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sance qu'il avait des caractères, il a assisté en personne aux revers comme aux succès qui s'accomplissaient loin de lui.

Un des plus beaux ornements de l'histoire, telle que les anciens l'ont traitée, ce sont les harangues. Il s'agit de ces pièces d'éloquence composées, soit • d'après la tradition de discours prononcés en effet, soit, à défaut de traditions, d'après la situation et les mœurs des personnages. Thucydide y a le premier excellé et a transmis aux Latins l'art de ces mensonges ingénieux qui donnent uniformément aux personnages les plus divers le tour d'esprit et le langage de l'historien qui les fait parler. A peine en trouve-t-on un exemple dans César. Mais, en revanche, ses récits sont coupés, tantôt par des discours indirects qui donnent la substance de ce qui a été dit, et nous épargnent le luxe un peu vain du travail oratoire, tantôt par de courtes harangues militaires qui, au lieu de suspendre l'action, la continuent. Tout y est vrai et nécessaire. La circonstance provoque le discours; il faut s'expliquer; tout est prêt; le lieu de la scène, les auditeurs; parler, à cette heure, c'est la seule façon d'agir efficacement. Dans la méthode des harangues de cabinet, l'historien semble un appariteur qui dresse froidement une tribune sur la scène, pour qu'un orateur, formé par quelque Gorgias, y récite un discours étudié. Les harangues composées sur ce modèle veulent si peu être lues à la place qu'elles occupent dans le récit, qu'on en a fait des recueils détachés qui s'étudient à part, et non sans fruit d'ailleurs; et tel a su par cœur les harangues qui n'avait pas lu le récit d'où elles

sont tirées. On n'a pas fait un choix des discours de César, bien que le plus court soit un chef-d'œuvre; il faut tout lire, discours et récit. Par cette force de naturel qui ne s'accommode d'aucun artifice littéraire, en même temps qu'il échappait à - l'imitation de la rhétorique grecque, il indiquait aux modernes dans quelle mesure l'histoire doit mêler les discours au récit. Je doute qu'il ait imaginé aucun de ceux qu'il fait tenir à ses personnages; mais, s'ils sont supposés, il faut avouer que la vérité elle-même n'a plus d'avantages sur la vraisemblance.

C'est ainsi que César a employé dans ses Mémoires les principales parties de l'histoire, tableaux, peintures de caractères, réflexions, harangues. Ces parties ne sont pas des inventions de rhéteur; ce sont les membres d'un corps: point d'histoire parfaite qui ne soit le théâtre complet de la vie humaine, qui n'en déploie les spectacles si divers et si attachants; qui n'en fasse voir les acteurs, par le fond et par le masque, agissant ou parlant; qui, par des réflexions discrètes et profondes, n'en donne la moralité. La preuve que ces parties sont vraies et nécessaires, c'est que, dans les historiens supérieurs, à chacune d'elles répond un ordre de beautés durables. En notant donc celles que César n'a traitées qu'incomplétement, et celles qu'il a négligées, je reconnais qu'il n'a pas réalisé toute la beauté des premières, et qu'il a laissé à d'autres à donner des modèles des secondes. S'il ne fait qu'indiquer les caractères, il est tout simple qu'il n'ait pas besoin des couleurs du peintre et du moraliste.

En omettant les reflexions, il s'interdit les nuances les plus délicates du langage. Les harangues de moins, dans ses récits, c'est de moins le pathétique qui échauffe certaines de ces pièces dans les bons historiens. On ne regrette pas qu'il se soit refusé le vain éclat qui vient des figures prodiguées, des mots poussés à l'image, et d'une certaine disproportion ambitieuse entre le fond et la forme; mais on y voudrait plus souvent la vive lumière qui éclaire, en les peignant, les faits du monde moral, et l'accent de l'historien qui s'émeut du mal et du bien.

