur, de n'y être pas. J'ai arrêté une place pour ne manquer aucun sermon du carême. C'est un homme admirable: si vous l'aviez une fois entendu, il vous dégoûteroit de tous les autres.

A. Je me garderai donc bien de l'aller entendre, car je ne veux point qu'un prédicateur me dégoûte des autres; au contraire, je cherche un homme qui me donne un tel goût et une telle estime pour la parole de Dieu, que j'en sois plus disposé à l'écouter i par-tout ailleurs. Mais puisque j'ai tant perdu, et que vous êtes plein de ce beau sermon, vous pouvez,

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monsieur, me dédommager: de grace, dites-nous quelque chose de ce que vous avez retenu.

B. Je défigurerois ce sermon par mon récit: ce sont cent beautés qui échappent; il faudroit être le prédicateur même, pour vous dire . . . .

A. Mais encore? Son dessein, ses preuves, sa morale, les principales vérités qui ont fait le corps de son discours? Ne vous reste-t-il rien dans l'esprit? est-ce que vous n'étiez pas attentif?

B. Pardonnez-moi, jamais je ne l'ai été davantage.'
C. Quoi donc ! vous voulez vous faire prier?

B. Non: mais c'est que ce sont des pensées si délicates, et qui dépendent tellement du tour et de la finesse de l'expression, qu'après avoir charmé dans le moment elles ne se retrouvent pas aisément dans la suite. Quand même vous les retrouveriez, ditesles dans d'autres termes, ce n'est plus la même chose, elles perdent leur grace et leur force.

A. Ce sont donc, monsieur, des beautés bien fragiles; en les voulant toucher on les fait disparoître. J'aimerois bien mieux un discours qui eût plus de corps et moins d'esprit, il feroit une forte impression, on retiendroit mieux les choses. Pourquoi parle-t-on, sinon pour persuader, pour instruire, et pour faire en sorte que l'auditeur retienne?

C. Vous voilà, monsieur, engagé à parler.

B. Hé bien ! disons donc ce que j'ai retenu. Voici le texte : Cinerem tanquam panem manducabam, je mangeois la cendre comme mon pain. Peut-on trouver un texte plus ingénieux pour le jour des cendres ? Il a montré que, selon ce passage, la cendre doit être aujourd'hui la nourriture de nos ames; puis il a enchâssé dans son avant-propos, le plus agréablement du monde, l'histoire d'Artémise sur les cendres de son époux. Sa chûte à son Ave Maria a été pleine d'art. Sa division étoit heureuse, vous en jugerez, Cette cendre, dit-il, quoiqu'elle soit un signe de pénitence, est un principe de félicité; quoiqu'elle semble nous humilier, elle est une source de gloire; quoiqu'elle représente la mort, elle est un remede qui donne l'immortalité. Il a repris cette division en plusieurs manieres, et chaque fois il donnoit un nouveau lustre à ses antitheses. Le reste du discours n'étoit ni moins poli, ni moins brillant : la diction étoit pure, les pensées nouvelles, les périodes nombreuses; chacune finissoit par quelque trait surprenant. Il nous a fait des peintures morales où chacun se trouvoit : il a fait une anatomie des passions du cœur humain, qui égale les maximes de M. de la Rochefoucauld. Enfin, selon moi, c'étoit un ouvrage achevé. Mais vous, monsieur, qu'en pensez-vous?

A. Je crains de vous parler sur ce sermon, et de

vous ôter l'estime que vous en avez on doit respecter la parole de Dieu, profiter de toutes les vérités qu'un prédicateur a expliquées, et éviter l'esprit de critique, de peur d'affoiblir l'autorité du ministere.

B. Non, monsieur, ne craignez rien. Ce n'est point par curiosité que je vous questionne, j'ai besoin d'avoir là-dessus de bonnes idées ; je veux m'instruire solidement, non seulement pour mes besoins, mais encore pour ceux d'autrui, car ma profession m'engage à prêcher. Parlez-moi donc sans réserve, et ne craignez ni de me contredire, ni de me scandaliser.

A. Vous le voulez, il faut vous obéir. Sur votre rapport même, je conclus que c'étoit un méchant

sermon.

B. Comment cela?

A. Vous l'allez voir. Un sermon où les applications de l'écriture sont fausses, où une histoire profane est rapportée d'une maniere froide et puérile, où l'on voit régner par-tout une vaine affectation de bel esprit, est-il bon?

B. Non, sans doute : mais le sermon que je vous rapporte ne me semble point de ce caractere.

A. Attendez, vous conviendrez de ce que je dis. Quand le prédicateur a choisi pour texte ces paroles, Je mangeois la cendre comme mon pain, devoit-il se contenter de trouver un rapport de mots entre ce

texte et la cérémonie d'aujourd'hui ? Ne devoit-il pas commencer par entendre le vrai sens de son texte, avant que de l'appliquer au sujet ?

B. Oui, sans doute.

A. Ne falloit-il donc pas reprendre les choses de plus haut, et tâcher d'entrer dans toute la suite du psaume ? N'étoit-il pas juste d'examiner si l'interprétation dont il s'agissoit étoit contraire au sens véritable, avant que de la donner au peuple comme la parole de Dieu ?

B. Cela est vrai: mais en quoi peut-elle être contraire?

A. David, ou quel que soit l'auteur du psaume 101, parle de ses malheurs en cet endroit. Il dit que ses ennemis lui insultoient cruellement, le voyant dans la poussiere, abattu à leurs pieds, réduit (c'est ici une expression poétique) à se nourrir d'un pain de cendres et d'une eau mêlée de larmes. Quel rapport des plaintes de David, renversé de son trône et persécuté par son fils Absalom, avec l'humiliation d'un chrétien qui se met des cendres sur le front pour penser à la mort, et pour se détacher des plaisirs du

monde ?

N'y avoit-il point d'autre texte à prendre dans l'écriture? Jésus-Christ, les apôtres, les prophetes, n'ontils jamais parlé de la mort et de la cendre du tombeau,

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