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Victor-Quintius Thouron, naquit à Besse, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Brignoles, le 27 ventose an II (17 mars 1794), en pleine révolution. Le nom de Victor et celui de Quintius, emprunté au calendrier républicain, ne lui furent pas donnés sans motifs. Son père voulut, par ce choix, affirmer ses sentiments patriotiques. « Je donnais à mon fils, écrivait-il plus tard, les noms de ces deux patrons, pour faire accroire que j'inspirerais à mes enfants le goût de la guerre et l'amour de la République. Il était très-essentiel alors d'afficher ces sentiments pour n'être pas proscrit. >>

M. Honoré Thouron, qui remplissait, à Besse, les fonctions de juge de paix, ne savait que trop combien il importait, en un pareil moment, de se montrer dévoué à la République. Accusé de modérantisme et de conspiration secrète pour le rétablissement de la royauté, il avait dû comparaître devant le tribunal criminel de Toulon, où il avait été acquitté, au grand désappointement de son dénonciateur, le citoyen Ricard, procureursyndic.

Cet acquittement fut suivi d'une petite scène assez piquante, que M. Thouron raconte en ces termes, dans son Livre de raisons (1): « Deux heures après, me trouvant à la grande salle du palais épiscopal, où les membres des trois corps administra

(1) On appelait Livre de raisons, sous l'ancien régime, un registre qui se transmettait de père en fils, et dans lequel le chef de famille consignait les naissances, les mariages, les décès, le détail de ses dépenses, et souvent le récit des événements politiques auxquels il avait assisté.

tifs allaient se réunir en conseil, j'entendis le citoyen Ricard, entouré d'un groupe de huit à dix personnes, déclarer à haute voix, qu'il avait fait traduire en prison le juge de paix de Besse, prévenu de conspiration contre la République, et qu'il importait de faire guillotiner ce fonctionnaire prévaricateur, en faisant afficher partout le jugement, afin d'empêcher, par un exemple éclatant, que la conspiration de la Vendée n'eût des partisans dans le Var. Je me mêlai de suite à ce groupe, et je dis honnêtement que j'étais ce juge de paix, mais que l'accusateur public venait de m'interroger et de me mettre en liberté, Le citoyen Ricard stupéfait me fixa, pirouetta sur ses talons, et quitta le groupe en me disant brusquement: tant mieux pour toi. »

Si M. Thouron n'avait pas déconcerté le citoyen Ricard par sa subite apparition, il est probable que l'affaire aurait pris une très-fâcheuse tournure. Mais c'était un esprit fin et hardi tout à la fois, qui ne se laissait pas facilement intimider. Il se trouva, peu de temps après, dans une situation non moins critique, et s'en tira avec le même bonheur. Poursuivi par un ennemi intime, qui voulait le livrer au terrible Figon, dont le nom seul faisait trembler les meilleurs républicains, il parvint, par une habile et malicieuse stratégie, à faire tomber son adversaire dans son propre piége. Il va nous dire lui-même comment il s'y prit:

«Le 21 septembre 1793, dit-il, le nommé Figon, fameux assassin de Toulon, vint à Besse avec Pierre Réquier et la femme de ce dernier, qui avait été un des faux témoins de M. l'avocat Bouis contre moi. Ils commencèrent par me menacer de me faire jj

BULLETIN

massacrer par Figon, si je ne donnais pas à Réquier une forte somme, pour l'indemniser des condamnations que j'avais obtenues contre lui. Ce n'était qu'un prétexte, puisque M. Bouis avait payé pour lui. Je répondis avec douceur à Réquier, à sa femme et à leur protecteur Figon. Je pris même ce dernier pour juge, en le priant d'entendre, à cet effet, M. Bouis contradictoirement avec moi, et de consulter l'opinion du peuple, qui fut appelé pour cet objet à la maison commune.

