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J'ai été, au contraire, forcé d'indiquer la suppression d'un grand nombre.

COLLÉ (feuilletant son manuscrit).

Quoi! monsieur, vous exigez que je retranche........ (Ici le papier endommagé ne permet que de deviner le titre des chansons supprimées par le censeur.)

LE CENSEUR.

Vous n'avez pas dû penser que cela passerait à la censure.

COLLÉ.

Elles ont passé bien ailleurs.

LE CENSEUR.

Raison de plus.

COLLÉ.

Pardonnez; je ne connaissais

encore les raisons d'un censeur.

LE CENSEUR.

pas bien

Examinons, avec sang-froid, les deux genres de chansons qui m'ont contraint à la sévérité. D'abord, pourquoi, dans les vaudevilles, mêlez-vous toujours quelque trait de satire relatif aux circonstances?

COLLE.

Que ne me demandez-vous plutôt pourquoi je fais des vaudevilles? La chanson est essentiellement du parti de l'opposition. D'ailleurs en frondant quelques abus, qui n'en seront pas moins éternels; en ridiculisant quelques personnages à qui l'on pourrait souhaiter de n'être que ridicules, ai-je insulté jamais à ce qui a droit au respect de tous? Le respect pour le Souverain paraît-il me coûter?

LE CENSEUR.

Mais les ministres, monsieur, les ministres! Si, à Naples, l'on peut sans danger offenser la Divinité, il n'y fait pas bon pour ceux qui parlent mal de saint Janvier.

COLLÉ.

Je le conçois : à Naples, saint Janvier passe pour faire des miracles.

LE CENSEUR.

Vous y seriez aussi incrédule qu'à Paris.

COLLÉ.

Dites aussi clairvoyant.

LE CENSEUR.

Tant pis pour vous, monsieur. Au fait, de quoi se mêlent les faiseurs de chansons? Vous en pouvez convenir avec moins de peine qu'un autre; les chansonniers sont en littérature ce que les ménétriers sont en musique.

COLLÉ.

Je l'ai dit cent fois avant vous. Mais convenez, à votre tour, qu'il en est quelquesuns qui ne jouent pas du violon pour tout le monde. Plusieurs ne seraient pas indignes de faire partie de la musique dont le grand Condé se servait pour ouvrir la tranchée (1), et tous deviennent utiles lorsqu'il s'agit de faire célébrer au peuple des triomphes dont sans eux, fort souvent, il ne sentirait que le poids.

LE CENSEUR.

Je n'ai point oublié la jolie chanson du Port-Mahon. Monsieur Collé, ce n'est pas à

(1) Le grand Condé ouvrit la tranchée devant Lérida au son des violons et des hautbois.

vous qu'on reprochera l'anglomanie. Mais cela ne suffit pas. Pourquoi, par exemple, vous être fait l'apôtre de certaines idées hardies, de certains principes d'indépendance qu'il vaudrait mieux combattre ?

COLLÉ.

J'entends de quelles idées vous voulez parler. Combattre ces idées, monsieur! il n'y aurait pas plus de mérite à cela qu'à faire en Prusse des épigrammes contre les capucins. Ne trouvez-vous pas même que la plupart de ceux qui attaquent ces idées, qui peut-être au fond sont les vôtres, ressemblent à des aveugles qui voudraient casser les réverbères ?

LE CENSEUR.

Je suis de votre avis, si vous voulez dire qu'ils frappent à côté. Mais revenons à vos chansons. Tout le monde rend justice à la loyauté de votre caractère, à la régularité de vos mœurs, et je pense qu'il sera aisé de vous convaincre du tort que vous feraient certaines gaillardises que je vous engage à faire disparaître de votre recueil,

COLLÉ.

C'est parce que je ne crains point qu'on examine mes mœurs, que je me suis permis de peindre celles du temps avec une exactitude qui participe de leur licence (1).

LE CENSEUR.

Vos tableaux choqueront les regards des gens rigides.

COLLÉ.

La Chasteté porte un bandeau.

LE CENSEUR.

Elle n'est pas sourde, et le ton libre de plusieurs de vos chansons peut augmenter la corruption dont vous faites la satire.

COLLÉ.

Quoi! comme l'a dit le bon La Fontaine,

Les mères, les maris me prendront aux cheveux
Pour dix ou douze contes bleus!

Voyez un peu la belle affaire!

Ce que je n'ai pas fait, mon livre irait le faire !

(1) Plusieurs de ces raisonnemens se retrouvent dans une notice piquante et spirituelle, placée en tête du recueil complet des chansons de Collé, publié par M. Auger, censeur et membre de l'Académie française.

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