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C'est à l'exemple de Caton qu'au temps de la rcnaissance, des vieillards se pressaient autour des chaires nouvellement créées, ne voulant pas mourir sans s'être retrempés et rajeunis dans ces vives sources de tout savoir humain. Avant cette époque, et pendant toute la durée du moyen âge, notre nation n'avait pas été un seul jour sans communication avec le latin. Dans l'enfantement si laborieux de la France, le peu qui perce de lumières de philosophie et de droit vient du latin. C'est en latin que sont consignées toutes les paroles par lesquelles on se lie et on enchaîne sa volonté, serments, promesses, garanties civiles et politiques; c'est dans cette langue que disposent les mourants et que les morts sont obéis. Les docteurs et les philosophes parlent en latin à la conscience de l'homme et l'entretiennent de sa nature et de sa destinée; quelques-uns même mûrissent avant le temps par la vertu de cette culture latine, et témoignent à la fois et de notre aptitude à penser en latin, et du noble désir qu'éprouve l'homme, à toutes les époques, de savoir tout ce qui a été su de l'homme. Au temps de la renaissance, une grande faveur attire les esprits à l'étude de la langue grecque; l'Église, en la persécutant comme langue schismatique, nous eût faits Grecs par esprit d'opposition, si nous avions pu l'être; mais le génie latin l'emporte sur le génie grec, et le premier écrivain supérieur où la France d'aujourd'hui admire une première image de son propre esprit, c'est Montaigne, qui, à huit ans, parlait le latin à embarrasser Muret et Buchanan.

Cette vie en commun des deux langues pendant

tant de siècles n'est pas, remarquez-le bien, l'ouvrage de la force imposant un langage étranger au génie d'un pays qui le repousse. La conquête un jour apporta dans les Gaules un langage nouveau. Les idiomes germaniques y firent irruption à la suite des Francks. Le latin, qui était vaincu, leur résista et les conquit.

Je sais bien que ce latin, que les Francks trouvèrent établi, avait été introduit par la conquête dans les Gaules devenues romaines, et que l'épée de César nous l'avait inoculé; mais nous ne l'avons reçu si facilement que parce qu'il convenait à notre génie, et j'oserais dire parce que nous y avons reconnu notre bien. César, en un endroit de ses Mémoires, parle de l'habileté des Gaulois à imiter les inventions romaines. Apparemment il n'a pas pensé les rabaisser par là; car qu'imitaient-ils des Romains, sinon ce que les Romains avaient imité des peuples grecs ou italiques, c'est-à-dire les moyens d'attaque et de défense? Vaincus et incorporés à l'empire, ils imitèrent bientôt sa langue, la jugeant meilleure pour rendre leurs pensées. La conquête des Saxons par Guillaume de Normandie fut plus complète et plus radicale que celle des Gaules par César; la veille, l'Angleterre était saxonne, le lendemain elle se trouva normande; et pourtant le saxon a prévalu dans la langue anglaise. En Gaule, les choses se sont passées autrement. On subit l'administration de Rome, on alla au-devant de sa langue. D'après le portrait que César a tracé des Gaulois, on comprend tout d'abord comment l'aversion naturelle pour les conquérants ne leur fit pas

hair la langue victorieuse. Peuple ingénieux, vif, mobile, les Gaulois avaient trop d'idées pour leurs grossiers idiomes; les Romains leur apportèrent de quoi exprimer ces idées; ils naquirent ainsi à la vie intellectuelle le lendemain de la vie barbare.

C'est donc le français qui recevrait le coup le plus rude, soit d'une diminution du temps que l'on consacre au latin dans le cours des études, soit d'une modification quelconque qui le réduirait aux proportions d'une étude accessoire.

Si le français est en effet la langue de la civilisation moderne, la langue dans laquelle se font les affaires de l'esprit humain, son autorité doit être de quelque intérêt pour nous. C'est la plus belle partie de notre domaine. C'est par là que nous ne cessons pas de faire des conquêtes dans le monde au profit de la raison.

Eh bien ! ôtez à cette langue le prestige de son antiquité; que reste-t-il pour la défendre? Lagrammaire? Belle barrière contre l'usage, quand l'usage est devenu une fureur de changement! Opposer la grammaire à l'usage, c'est opposer un pédagogue à un fougueux jeune homme. Les vocabulaires? Il en est un officiel que recommande l'autorité du corps illustre dont il est l'ouvrage; mais croit-on au dictionnaire de l'Académie? On consulte beaucoup plus ces vocabulaires industriels qui étendent la langue et engendrent indéfiniment des mots, flattant ainsi notre penchant à croire que nous avons plus d'idées que la langue n'a de signes pour les exprimer. N'est-ce pas une recommandation, pour un dictionnaire, de contenir plus de mots que ses devanciers? La glo

rieuse affiche quand on en peut promettre plusieurs milliers!

Il reste les exemples des chefs-d'œuvre. D'abord, il n'est pas inouï qu'on les ait contestés. Ils le seront bien plus encore le jour où l'on n'apprendra plus la langue sur laquelle ils se sont modelés, et où leurs beautés ne seront plus senties. Mais fût-on d'accord pour y voir les vraies traditions de la langue, ce ne serait pas trop, pour protéger cette langue, de l'autorité de deux traditions réunies, son origine et ses chefs-d'œuvre ce sont deux lignes de défense derrière lesquelles je la trouverais plus à l'abri.

des

Elle est si belle, cette langue française, par sa sévérité même qui fait qu'elle ne soutient que choses sensées, efficaces, durables; par son honnêteté, oserais-je dire, qui la rend rebelle au charlatanisme, à la déclamation, à tout ce qui va au delà du vrai; par sa clarté, qui nous force à tirer nos pensées du fond de nous-mêmes, et à les amener à la pleine lumière; elle est si amie de notre liberté, dans sa rigueur même, en défendant notre raison, par laquelle seule nous sommes libres, contre les servitudes de notre imagination et de notre tempérament! Nous l'avons, non point produite tout entière, mais reçue en grande partie de la plus grande nation de l'antiquité et transformée par le génie qui nous est propre, sans lui ôter les qualités qu'elle tient de son origine; nous devons la rendre au genre humain, avec ce qui nous en est venu de la ville éternelle et avec ce qui lui est venu de nous. Héritière d'une langue universelle, ne la laissons

pas déroger de son privilége d'universalité. Le dirai-je! c'est l'amour du français qui m'attache au latin; et c'est à cause de cette parenté directe des deux langues que je considère les chaires de latinité au Collège de France comme des chaires nationales.

II. De l'intérêt qu'offre l'étude de la littérature latine. Plan d'un cours d'éloquence latine.

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Toutefois, on en restreindrait trop l'objet, si l'on n'y cherchait que ce qui peut donner autorité à notre langue : les analogies, les origines françaises.

L'étude de la langue latine ouvre l'entrée de ce vaste dépôt de sagesse, de raison, d'éloquence, où ont puisé depuis trois siècles toutes les nations européennes. Presque tous les grands esprits qui ont conduit les affaires du monde ont été formés par cette littérature, où se réfléchit la discipline des armées romaines et qui est elle-même une excellente discipline. L'art romain a conquis les esprits par la même vertu qui a tout soumis à la légion romaine : le courage, l'élan, l'audace, y sont libres; toute carrière y est donnée à la valeur individuelle; mais une règle domine toutes les inégalités, et rend impossible la lâcheté comme l'emportement.

Étudier ce que cette grande littérature a exprimé de vérités politiques, sociales, morales, qui peuvent nous intéresser comme hommes et servir à la conduite de notre esprit et à la direction de notre vie; distinguer par quels points cette étude nous

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