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LE CENSEUR.

L'autorité d'un grand homme est déplacée ici. Il ne s'agit que de bagatelles que vous pouvez sacrifier sans regret.

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En êtes-vous moins censeur, et très-cen

seur?

LE CENSEUR.

Je vous en fais juge.

COLLÉ.

Eh bien! après avoir lu ou chanté en secret mes couplets les plus graveleux, les prudes n'en auront pas plus de charité, et les bigots pas plus de tolérance, Laissez à ces gens-là le soin de me mettre à l'index. Si vous leur ôtez le plaisir de crier de temps à autre, on finira par croire à la réalité de leurs vertus. Mes chansons peuvent fournir une occasion de savoir à quoi s'en tenir sur le compte de ces messieurs et de ces dames. C'est un

f

service qu'elles rendront aux gens véritablement sages, qui, toujours indulgens, pardonnent des écarts à la gaîté, et permettent à l'innocence de sourire.

LE CENSEUR.

Hors de mon cabinet, je pourrais trouver vos raisons bonnes; ici, elles ne sont que spécieuses. Je vous répète donc qu'il est impossible que j'autorise l'impression des chansons que vous défendez si bien.

COLLÉ.

En ce cas, je prends mon parti. Je les ferai imprimer en Hollande sous le titre de Chansons que mon censeur n'a

pas

dû me

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passer.

LE CENSEUR.

Je vous en retiens un exemplaire.

COLLÉ.

Vous mériteriez que je vous les dédiasse.

LE CENSEUR.

Vous pouvez les adresser mieux, vous, monsieur Collé, qui avez pour protecteur un prince de l'auguste maison dont vous avez si bien fait parler le héros.

COLLÉ.

Que ne me protège-t-il contre les cen

seurs.

LE CENSEUR.

Et contre les feuilles périodiques.

COLLÉ.

En effet, elles sont la seconde plaie de la littérature.

LE CENSEUR.

Quelle est la première, s'il vous plaît?

COLLÉ.

Je vous le laisse deviner, et cours chez l'imprimeur, qui m'attend.

LE CENSEUR.

Un moment. Je sais que, jour par jour, vous écrivez ce que vous avez dit et fait. Ne vous avisez point de transcrire ainsi notre

conversation.

COLLÉ.

Vous n'y serez point compromis.

LE CENSEUR.

Bien; mais un jour, quelque écolier pourrait s'appuyer de vos arguments, et, à l'abri de votre nom, tenter de justifier..............

Ici l'écriture, absolument illisible, m'a privé du reste de ce dialogue, qui n'est peutêtre intéressant que pour un auteur placé dans une situation pareille à celle où Collé s'est trouvé. Malgré le soin qu'il avait pris de ne pas le joindre aux mémoires de sa vie, ce que le censeur avait craint est arrivé; et l'écolier n'hésite point à se servir du nom de son maître, au risque d'être en butte à de graves reproches. Mon ami l'érudit m'a annoncé qu'il m'en arriverait malheur, et, pour donner du poids au pronostic, m'a retiré sa dissertation sur les flonflons. Le Public n'y perdra rien. Il doit l'augmenter considérablement, et l'adresser en forme de mémoire à la troisième classe de l'Institut. Elle

obtiendra peut-être plus de succès que je n'ose en espérer pour mon recueil. Le moment serait mal choisi pour publier des chansons, si la futilité même des productions n'était une recommandation, à une époque où l'on a plus besoin de se distraire que de s'occuper. Souhaitons que bientôt l'on puisse

lire des poëmes épiques, sans souhaiter néanmoins qu'il en paraisse autant que chaque année voit éclore de chansonniers nouveaux.

P. S. Je crois inutile d'ajouter aucune réflexion à cette préface du recueil chantant que je publiai à la fin de 1815. J'ai fait depuis quelques tentatives pour étendre le domaine de la chanson. Le succès seul peut les justifier. Des amateurs du genre pourront se plaindre de la gravité de certains sujets que j'ai cru pouvoir traiter. Voici ma réponse : La chanson vit de l'inspiration du moment. Notre époque est sérieuse, même un peu triste : j'ai dû prendre le ton qu'elle m'a donné; il est probable que je ne l'aurais pas choisi. Je pourrais repousser ainsi plusieurs autres critiques, s'il n'était naturel de penser qu'on accordera trop peu d'attention à ces chansons pour qu'il soit nécessaire de les defendre sérieusement. Un recueil de chansons est et sera toujours un livre sans conséquence.

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