Billeder på siden
PDF
ePub

CHAPITRE III.

Quels sont les premiers fondements de l'éducation.

POUR remédier à tous ces maux, c'est un grand avantage que de pouvoir commencer l'éducation des filles dès leur plus tendre enfance : ce premier âge, qu'on abandonne à des femmes indiscretes et quelquefois déréglées, est pourtant celui où se font les impressions les plus profondes, et qui, par conséquent, a un grand rapport à tout le reste de la vie.

Avant que les enfants sachent entièrement parler, on peut les préparer à l'instruction. On trouvera peutêtre que j'en dis trop : mais on n'a qu'à considérer ce que fait l'enfant qui ne parle pas encore; il apprend une langue qu'il parlera bientôt plus exactement que les savants ne sauroient parler les langues mortes qu'ils ont étudiées avec tant de travail dans l'âge le plus mûr. Mais qu'est-ce qu'apprendre une langue? Ce n'est pas seulement mettre dans sa mémoire un grand nombre de mots, c'est encore, dit saint Augustin, observer le sens de chacun de ces mots en particulier. L'enfant, dit-il, parmi ses cris et ses jeux, remarque de quel objet chaque parole est le signe : il le fait, tantôt en considérant les mouvements naturels des corps

qui touchent ou qui montrent les objets dont on parle, tantôt étant frappé par la fréquente répétition du même mot pour signifier le même objet. Il est vrai que le tempérament du cerveau des enfants leur donne une admirable facilité pour l'impression de toutes ces images: mais quelle attention d'esprit ne faut-il pas pour les discerner, et pour les attacher chacune à son objet!

Considérez encore combien, dès cet âge, les enfants cherchent ceux qui les flattent, et fuient ceux qui les contraignent; combien ils savent crier ou se taire pour avoir ce qu'ils souhaitent; combien ils ont déja d'artifice et de jalousie. J'ai vu, dit saint Augustin, un enfant jaloux : il ne savoit pas encore parler; et déja, avec un visage pâle et des yeux irrités, il regardoit l'enfant qui tettoit avec lui.

On peut donc compter que les enfants connoissent dès lors plus qu'on ne s'imagine d'ordinaire: ainsi vous pouvez leur donner, par des paroles qui seront aidées par des tons et des gestes, l'inclination d'être avec les personnes honnêtes et vertueuses qu'ils voient, plutôt qu'avec d'autres personnes déraisonnables qu'ils seroient en danger d'aimer : ainsi vous pouvez encore, par les différents airs de votre visage et par le ton de votre voix, leur représenter avec horreur les gens qu'ils ont vus en colere ou dans quelque

autre déréglement, et prendre les tons les plus doux. avec le visage le plus serein pour leur représenter avec admiration ce qu'ils ont vu faire de sage et de modeste.

Je ne donne pas ces petites choses pour grandes: mais enfin ces dispositions éloignées sont des commencements qu'il ne faut pas négliger, et cette maniere de prévenir de loin les enfants a des suites insensibles qui facilitent l'éducation.

Si on doute encore du pouvoir que ces premiers préjugés de l'enfance ont sur les hommes, on n'a qu'à voir combien le souvenir des choses qu'on a aimées dans l'enfance est encore vif et touchant dans un âge avancé. Si, au lieu de donner aux enfants de vaines craintes des fantômes et des esprits, qui ne font qu'affoiblir, par de trop grands ébranlements, leur cerveau encore tendre; si, au lieu de les laisser suivre toutes les imaginations de leurs nourrices pour les choses qu'ils doivent aimer ou fuir, on s'attachoit à leur donner toujours une idée agréable du bien et une idée affreuse du mal : cette prévention leur faciliteroit beaucoup dans la suite la pratique de toutes les vertus. Au contraire on leur fait craindre un prêtre vêtu de noir, on ne leur parle de la mort que pour les effrayer, on leur raconte que les morts reviennent la nuit sous des figures hideuses : tout cela

TOME III,

D

n'aboutit qu'à rendre une ame foible et timide, et qu'à la préoccuper contre les meilleures choses.

Ce qui est le plus utile dans les premieres années de l'enfance, c'est de ménager la santé de l'enfant, de tâcher de lui faire un sang doux par le choix des aliments et par un régime de vie simple; c'est de régler ses repas, en sorte qu'il mange toujours à-peuprès aux mêmes heures; qu'il mange assez souvent à proportion de son besoin; qu'il ne mange point hors de son repas, parceque c'est surcharger l'estomac pendant que la digestion n'est pas finie; qu'il ne mange rien de haut goût qui l'excite à manger au-delà de son besoin, et qui le dégoûte des aliments plus convenables à sa santé; qu'enfin on ne lui serve pas trop de choses différentes, car la variété des viandes qui viennent l'une après l'autre soutient l'appétit après que le vrai besoin de manger est fini.

Ce qu'il y a encore de très important, c'est de laisser affermir les organes en ne pressant point l'instruction, d'éviter tout ce qui peut allumer les passions, d'accoutumer doucement l'enfant à être privé des choses pour lesquelles il a témoigné trop d'ardeur, afin qu'il n'espere jamais d'obtenir les choses qu'il desire.

Si peu que le naturel des enfants soit bon, on peut les rendre ainsi dociles, patients, fermes, gais et tran

y

quilles : au lieu que, si on néglige ce premier âge, ils deviennent ardents et inquiets pour toute leur vie; leur sang se brûle; les habitudes se forment; le corps, encore tendre, et l'ame, qui n'a encore aucune pente vers aucun objet, se plient vers le mal; il se fait en eux une espece de second péché originel, qui est la source de mille désordres quand ils sont plus grands.

Dès qu'ils sont dans un âge plus avancé où leur raison est toute développée, il faut que toutes les paroles qu'on leur dit servent à leur faire aimer la vérité et à leur inspirer le mépris de toute dissimulation. Ainsi on ne doit jamais se servir d'aucune feinte pour les appaiser ou pour leur persuader ce qu'on veut: par là, on leur enseigne la finesse, qu'ils n'oublient jamais. Il faut les mener par la raison autant qu'on peut.

Mais examinons de plus près l'état des enfants, pour voir plus en détail ce qui leur convient. La substance de leur cerveau est molle, et elle se durcit tous les jours; pour leur esprit, il ne sait rien, tout lui est nouveau. Cette mollesse du cerveau fait que tout s'y imprime facilement, et la surprise de la nouveauté fait qu'ils admirent aisément et qu'ils sont fort curieux. Il est vrai aussi que cette humidité et cette mollesse du cerveau, jointes à une grande chaleur, lui donnent un mouvement facile et continuel; de là vient

« ForrigeFortsæt »