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III

TITE-LIVE

TITE-LIVE.

I. Qu'on doit commencer l'étude d'une littérature par ses historiens. De la critique des historiens secondaires.

II. Du vrai, et à quels signes on le reconnaît dans les ouvrages de l'esprit.

III. Détails biographiques sur Tite Live. Tite-Live appartenait-il à un parti?

IV. Différences entre la morale de Salluste et celle de Tite-Live. V. De la sensibilité de Tite-Live comparée à celle de Virgile.

VI. Du patriotisme et de l'élévation morale de Tite-Live.

VII. Des défauts de Tite-Live.

VIII. Du récit de la seconde guerre punique. - Annibal.

TITE-LIVE.

I. Qu'on doit commencer l'étude d'une littérature par ses historiens. De la critique des historiens secondaires.

Pour étudier une littérature avec fruit, il semble qu'il faut commencer par les écrivains qui ont traité de l'histoire. C'est par eux seulement que nous connaissons les premiers éléments de cette littérature, à savoir le gouvernement, la constitution, la religion, les mœurs générales; c'est dans leurs écrits que respire l'âme du peuple dont cette littérature est l'expression. Les historiens nous acclimatent, pour ainsi dire, au pays; par eux nous savons tout ce qu'il y a de convenances invincibles et fatales entre une nation et le territoire qu'elle habite. Une nation est une personne, l'histoire est la biographie de cette personne.

Quand nous sommes ainsi accoutumés à ce peuple, que nous l'avons vu dans le succès et dans les revers, dans la guerre et dans la paix, passant par ces épreuves de la double fortune auxquelles on reconnaît le caractère des nations comme celui des individus, c'est le moment d'entreprendre l'étude des autres branches de sa littérature. Nous sommes préparés à goûter ses poëtes, à comprendre l'autorité de ses orateurs, à juger ses philosophes et ses

critiques. Au lieu de les lire en tâtonnant, accompagnés du commentateur qui nous fourvoie le plus souvent, ou qui nous refroidit quand il nous éclaire, leurs historiens, en nous faisant de leur pays, nous ont mis à même de les lire couramment, comme des auteurs familiers. Nous ne sommes pas rebutés, dans un beau morceau de poésie, dans une harangue, dans un traité philosophique, par une sorte d'archéologie à laquelle nous n'avons pas été initiés, et, en même temps que nous y admirons ces belles pensées qui sont du domaine de l'homme dans tous les pays et dans tous les temps, vous voyons en quelque sorte la physionomie particulière de l'esprit humain dans un temps et dans un pays déterminés. Cicéron, dans ses ouvrages philosophiques, ne sera pas seulement un des bons moralistes du monde, ce sera le moraliste romain. Horace ne sera pas seulement un lyrique ou un satirique, ce sera le lyrique un peu artificiel d'un pays où l'on ne rêvait guère; ce sera le satirique d'un peuple chez qui le vice n'a jamais été élégant, et sous la mollesse duquel perce cette brutalité que lui reproche la Camille de Corneille, dans un de ces vers où ce grand homme a senti plutôt que jugé le peuple romain'.

Soit souvenir, soit préjugé de collége, il me semble que, parmi les usages de cet enseignement des langues anciennes, qui a pour ennemis tous ceux qui ont fait de méchantes études, celui-là n'est pas le plus mauvais qui nous faisait apprendre les éléments du latin dans un abrégé de l'histoire romaine. Nous arrivions ainsi aux grands écrivains de Rome avec des

Leur brutale vertu veut qu'on s'estime heureux Horace, IV, 4.

impressions déjà fortes de la grandeur de leur pays. Le jour où j'ai dû songer à un plan d'étude, sur la littérature latine, j'ai trouvé cette indication dans mes souvenirs. Seulement, au lieu d'un petit abrégé où le latin n'est pas toujours romain, j'ai voulu lire l'histoire romaine dans les auteurs originaux, dans les Romains qui ont écrit les annales de leur pays.

La liste des historiens romains est courte; elle se compose de quatre noms: César, Salluste, Tite-Live, Tacite. Des hauteurs où ils ont élevé l'histoire, on tombe tout à coup soit dans la chronique négligée et suspecte de Suétone, soit dans les abrégés plus brillants que solides de Velléius Paterculus et de Florus, soit dans les prétentions encyclopédiques d'Ammien Marcellin. Ou bien ce sont des auteurs qui ont écrit des vies ou des résumés d'histoire universelle Cornelius Nepos, qui fait penser à Plutarque; Quinte-Curce, dont les fleurs ne nous consolent pas de n'avoir point une histoire originale d'Alexandre; Justin, qui est accablé par le Discours sur l'Histoire universelle de Bossuet. Ces auteurs, dont aucun d'ailleurs n'est méprisable, ont pour principal mérite d'offrir des textes appropriés à un certain temps des études classiques et de servir comme de degrés dans la connaissance du latin.

Peut-être eût-il été plus juste de les comprendre dans l'étude générale des historiens; j'avoue que je ne m'en sens pas le goût. Quand nous jugeons les écrivains secondaires, ou bien nous triomphons d'eux, ou bien nous les protégeons. Là où il y a trop à critiquer, le profit ne vaut pas le chagrin qu'on se donne; là où il est besoin de faire valoir

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