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Les anciens et les modernes ont traité l'éloquence avec différentes vues et en différentes manieres, en dialecticiens, en grammairiens, en poëtes. Il nous manquoit un homme qui eût traité cette science en philosophe, et en philosophe chrétien. Feu M. l'archevêque de Cambrai nous le fait trouver dans ces dialogues qu'il a laissés.

On trouve, dans les anciens, de beaux préceptes d'éloquence et des regles très délicates portées jusques à la derniere finesse : mais leurs principes sont souvent trop nombreux, trop secs, ou enfin plus curieux qu'utiles. Notre auteur réduit les préceptes essentiels de cet art admirable à ces trois qualités, à prouver, à peindre, à toucher.

Pour prouver, il veut que son orateur soit un philosophe qui sache éclairer l'esprit tandis qu'il touche le cœur, et agir sur toute l'ame, non seulement en lui montrant la vérité pour la faire admirer, mais encore en remuant tous ses ressorts pour la faire aimer; en un mot, qu'il soit rempli de vérités pures et lumineuses, et de sentiments nobles et élevés.

Pour peindre, il veut bien qu'un orateur ait de l'enthousiasme comme les poëtes, qu'il emploie des figures ornées, des images vives, et des traits hardis, lorsque le sujet le demande : mais il veut que partout l'art se cache, ou du moins paroisse si naturel, qu'il ne soit qu'une expression vive de la nature. Il rejette par conséquent tous ces faux ornements qui n'ont pour but que de flatter les oreilles par des sons harmonieux, et l'imagination par des idées plus

brillantes que solides. Il condamne non seulement tous les jeux de mots, mais tous les jeux de pensées qui ne tendent qu'à faire admirer le bel esprit de l'orateur.

Pour toucher, il veut qu'on mette chaque vérité dans sa place, et qu'on les enchaîne tellement, que les premieres préparent aux secondes, que les secondes soutiennent les premieres, et que le discours aille toujours en croissant, jusqu'à ce que l'auditeur sente le poids et la force de la vérité alors il faut déployer les images vives, et mettre dans les paroles et l'action du corps tous les mouvements propres exprimer les passions qu'on veut exciter.

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C'est par la lecture des anciens qu'on se forme le goût, et qu'on apprend l'éloquence de tous les genres mais il faut du discernement pour lire les anciens, car ils ont leurs défauts. L'auteur sépare les véritables beautés de la plus pure antiquité d'avec les faux ornements des siecles suivants; nous fait sentir l'excellent et le défectueux des auteurs tant sacrés que profanes; et montre enfin que l'éloquence des saintes écritures surpasse celle des Grecs et des Romains en naïveté, en vivacité, en grandeur, et dans tout ce qu'il faut pour persuader la vérité et la faire aimer,

Rien n'est plus propre que ces dialogues à garantir contre le goût corrompu du bel esprit, qui ne sert qu'à l'amusement et à l'ostentation. Cette éloquence d'amour-propre affecte les vaines parures, faute de sentir les beautés réelles de la simple nature: ses pensées fines, ses pointes délicates, ses antitheses étudiées, ses périodes arrondies, et mille autres orne

ments artificiels, font perdre le goût de ces beautés supérieures et solides qui vont tout droit au cœur.

Ceux qui n'estiment que le bel esprit ne goûteront peut-être pas la simplicité de ces dialogues; mais ils penseroient autrement, s'ils considéroient qu'il y a différents styles de dialogues. L'antiquité nous en fournit deux exemples illustres; les dialogues de Platon, et ceux de Lucien. Le premier, en vrai philosophe, ne songe qu'à donner de la force à ses raisonnements, et n'affecte jamais d'autre langage que celui d'une conversation ordinaire; tout est net, simple et familier. Lucien, au contraire, met de l'esprit partout; tous les dieux, tous les hommes, qu'il fait par ler, sont des gens d'une imagination vive et délicate. Ne reconnoît-on pas d'abord que ce ne sont pas les hommes ni les dieux qui parlent, mais Lucien qui les fait parler? On ne peut pas cependant nier que ce ne soit un auteur original qui réussit merveilleusement dans son genre d'écrire. Lucien se moquoit des hommes avec finesse et avec agrément; mais Platon les instruisoit avec gravité et sagesse. M. de Cambrai a su imiter tous les deux selon la diversité de ses sujets. Dans les Dialogues des morts, qu'il a écrits pour l'instruction du jeune prince son éleve, on trouvera toute la délicatesse et l'enjouement de Lucien. Dans ceux-ci, où il s'agit de donner des regles d'une éloquence grave et propre à instruire les hommes en les touchant, il imite Platon : tout est naturel, tout est ramené à l'instruction; l'esprit disparoît, pour ne laisser parler que la sagesse et la vérité.

On a cru que la Lettre qui se trouvera à la suite de ces Dialogues pouvoit y être convenablement

TOME III.

Y

placée : le succès qu'elle a déja eu dans le public fait espérer qu'il ne sera pas fâché de la retrouver ici. De ces deux ouvrages, le premier n'avoit pas encore paru, et a été composé dans la jeunesse de feu M. de Cambrai : le second l'a été dans les derniers temps de sa vie. On reconnoîtra dans l'un et dans l'autre le même goût, le même génie, les mêmes maximes, le même but en écrivant, de ramener tout au vrai et au solide.

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