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« Nous eûmes une explication très-vive avec M. Bouis. La voix du peuple fut en ma faveur; Figon décida que l'avocat Bouis avait tort et que c'était à lui et non à moi à indemniser Réquier. Je régalai ensuite Figon à la maison pendant deux ou trois jours. - L'avocat Bouis ne dut son salut qu'à la fuite. >> Quelle scène et comme elle fut finement conduite! M. Thouron était évidemment un homme de beaucoup d'esprit. Il avait surtout cet esprit vif et rempli de malice, qui s'allie si bien avec notre vieux langage. Son fils, qui a été un des derniers interprètes de la vraie littérature provençale, aurait ajouté un chefd'œuvre à ses tableaux de mœurs déjà si remarquables, s'il avait eu la pensée d'écrire en vers provençaux cet épisode émouvant, dans lequel la fuite de l'avocat Bouis aurait fourni la note comique.

Le juge de paix, qui avait fait d'excellentes études classiques, et qui était très-fort latiniste, se plut à diriger lui-même la première éducation de ses enfants. « Dès qu'ils étaient parvenus à l'âge de trois ans, lisons-nous dans son Livre de raisons, je com

mençais à leur donner des leçons de lecture. Je leur apprenais ensuite à écrire, et lorsqu'ils avaient environ sept ans, je leur donnais les premiers principes de latinité. Je leur fis faire les basses classes jusqu'à l'âge de douze à quatorze ans. J'étudiais en même temps leur caractère, en leur inspirant de bonne heure l'amour du travail et la crainte de Dieu. >>

Ainsi, ce père intelligent ne laissait à personne le soin de développer l'esprit et de former le cœur de ses jeunes enfants. Il ne les livrait en des mains étrangères, qu'après leur avoir inspiré ses propres sentiments, et s'être assuré qu'ils pouvaient marcher sans trébucher dans la nouvelle voie qui leur était ouverte. Il est certain que les premières impressions de la jeunesse ne s'effacent jamais entièrement, non-seulement au point de vue moral, mais encore en ce qui touche les habitudes extérieures et les choses matérielles elles-mêmes. Combien de fois n'avons-nous pas remarqué que l'écriture des enfants ressemblait, à s'y méprendre, à celle de leurs parents? M. Thouron, qui n'était point satisfait de sa propre écriture, ne voulut pas la transmettre à ses fils; il leur fit donner des leçons par un professeur nommé Lefèvre et leur acheta l'art d'écrire du fameux calligraphe Rossignol; mais il était trop tard, déjà ils avaient pris l'habitude d'imiter sa petite écriture ronde et ferme, que Victor-Quintius a toujours conservée; c'est à ce point qu'il est très-difficile, aujourd'hui, d'établir la différence entre les écrits du père et ceux du fils.

Victor-Quintius Thouron fit sa troisième au collège de Tou

lon, où il eut pour professeur M. Ortolan, ancien oratorien. A la fin de l'année scolaire, il remporta tous les premiers prix de sa classe. Il continua ses études avec le même succès au collége de la place de Lenche, à Marseille, sous la direction de deux autres oratoriens, M. Revest et M. l'abbé Aubert.

Le 4 décembre 1811, sur la proposition de M. Guéneau de Mussy et du célèbre Ampère, inspecteurs généraux en tournée d'inspection à Marseille, Victor-Quintius Thouron fut nommé élève de l'École normale par M. de Fontanes, grand-maître de l'Université. Admis à l'École à la rentrée du mois d'août, il y fit la connaissance des élèves des deux premières promotions de 1810 et 1811, et, entre autres, de MM. Cousin, Dutrey, Fargeau, Guigniaut et Patin; mais il se lia plus intimement avec Des Michels et Augustin Thierry, qu'il revit plus tard à Hyères. En sortant de l'École normale, en 1814, M. Thouron professa la rhétorique, à Paris, dans l'institution Mailhat (dit collége des Écossais), où il remplaça son camarade et ami, M. Ozaneaux, qui devint ensuite inspecteur général de l'Université. Il fit en même temps son droit, et quand la Restauration eut délié les anciens élèves de l'engagement qu'ils avaient pris, de se livrer à l'enseignement pendant dix ans, il quitta Paris pour venir à Toulon exercer la profession d'avocat.

Associé, dès son arrivée à Toulon, à un avoué, qui lui céda plus tard son étude (1), M. Thouron s'occupa avec zèle des affai

(1) M. Coriol, qui lui avait cédé sa charge moyennant 15,000 francs,

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