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ger plus capital que celui de périr; soit qu'on cherche à pénétrer par quels motifs il laisse toujours ses actions parler pour lui et raconte ce qu'il a fait, rarement pourquoi il l'a fait, si c'est raffinement, pour paraître d'autant plus qu'il se dérobe davantage, ou calcul politique, pour ne pas rendre toute réconciliation impossible, ou plutôt si ce n'est pas magnanimité naturelle, pour ne pas accabler à la fois ses ennemis du récit de leurs défaites et de l'apologie de ses victoires.

L'intérêt redouble quand, de l'étude de l'homme passant à l'étude de l'événement, on recherche, dans les discrètes indications de César, les causes et les caractères des guerres civiles; combien, dans ces grandes crises des États, au milieu des ressentiments, des colères, des espérances, des illusions, de toutes les passions humaines exaltées jusqu'à la. fureur, la modération est périlleuse et impuissante; quel ascendant y a la réputation; comme toutes les combinaisons des sociétés humaines, lois, coutumes, croyances, discipline, tout fait place à un seul homme qui tient lieu un moment de tout. Nous aussi, nous avons souffert de la maladie qui travaillait Rome au temps de César, et c'est par ce trait de ressemblance que les Mémoires sur la guerre civile nous touchent de si près. Nous aussi, nous avons vu tout un ordre social disparaître, et un homme remplaçant toutes choses, lequel a disparu lui-même, pour s'être cru plus fort que ce qu'il avait rétabli. Si la guerre des Gaules nous intéresse comme Français, la guerre civile nous intéresse comme fils de la révolution et de l'empire.

César, a dit M. de Chateaubriand, est l'homme le plus complet de l'histoire, parce qu'il a le triple génie du politique, du guerrier et de l'écrivain. Nous l'étudierons sous ce triple aspect.

Le politique, non dans toute la suite de sa vie : je ne fais pas un cours d'histoire; mais dans tout ce que ses Mémoires en laissent voir, et qui peut en être pénétré à travers la réserve de ses récits. Je n'ai à chercher César que dans ce qu'a écrit César.

De même, toutes les parties du guerrier ne sont pas de mon sujet. Il y a un César pour les gens de guerre; je me garderai bien d'y toucher. Le César que nous avons à étudier, c'est le guerrier dont tous les esprits cultivés ont une idée générale, où il entre plus de sentiment que de science. C'est ainsi que, sans être stratégistes, nous avons une autre idée d'Alexandre que de César, d'Annibal que de Scipion, du grand Frédéric que du roi de Suède, de Turenne que de Condé. Rechercher les traits généraux sous lesquels apparaissent aux imaginations populaires les hommes que la guerre a rendus grands; admirer par quelle puissance un seul homme fait mouvoir de si grands corps, et, comme parle Plutarque dans la Vie de César, se fait de son armée un corps dont il est l'âme; comment ces masses, auxquelles il a permis hier le pillage et le carnage, il les rendra demain modérées et humaines; comment il sait les retenir et les précipiter; par quel langage il les calme ou les exalte; s'il a eu quelque manière constante de faire la guerre, ou s'il a eu toutes celles que demandaient le lieu,

le moment, le genre de combat et d'ennemis; quelles fautes il a faites, non de tactique, mais de conduite, et quelle part il a laissée à la fortune; quel il s'est montré dans la victoire, et quel dans les revers; enfin tout ce qui est de l'homme dans le guerrier; c'est par ces points que les hommes de guerre peuvent être jugés dans le cabinet ou du haut de la chaire du professeur; c'est dans ces limites que nous jugerons César, en nous abstenant de tout ce qui regarde l'art de la guerre, s'il est vrai que, pour les hommes de la trempe de César, ait un autre art de la guerre que la discipline avec un chef de génie, en la main duquel elle est un moyen d'exécuter les plans les plus divers, les plus inattendus, les plus rebelles à toute théorie.

