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ments artificiels, font perdre le goût de ces beautés supérieures et solides qui vont tout droit au cœur.

Ceux qui n'estiment que le bel esprit ne goûteront peut-être pas la simplicité de ces dialogues; mais ils penseroient autrement, s'ils considéroient qu'il y a différents styles de dialogues. L'antiquité nous en fournit deux exemples illustres; les dialogues de Platon, et ceux de Lucien. Le premier, en vrai philosophe, ne songe qu'à donner de la force à ses raisonnements, et n'affecte jamais d'autre langage que celui d'une conversation ordinaire; tout est net, simple et familier. Lucien, au contraire, met de l'esprit partout; tous les dieux, tous les hommes, qu'il fait par ler, sont des gens d'une imagination vive et délicate. Ne reconnoît-on pas d'abord que ce ne sont pas les hommes ni les dieux qui parlent, mais Lucien qui les fait parler? On ne peut pas cependant nier que ce ne soit un auteur original qui réussit merveilleusement dans son genre d'écrire. Lucien se moquoit des hommes avec finesse et avec agrément; mais Platon les instruisoit avec gravité et sagesse. M. de Cambrai a su imiter tous les deux selon la diversité de ses sujets. Dans les Dialogues des morts, qu'il a écrits pour l'instruction du jeune prince son éleve, trouvera toute la délicatesse et l'enjouement de Lucien. Dans ceux-ci, où il s'agit de donner des regles d'une éloquence grave et propre à instruire les hommes en les touchant, il imite Platon : tout est naturel, tout est ramené à l'instruction; l'esprit disparoît, pour ne laisser parler que la sagesse et la vérité.

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On a cru que la Lettre qui se trouvera à la suite de ces Dialogues pouvoit y être convenablement

TOME III,

Y

:

placée le succès qu'elle a déja eu dans le public fait espérer qu'il ne sera pas fâché de la retrouver ici. De ces deux ouvrages, le premier n'avoit pas encore paru, et a été composé dans la jeunesse de feu M. de Cambrai : le second l'a été dans les derniers temps de sa vie. On reconnoîtra dans l'un et dans l'autre le même goût, le même génie, les mêmes maximes, le même but en écrivant, de ramener tout au vrai et au solide.

DIALOGUES

SUR L'ÉLOQUENCE.

DIALOGUE PREMIER.

Les personnes A. B. C.

A. HE bien! monsieur, vous venez donc d'entendre le sermon où vous vouliez me mener tantôt ? Pour moi, je me suis contenté du prédicateur de notre paroisse.

B. Je suis charmé du mien; vous avez bien perdu, monsieur, de n'y être pas. J'ai arrêté une place pour ne manquer aucun sermon du carême. C'est un homme admirable: si vous l'aviez une fois entendu, il vous dégoûteroit de tous les autres.

A. Je me garderai donc bien de l'aller entendre, car je ne veux point qu'un prédicateur me dégoûte des autres; au contraire, je cherche un homme qui me donne un tel goût et une telle estime pour la parole de Dieu, que j'en sois plus disposé à l'écouter par-tout ailleurs. Mais puisque j'ai tant perdu, et que vous êtes plein de ce beau sermon, vous pouvez,

monsieur, me dédommager : de grace, dites-nous quelque chose de ce que vous avez retenu.

B. Je défigurerois ce sermon par mon récit: ce sont cent beautés qui échappent; il faudroit être le prédicateur même, pour vous dire . . .

A. Mais encore? Son dessein, ses preuves, sa morale, les principales vérités qui ont fait le corps de son discours? Ne vous reste-t-il rien dans l'esprit? est-ce que vous n'étiez pas attentif?

B. Pardonnez-moi, jamais je ne l'ai été davantage. C. Quoi donc ! vous voulez vous faire prier?

B. Non: mais c'est que ce sont des pensées si délicates, et qui dépendent tellement du tour et de la finesse de l'expression, qu'après avoir charmé dans le moment elles ne se retrouvent pas aisément dans la suite. Quand même vous les retrouveriez, ditesles dans d'autres termes, ce n'est plus la même chose, elles perdent leur grace et leur force.

A. Ce sont donc, monsieur, des beautés bien fragiles; en les voulant toucher on les fait disparoître. J'aimerois bien mieux un discours qui eût plus de corps et moins d'esprit, il feroit une forte impression, on retiendroit mieux les choses. Pourquoi parle-t-on, sinon pour persuader, pour instruire, et pour faire en sorte que l'auditeur retienne ?

C. Vous voilà, monsieur, engagé à parler.

B. Hé bien ! disons donc ce que j'ai retenu. Voici le texte Cinerem tanquam panem manducabam, je mangeois la cendre comme mon pain, Peut-on trouver un texte plus ingénieux pour le jour des cendres? Il a montré que, selon ce passage, la cendre doit être aujourd'hui la nourriture de nos ames; puis il a enchâssé dans son avant-propos, le plus agréablement du monde, l'histoire d'Artémise sur les cendres de son époux. Sa chûte à son Ave Maria a été pleine d'art. Sa division étoit heureuse, vous en jugerez. Cette cendre, dit-il, quoiqu'elle soit un signe de pénitence, est un principe de félicité; quoiqu'elle semble nous humilier, elle est une source de gloire; quoiqu'elle représente la mort, elle est un remede qui donne l'immortalité. Il a repris cette division en plusieurs manieres, et chaque fois il donnoit un nouveau lustre à ses antitheses. Le reste du discours n'étoit ni moins poli, ni moins brillant : la diction étoit pure, les pensées nouvelles, les périodes nombreuses; chacune finissoit par quelque trait surpre nant. Il nous a fait des peintures morales où chacun se trouvoit il a fait une anatomie des passions du cœur humain, qui égale les maximes de M. de la Rochefoucauld. Enfin, selon moi, c'étoit un ouvrage achevé. Mais vous, monsieur, qu'en pensez-vous?

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A. Je crains de vous parler sur ce sermon, et de

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