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dans beaucoup de circonstances, qu'avec l'espèce d'hésitation que lui donnait la conscience de ses succès trop faciles.

Pompée était un homme de parade et de représentation. Il avait une belle figure, des manières hautes et fières, une certaine majesté qui le rendait très-propre à figurer dans les cérémonies: ses flatteurs lui trouvaient une grande ressemblance, avee Alexandre, et il permettait volontiers qu'on lui en donnât le nom. C'était un ambitieux de l'espèce de ceux qui n'ont de l'ambition que le goût pour la représentation et la pompe. Quand il était hors de charge, au lieu de chercher à se rendre nécessaire par ses talents, de fréquenter le barreau, d'accuser ou de défendre, comme faisaient tous les hommes distingués de son temps, il fuyait les tribunaux et les autres lieux d'assemblée; il ne voulait ni soumettre ses idées au public ni exposer sa personne au grand jour; il affectait de se tenir à l'écart dans une espèce de solitude majestueuse, comme le dieu familier de la république, auquel on venait s'adresser dans toutes les grandes crises; il recevait les hommages comme un tribut qui lui était dû, et ne regardait pas ses amis politiques comme des partisans de sa haute position, qui le flattaient en proportion de ce qu'ils attendaient de lui, mais comme des clients qui l'aimaient pour l'honneur de son amitié, et qui venaient s'abriter sous sa gloire. S'il lui arrivait d'honorer les Romains de sa présence, ce qu'il faisait rarement pour ne pas sẻ prodiguer, c'était un jour de spectacle pour le peuple que cette longue file de suivants qui accompagnaient

sa litière; on sifflait ou on applaudissait on sifflait le faste royal de cet homme, qui n'était pas de force à se faire roi; on applaudissait au dépit que ces airs de grandeur donnaient au sénat et à la noblesse.

Le jour du triomphe était le grand jour de Pompée. Après ses faciles victoires sur Mithridate, et cette promenade en Orient, qui faisait dire à Lucullus que Pompée était un oiseau de cœur lâche qui dévorait les cadavres qu'un autre avait jetés par terre, et qui dissipait les restes des guerres faites par autrui, Pompée triompha pendant deux jours. Jamais triomphateur n'avait présenté une si longue suite d'écriteaux, portant les noms des pays qu'il avait conquis. Afin de multiplier ces écriteaux, Pompée avait pénétré dans des provinces dont les peuples étaient subjugués, ou si faibles qu'ils ne pouvaient faire une résistance sérieuse. Les noms de quelques cantons de l'Asie que Pompée avait transformés en provinces, et de quelques peuplades dont il avait fait des nations, figuraient sur la liste de ses conquêtes. Là où il n'avait pas pu faire de prisonniers, faute de résistance, il avait recueilli des choses curieuses, des habits de guerre, des meubles, et emmené des indigènes de bonne volonté pour faire le personnage de captifs. On voyait à son triomphe des pièces de vaisselle en cristal, des lames d'or, une montagne d'or, avec des daims et des lions, et sa propre statue incrustée de perles. Pompée précédé de portraits, de tableaux et d'effigies, suivi de princes captifs, de provinces conquises, jouissait de son triomphe, non pour le crédit qui lui en revenait dans le public, mais pour le plaisir de se

voir sur un char, dominant la foule immense de ce peuple qui l'applaudissait d'autant plus qu'il le craignait moins. Ce n'était pas aux Romains, mais à lui-même, qu'il donnait ce spectacle.

