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Rabaissez donc ces hommes dont tout le talent ne consiste qu'à plaire, qu'à flatter, qu'à éblouir, qu'à s'insinuer pour faire fortune. Si vous y manquez, vous remplirez indignement vos places, et le vrai mérite demeurera toujours en arriere. Votre devoir est de reculer ceux qui s'avancent trop, et d'avancer ceux qui demeurent reculés en faisant leur devoir.

DIRECTION XXXVII ET DERNIERE.

N'avez-vous point entassé trop d'emplois sur la tête d'un seul homme, soit pour contenter son ambition, soit pour vous épargner la peine d'avoir beau coup de gens à qui vous soyez obligé de parler? Dès qu'un homme est l'homme à la mode, on lui donne tout, on voudroit qu'il fit lui seul toutes choses. Ce n'est pas qu'on l'aime, car on n'aime rien; ce n'est pas qu'on s'y fie, car on se défie de la probité de tout le monde ; ce n'est pas qu'on le trouve parfait, car on est ravi de le critiquer souvent mais c'est qu'on est paresseux et sauvage. On ne veut point avoir à compter avec tant de gens. Pour en voir moins et pour n'être point observé de près par tant de personnes, on fera faire à un seul homme ce que quatre auroient grand'peine à bien faire. Le public en souffre, les expéditions languissent; les surprises et les injustices sont plus fréquentes et plus irrémédiables. L'homme est accablé et seroit bien fâché de ne l'être

pas: il n'a le temps, ni de penser, ni d'approfondir, ni de faire des plans, ni d'étudier les hommes dont il se sert : il est toujours entraîné au jour la journée par un torrent de détails à expédier.

D'ailleurs, cette multitude d'emplois sur une seule tête, souvent assez foible, exclut tous les meilleurs sujets qui pourroient se former et faire de grandes choses: tout talent demeure étouffé. La paresse du prince en est la vraie cause. Les plus petites raisons décident sur les grandes affaires. De là naissent des injustices innombrables. Pauca de te, disoit saint Augustin au comte Boniface, sed multa propter te. Peutêtre ferez-vous peu de mal par vous-même; mais il s'en fera infiniment par votre autorité mise en mauvaises mains.

SUPPLÉMENT OU ADDITION

AUX DIRECTIONS PRÉCÉDENTES,

XXV-XXX,

Concernant en particulier, non seulement le droit légitime, mais même la nécessité indispensable de former des alliances, tant offensives que défensives, contre une puissance supérieure justement redoutable aux autres et tendant manifestement à la monarchie universelle.

Les états voisins les uns des autres ne sont pas seulement obligés à se traiter mutuellement selon les regles de la justice et de la bonne foi; mais ils doivent encore, pour leur sûreté particuliere autant que pour l'intérêt commun, faire une espece de société et de république générale.

Il faut compter qu'à la longue la plus grande puissance prévaut toujours et renverse les autres, si les autres ne se réunissent point pour faire le contrepoids. Il n'est pas permis d'espérer parmi les hommes qu'une puissance supérieure demeure dans les bornes d'une exacte modération, et qu'elle ne veuille dans sa force que ce qu'elle pourroit obtenir dans sa plus

grande foiblesse. Quand même un prince seroit assez parfait pour faire un usage si merveilleux de sa prospérité, cette merveille finiroit avec son regne. L'ambition naturelle des souverains, les flatteries de leurs conseillers, et la prévention des nations entieres, ne permettent pas de croire qu'une nation qui peut subjuguer les autres s'en abstienne pendant des siecles. entiers. Un regne où éclateroit une justice si extraordinaire, seroit l'ornement de l'histoire, et un prodige qu'on ne peut plus revoir.

Il faut donc compter sur ce qui est réel et journalier, qui est que chaque nation cherche à prévaloir sur toutes les autres qui l'environnent. Chaque nation est donc obligée à veiller sans cesse, pour prévenir l'excessif agrandissement de chaque voisin, pour sa sûreté propre. Empêcher le voisin d'être trop puissant, ce n'est point faire un mal; c'est se garantir de la servitude et en garantir ses autres voisins; en un mot, c'est travailler à la liberté, à la tranquillité, au salut public: car l'agrandissement d'une nation au-delà d'une certaine borne change le systême général de toutes les nations qui ont rapport celle-là. Par exemple, toutes les successions qui sont entrées dans la maison de Bourgogne, puis celles qui ont élevé la maison d'Autriche, ont changé la face de toute l'Europe. Toute l'Europe a dû crain

TOME III,

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dre la monarchie universelle sous Charles-Quint, surtout après que François Ier eut été défait et pris à Pavie. Il est certain qu'une nation qui n'avoit rien à démêler directement avec l'Espagne ne laissoit pas alors d'être en droit, pour la liberté publique, de prévenir cette puissance rapide qui sembloit prête à tout engloutir.

Les particuliers ne sont pas en droit de s'opposer de même à l'accroissement des richesses de leurs voisins, parcequ'on doit supposer que cet accroissement d'autrui ne peut être leur ruine. Il y a des loix écrites et des magistrats pour réprimer les injustices et les violences entre les familles inégales en biens: mais pour les états, ils ne sont pas de même. Le trop grand accroissement d'un seul peut être la ruine et la servitude de tous les autres qui sont ses voisins: il n'y a ni loix écrites ni juges établis pour servir de barriere contre les invasions du plus puissant. On est toujours en droit de supposer que le plus puissant, à la longue, se prévaudra de sa force, quand il n'y aura plus d'autre force à-peu-près égale qui puisse l'arrêter. Ainsi, chaque prince est en droit et en obligation de prévenir dans son voisin cet accroissement de puissance qui jetteroit son peuple et tous les autres peuples voisins dans un danger prochain de servitude sans ressource.

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