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qu'on peut les faire parler de ce qu'ils savent, et que les personnes d'esprit peuvent toujours tirer quelque instruction des gens les moins éclairés. Mais revenons aux choses dont il faut instruire une fille.

CHAPITRE XII.

Suite des devoirs des femmes.

Il y a la science de se faire servir, qui n'est pas petite. Il faut choisir des domestiques qui aient de l'honneur et de la religion; il faut connoître les fonctions auxquelles on veut les appliquer, le temps et la peine qu'il faut donner à chaque chose, la maniere de la bien faire, et la dépense qui y est nécessaire. Vous gronderez mal-à-propos un officier, par exemple, si vous voulez qu'il ait dressé un fruit plus promptement qu'il n'est possible, ou si vous ne savez pas àpeu-près le prix et la quantité du sucre et des autres choses qui doivent entrer dans ce que vous lui faites faire : ainsi vous êtes en danger d'être la dupe ou le fléau de vos domestiques, si vous n'avez quelque connoissance de leurs métiers.

Il faut encore savoir connoître leurs humeurs, ménager leurs esprits, et policer chrétiennement toute cette petite république, qui est d'ordinaire fort tu

ne payer

multueuse. Il faut sans doute de l'autorité; car moins les gens sont raisonnables, plus il faut que la crainte les retienne : mais comme ce sont des chrétiens, qui sont vos freres en Jésus-Christ, et que vous devez respecter comme ses membres, vous êtes obligé de d'autorité que quand la persuasion manque. Tâchez donc de vous faire aimer de vos gens sans aucune basse familiarité: n'entrez pas en conversation avec eux; mais aussi ne craignez pas de leur parler assez souvent avec affection et sans hauteur sur leurs besoins; qu'ils soient assurés de trouver du conseil et de la compassion. Ne les reprenez point aigrement de leurs défauts; n'en paroissez ni surpris ni rebuté, tant que vous espérerez qu'ils ne seront pas incorrigibles; faites-leur entendre doucement raison; et souffrez souvent d'eux pour le service, afin d'être en état de les convaincre de sang-froid que c'est sans chagrin et sans impatience que vous leur parlez, bien moins pour votre service que pour leur intérêt. Il ne sera pas facile d'accoutumer les jeunes personnes de qualité à cette conduite douce et charitable; car l'impatience et l'ardeur de la jeunesse, jointe à la fausse idée qu'on leur donne de leur naissance, leur fait regarder les domestiques à-peu-près comme des chevaux : on se croit d'une autre nature que les valets; on suppose qu'ils sont faits pour la commodité de

leurs maîtres. Tâchez de montrer combien ces maximes sont contraires à la modestie pour soi, et à l'humanité pour son prochain. Faites entendre que les hommes ne sont point faits pour être servis ; que c'est une erreur brutale de croire qu'il y ait des hommes nés pour flatter la paresse et l'orgueil des autres; que le service étant établi contre l'égalité naturelle des hommes, il faut l'adoucir autant qu'on le peut; que les maîtres, qui sont mieux élevés que leurs valets, étant pleins de défauts, il ne faut pas s'attendre que les valets n'en aient point, eux qui ont manqué d'instructions et de bons exemples; qu'enfin, si les valets se gâtent en servant mal, ce que l'on appelle d'ordinaire être bien servi gâte encore plus les maîtres, car cette facilité de se satisfaire en tout et de se livrer à ses desirs ne fait qu'amollir l'ame, que la rendre ardente et passionnée pour les moindres commodités.

Pour ce gouvernement domestique, rien n'est meilleur que d'y accoutumer les filles de bonne heure. Donnez-leur quelque chose à régler, à condition de vous en rendre compte: cette confiance les charmera, car la jeunesse ressent un plaisir in"croyable lorsqu'on commence à se fier à elle et à la faire entrer dans quelque affaire sérieuse. On en voit un bel exemple dans la reine Marguerite. Cette

princesse raconte, dans ses mémoires, que le plus sensible plaisir qu'elle ait eu en sa vie fut de voir que la reine sa mere commença à lui parler, lorsqu'elle étoit encore très jeune, comme à une personne mûre: elle se sentit transportée de joie d'entrer dans la confidence de la reine et de son frere le duc d'Anjou pour le secret de l'état, elle qui n'avoit connu jusques-là que des jeux d'enfants. Laissez même faire quelque faute à une fille dans de tels essais, et sacrifez quelque chose à son instruction; faites-lui remarquer doucement ce qu'il auroit fallu faire ou dire, pour éviter les inconvénients où elle est tombée; racontez-lui vos expériences passées, et ne craignez point de lui dire les fautes semblables aux siennes, que vous avez faites dans votre jeunesse : par-là vous lui inspirerez la confiance, sans laquelle l'éducation se tourne en formalités gênantes.

Apprenez à une fille à lire et à écrire correctement. Il est honteux, mais ordinaire, de voir des femmes qui ont de l'esprit et de la politesse, ne savoir pas bien prononcer ce qu'elles lisent; ou elles hésitent, ou elles chantent, en lisant: au lieu qu'il faut prononcer d'un ton simple et naturel', mais ferme et uni. Elles manquent encore plus grossièrement pour l'orthographe, ou pour la maniere de former ou de lier des lettres en écrivant : au moins accoutumez-les à

TOME III.

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faire leurs lignes droites, à rendre leur caractere net et lisible. Il faudroit aussi qu'une fille sût la grammaire, pour sa langue naturelle. Il n'est pas question de la lui apprendre par regles, comme les écoliers apprennent le latin en classe; accoutumez-les seulement sans affectation à ne point prendre un temps pour un autre, à se servir des termes propres, à expliquer nettement leurs pensées avec ordre, et d'une maniere courte et précise: vous les mettrez en état d'apprendre un jour à leurs enfants à bien parler sans aucune étude. On sait que, dans l'ancienne Rome, la mere des Gracques contribua beaucoup, par une bonne éducation, à orner l'éloquence de ses enfants qui devinrent de si grands hommes.

Elles devroient aussi savoir les quatre regles de l'arithmétique, vous vous en servirez utilement pour leur faire faire souvent des comptes. C'est une occupation fort épineuse pour beaucoup de gens; mais l'habitude prise dès l'enfance, jointe à la facilité de faire promptement, par le secours des regles, toutes sortes de comptes les plus embrouillés, diminuera fort ce dégoût. On sait assez que l'exactitude à compter souvent fait le bon ordre dans les maisons.

Il seroit bon aussi qu'elles sussent quelque chose des principales regles de la justice; par exemple, la 'différence qu'il y a entre un testament et une dona

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