Descendu de son char, l'ambition reprenait le dessus. Pompée aspirait à l'empire, et n'osait pas s'en emparer. Il ne voulait pas s'y placer, et n'y pouvait souffrir personne. Il aurait désiré qu'on vint le lui offrir solennellement, les joueurs de flûte et les colléges de prêtres en tête, un jour que Rome aurait été si éprise de sa gloire, qu'elle se serait donnée à lui par amour. Ce faux grand homme ne comprenait pas que les nations ne se donnent qu'à celui qui sait les prendre, qu'il n'est pas de peuple tombé si bas, qui s'offre comme une courtisane, et que quand une république est dégénérée au point d'avoir besoin du despotisme pour vivre, il faut que l'homme qui est de taille à y prétendre fasse tout au moins semblant de s'en emparer par un coup de main, afin d'épargner à la république la honte de s'être livrée. Pompée ne voyait le pouvoir que dans les honneurs extraordinaires, quoiqu'il vécût dans un pays où un simple tribun était quelquefois maître de la nation : il avait plus besoin de paraître que d'être; et il était moins dangereux pour la liberté placé au faîte des honneurs que rentré dans la condition privée, parce que, redevenu candidat, il briguait les honneurs avec les mêmes moyens qui servent à usurper le pouvoir, et qui sont toujours funestes à la liberté. Dictateur, il était moins à craindre que simple citoyen, parce qu'ayant la dictature, il était beaucoup plus modéré que sa

charge, et que ne l'ayant pas, il remuait l'État comme s'il eût prétendu à quelque chose de plus.

Ce fut là toute sa politique à l'intérieur : vouloir tout et n'oser rien; ce qui ne veut pas dire que Pompée ne fît jamais de violences: peu d'hommes, au contraire, en ont fait plus et de plus maladroites. Il lui arriva de sortir d'une élection, sa toge couverte de sang, et de faire accoucher sa femme avant terme à la vue de ce sang qu'elle prenait pour le sien. Ses violences étaient des brigandages de place publique; il n'avait ni l'audace d'un tyran ni la vertu d'un citoyen. Il commettait ou laissait commettre des meurtres pour n'arriver qu'à la seconde place, et quand il pouvait prendre la première sans verser une goutte de sang, le cœur lui manquait.

ces

Pompée avait à son service et même à ses gages des émissaires qui le louaient sans mesure. Dans ses moments de solitude et de haut silence, émissaires redoublaient d'ardeur, pour faire en sorte qu'absent il parût présent. C'était une espèce de renommée à cent voix, à laquelle Pompée dictait sa leçon, et qui ne permettait pas qu'on l'oubliât un moment. Outre ces émissaires, Pompée avait de nombreux amis chargés de briguer pour lui les charges, de lui faire offrir les commandements extraordinaires, et qu'il se réservait de désavouer, si la brigue ne réussissait point. A chaque événement de quelque importance, soit que la guerre éclatât dans l'intérieur ou aux frontières, soit que l'ordre fût gravement troublé dans Rome, cette nuée de panégyristes à gages et de clients enthousiastes pré

sentait Pompée au peuple et au sénat, comme le seul homme capable d'empêcher la crise ou de la faire tourner au profit de la république. Pompée, renfermé dans ses jardins, était tenu au courant de ces menées et en dirigeait le fil. S'il voyait que la chose fût bien prise par le peuple, il sortait de son sanctuaire, et daignait appuyer par sa présence une brigue qui semblait être celle de tout le monde; si, au contraire, il était averti que le peuple y avait de la répugnance, il faisait dire, par une partie de ses émissaires spécialement chargés de démentir l'autre, qu'il n'avait jamais songé à élever ses prétentions si haut. Dix fois il joua cette comédie, au grand scandale des gens de bien qui méprisaient un homme assez fort pour menacer la liberté, mais pas assez hardi pour la confisquer.

Pendant qu'il était en Asie, un tribun de ses amis demanda qu'on le rappelât avec son armée pour rétablir la constitution violée par les exécutions illégales des complices de Catilina. Ce fut la seule fois que Pompée inspira une sorte de terreur. Il venait de se couvrir de gloire dans la guerre des pirates; il avait parcouru l'Asie en conquérant, recevant les soumissions des villes, et dispersant les dernières résistances. Le seul ennemi sérieux de la république, Mithridate, battu une première fois par Pompée, n'avait pas survécu à sa défaite. Pompée était à la tête d'une armée puissante, qu'il avait enrichie des dépouilles de l'Asie. On commençait à comparer sa position à celle de Sylla, et beaucoup craignaient qu'il ne lui prît envie de compléter les ressemblances que la fortune s'était plu à mettre

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