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Pascal, Bossuet, quelles sources pures et profondes du beau et du bien ! Et Molière, pourquoi est-il le premier, sinon parce qu'il a été le meilleur?

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Nous étudierons Salluste d'après la méthode suivie pour son prédécesseur César. Ce sera encore une lecture approfondie, à laquelle nous demanderons tout ce qu'un esprit cultivé peut chercher dans un monument historique la vérité des faits et des jugements, et la beauté littéraire qui n'en est que l'expression parfaite. Pénétrer, sans vains raffinements, dans la pensée d'un écrivain supérieur; voir, par delà ce qu'il a écrit, le dessein qui l'a fait écrire; entrer, pour ainsi dire, dans sa confidence et son secret, et en sachant à fond tout ce qu'il a voulu qu'on sût, savoir encore tout ce qu'il a pensé cacher; voilà ce que j'appelle lire un auteur pour en rendre la lecture digne d'un auditoire. Une première lecture, comme on l'entend d'ordinaire, nous découvre à peine quelques beautés de détail éclatantes. Une seconde nous rapproche du plan, des proportions, nous fait voir plus avant dans le dessein de l'auteur. D'autres beautés se révéleront dans une troisième lecture, et seront comme la conquête attachée à chaque effort nouveau.

Mais pourquoi parler d'effort? Ceux qui nous disent de lire les grands écrivains nous invitent au plaisir bien plus qu'à la peine. Quand vous entendez parler de quelque homme supérieur, mêlé aux grandes affaires, vous enviez celui qui vous dit: Je l'ai vu. Eh bien! en étudiant les grands écrivains, vous les voyez, ils vous parlent, ils vous font leur confident. Ce ne sont plus des morceaux de littéra

ture, des préceptes de goût, des règles de style, ou des vérités générales sous la forme de beautés littéraires; c'est l'écrivain lui-même qui vous appelle dans un coin et vous entretient à voix basse des motifs qui ont conduit sa plume.

Dans l'histoire de la conjuration de Catilina, Salluste aura plus d'une explication à nous donner. Nous lui demanderons s'il n'a rien omis ni rien outré; s'il a été juste pour tout le monde, et pour Cicéron notamment, même quand il le qualifie d'excellent consul; s'il a été assez explicite sur les causes de la conjuration; si, pour en faire valoir l'effet dramatique, il n'en a pas négligé le côté politique; nous verrons s'il a tenu la balance juste entre tous ceux qu'il prétend y peser, et si sa morale est une foi ou une contenance; nous l'admirerons avec liberté, et nous ne sacrifierons aucune vérité aux séductions de ce commerce avec l'un des écrivains de l'antiquité qui ont le plus de prestige.

Dans l'histoire de Jugurtha, Salluste étant plus loin de l'événement, et n'ayant qu'un intérêt pour ainsi dire rétrospectif dans les luttes de parti que suscita cette guerre, nous pourrons admirer avec moins de réserve cette suite de caractères, de peintures, de harangues, qui font de la Jugurthine un morceau d'histoire accompli. En suivant Jugurtha dans ses fuites et dans sa guerre d'embûches, sur cette terre de Numidie devenue l'Afrique française, les allusions viendront s'offrir à nous d'elles-mêmes. Nous ne les rechercherons pas. Je ne voudrais pas mettre des études sévères sous la protection de

quelque préoccupation contemporaine. Entre deux torts, celui de mal faire valoir un monument admirable, et celui d'attirer ou de retenir des auditeurs par des caresses à leurs idées d'un jour, j'aimerai toujours mieux le premier qui ne commet que le professeur, que le second qui commettrait l'enseignement. Mais, je regarderais comme un très-bon fruit de cette étude, que nous pussions y prendre quelques leçons de patience, afin de ne pas nous étonner que, n'ajoutant pas, comme les Romains, à tous les moyens de guerre la trahison, nous n'ayons pas encore abattu le moderne Jugurtha'. Il y aura d'ailleurs d'autres différences entre la conquête romaine et la nôtre, non moins certaine, mais plus pure. Ce n'est point pour la donner en pillage à des gouverneurs, que nous voulons nous rendre maîtres de l'Afrique. La civilisation française en face de la barbarie arabe, c'est la raison en face de l'instinct sauvage, c'est la justice en face de la violence, c'est la liberté en face de la fatalité. Nous n'avons point de Calpurnius ni de Scaurus, et la déclamation n'en est point venue jusqu'à dire que Jugurtha avait des amis dans notre sénat.

Je dois remercier, en finissant, ceux qui, l'année dernière, ont bien voulu me suivre dans ces études aujourd'hui négligées, auxquelles on ne se porte plus guère que par profession. Le double écueil d'un enseignement des littératures anciennes, c'est, d'une part, que le professeur est prêt à se faire un tort personnel de n'y savoir pas attirer d'auditeurs, et, d'autre part, qu'il risque de se

1. J'écrivais cela en 1846.

trop passionner pour des dieux qu'il croit abandonnés. Je remercie ceux de mes auditeurs qui m'ont persuadé à la fois que des efforts sincères et persévérants, dût-il y manquer la grâce du talent, obtenaient toujours une estime encourageante, et que ces dieux auxquels ont cru nos plus grands hommes ont encore des fidèles. J'avais pu craindre que cette douceur d'admirer les chefs-d'œuvre du génie latin ne fût que pour moi; ils m'ont prouvé qu'elle nous était commune. Je leur dois une partie du plaisir profond que je viens de tirer de mon long commerce avec Salluste. Celui pour qui les beautés des lettres ne sont que des vérités pratiques, ou sévères ou charmantes, n'ose pas les aimer seul et secrètement; il craint de s'y tromper, et il suspecterait d'illusion ses délices solitaires. Pour aimer avec sécurité, il a besoin de savoir qu'il a raison d'aimer; il ne jouit des vérités que l'étude lui a révélées qu'au moment même où il les partage avec d'autres; et c'est ainsi seulement que l'assentiment d'un auditoire fortifie le professeur et ennoblit l'enseigne

ment.

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