Toutefois, si César n'a pas porté certaines qualités aussi loin que nous le voudrions, par comparaison avec l'idéal que nous nous sommes fait du genre historique, on sent que ce n'est point impuissance, mais dessein. Il n'a dit ni plus ni autre chose, parce qu'il ne l'a pas voulu. C'est de la force qu'il avait en réserve, et qu'il a gardée, aimant mieux laisser croire qu'elle lui manquait que de l'employer hors de propos. A moins que je ne me fasse illusion, cette sorte de retenue et d'économie judicieuse est une beauté propre à César. Quoi de plus beau en effet que de voir celui qui pouvait tout, s'en tenir à une chose et la faire si exactement; celui qui excellait dans la raillerie, effleurer à peine d'un doigt moqueur les moins estimables de ses ennemis; celui qui, dans l'éloquence, savait, au rapport de Cicéron, faire de chaque preuve comme un tableau placé dans un beau jour', se borner à de courtes harangues, pour la plupart indirectes; celui

1. Brutus, chapitre LXX.

qui, entendant la défense de Ligarius, laissait tomber l'acte d'accusation de ses mains, savoir être impartial jusqu'à paraître insensible; celui qui avait tous les talents, les gouverner si bien, et tour à tour les réunir ou les séparer si à propos, que ses facultés semblaient comme des corps d'armée distincts qu'il conduisait devant lui, les poussant tous ensemble ou séparément, selon le besoin, et les proportionnant, pour le nombre ou le degré de force, à l'obstacle qu'il avait à vaincre.

Bien donc que l'histoire ait à étendre son champ, après les Mémoires de César, il faut s'arrêter longtemps à ce premier modèle incomparable. Avec les qualités dont l'art s'enrichira, naîtront, comme par compensation, les défauts qui y répondent. Le récit, pour être plus dramatique, s'embellira de circonstances imaginaires, et deviendra comme ces tableaux où les premiers plans sont de l'invention du peintre, et servent à faire valoir les fonds. On rencontrera dans les portraits, à côté des traits pris à la nature, des caprices d'analyse morale; et des études plutôt que des ressemblances. Les réflexions dégénéreront en sentences ou deviendront déclamatoires. Les harangues seront trop souvent des pièces de rhétorique. Trop d'art conduira au procédé. Les Mémoires de César sont une première forme parfaite de l'histoire. Ce qui y manque, ne convenait ni au sujet, ni au dessein de l'auteur. Ce qui s'y voit est en perfection.

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Il y a profit à fréquenter cet esprit si sain, si proportionné, si grand sans efforts, si vigoureux sans affecter la force, si élégant sans recherche, si pro

pre à nous faire connaître et estimer notre naturel, en nous faisant admirer le sien. Il reste, du commerce des autres auteurs, une impression trop forte de la qualité qui y domine; de la concision archaïque chez celui-ci, des ornements chez celui-là, de l'éclat des figures chez un autre. Prenons garde que le plaisir que nous y trouvons ne nous rende imitateurs. Tel fait des vers durs, pour avoir été séduit par ce qu'il y a d'âpre dans la force d'un modèle; tel autre en fera de vains et de sonores, parce que, dans un modèle où règne l'élégance, il n'aura senti que l'harmonie qui en est l'effet extérieur, et point la proportion des mots aux pensées, et des pensées au sujet, qui en est la cause. Je défie qu'on imite César; car, qui pourrait y trouver une qualité dominante? Quel ton, quelle forme de discours y revient plus souvent qu'il ne faut? A quel piége l'esprit pourrait-il s'y prendre? Les critiques n'y ont noté qu'un défaut ce sont les négligences. Ils appellent de ce nom les répétitions des mêmes mots. Mais, à moins de s'amuser à compter les mots, on ne s'aperçoit même pas de ces répétitions, tant la clarté du discours les rend nécessaires. Outre que, par un privilége de la langue latine, le même mot, en changeant de cas, changeant aussi de son, de forme et pour ainsi dire de physionomie, les répétitions y sont moins sensibles que dans notre langue où le même mot, à tous les cas, se présente sous le même aspect et rend le même son.

Il n'y a pas de tour d'esprit dans les Mémoires de César. Un tour d'esprit est bien près d'être un défaut; on l'a dit, on tombe du côté où l'on penche, et cela

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