il y

V. Des qualités littéraires des Mémoires de César.

Quant à l'écrivain, il nous appartient tout entier. C'est l'écrivain qui nous révélera le politique, quelquefois même en voulant le cacher; c'est l'écrivain qui nous peindra le guerrier dans toutes les situations de la vie militaire. C'est dans l'écrivain que nous aurons à étudier l'éloquence, c'est-à-dire l'expression de la vérité propre à toutes les parties de l'histoire, récits, descriptions, harangues publiques, opinions dans les conseils, portraits, réflexions. Quelques-unes y sont traitées en perfection; d'autres, seulement indiquées; nous rechercherons par quelles raisons. Les premières pourront être comparées à des modèles analogues dans nos his

toriens militaires, et nous aurons peut-être sujet de rapprocher César et Napoléon.

:

Dans cette appréciation littéraire de César, nous avons un guide excellent c'est Cicéron. Le jugement qu'il a porté des Commentaires est exquis. Il a eu, certes, quelque belle statue grecque en vue, quand il en louait la nudité, la pureté et les grâces: Nudi enim sunt, recti, et venusti'. Et il ajoute : << Rien n'est plus agréable qu'une brièveté correcte et qui fait voir toutes choses. » Plus haut, dans le même traité, il fait dire à Atticus, parlant de la latinité de César : « César est peut-être de nos orateurs celui qui parle la langue latine avec le plus d'élégance; et il ne le doit pas seulement aux habitudes domestiques : il n'est arrivé à cette admirable perfection que par des études variées et profondes, et par beaucoup de soin et d'application*. » Nous ne ferons que développer un si beau texte. C'est à l'éternel honneur de Cicéron que, dans l'embarras de ses relations avec César, dans l'incertitude de ses sentiments sur ce grand homme, ayant à parler de l'auteur des Commentaires, César vivant et régnant, il n'ait rien retenu par ressentiment, ni rien outré par flatterie, et qu'un contemporain ait jugé comme la postérité. Nous pèserons ce jugement, et en mettrons tous les termes en regard du sujet; et nous tâcherons de sentir à notre tour cette nudité pure et gracieuse, cette élégance, fruit de l'éducation domestique et de l'étude, et cette perfection de l'art qui consiste à cacher

1. Brutus, LXXIV.

2. Brutus, LXXII.

l'homme derrière le sujet, l'auteur derrière l'homme.

L'étude de qualités qui se dérobent, pour ainsi dire, n'attire pas tous les esprits, et il n'est guère ordinaire qu'on admire un style qui ne parle pas aux yeux, et un auteur qui se cache. Tel qui nous étale, dans les excès de son langage, sa vanité, ses illusions, ses exagérations, est quelquefois plus goûté du public que tel qui ne veut nous faire voir, dans une langue simple et honnête, que ce qu'il conçoit de plus pur et de plus sain dans une âme rendue libre et forte par l'étude et la réflexion. La simplicité, la brièveté lumineuse, l'élégance, ne sont pas de mode de notre temps où, dans une grande abondance de talents et d'écrivains, il en est trop peu qui cherchent le secret de ces qualités dans les profondes études, dans le soin et l'application dont Atticus louait César.

Les jeunes gens surtout sont médiocrement sensibles à ces beautés, pour ainsi dire, intérieures et secrètes. Et ce n'est pas d'aujourd'hui seulement : entendez les plaintes d'un habile commentateur du XVIe siècle, Vossius, sur le peu de goût de la jeunesse de son temps pour César : « Il n'est que trop vrai, dit-il, ô douleur! que la jeunesse fréquente assez peu ce noble et divin auteur; ou si quelquesuns l'ont dans les mains, ils ne le lisent que pour la pureté du latin, moins sages que ces enfants qui n'aiment pas les feuilles de l'arbre jusqu'au point d'en dédaigner les fruits'. » C'est encore aujourd'hui le double sort des Commentaires de César; ou ils sont négligés tout à fait, ou, s'ils sont lus,

1. Vossius; De histor. latin., I, 13.

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