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composition syllabique représente sinon l'aspect des objets, du moins le bruit qui leur est particulier, et d'autres, qui, soit par le rapprochement de voyelles douces, soit par le cliquetis de consonnes énergiques, en représentent les propriétés ou le caractère. Ces exemples sont nombreux dans Virgile; mais il faut remarquer qu'ils consistent en un vers, en deux très-rarement, ce qui prouve qu'ils ne sont pas un jeu à froid, mais un sentiment, un souvenir qui n'occupe qu'une place proportionnée, et que le poëte ne refroidit pas en le développant.

Virgile n'appartient ni à la cour ni au public; Lucain appartient à tout le monde. Où est Lucain à cette heure du jour? Chez Sénèque.

J'y cours : il est chez Néron. Non. Alors il est au Capitole, assistant en sa qualité de consul à la fête de Jupiter. -Je vais au Capitole; Lucain fait une lecture chez Calpurnius Pison. Jamais Lucain n'est chez lui ni à lui. Néron, en le disgraciant, lui a rendu sa solitude, mais hélas ! il n'a eu que quelques jours de recueillement, et c'était pour mourir! Il n'a eu de solitude que pour arranger le drame de sa mort, dans ce temps où l'on mourait avec des poses choisies, et où le dernier soupir s'exhalait parmi des sentences et des vers. Jusqu'à sa mort, Lucain a été tout à tous, exploité, admiré, gâté par un public plus curieux du bel esprit qu'amoureux de véritable poésie. Ce public prenait les poëtes des mains du déclamateur à la mode, les usait avant l'âge en tours de force et en gentillesses, puis les renvoyait, comme Stace, épuisés et chagrins, inquiétés par des retours tardifs de goût, et par la crainte que cette

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gloire, dont on les avait tant flattés, ne fût que mée.

fu

Lucain, ainsi exploité, n'a donc rien en propre. 11 pense en public et tout haut; il écrit en public et avec la main de tout le monde. L'harmonie de ses vers n'est pas l'image de sa pensée. Ce sont des sons combinés pour un auditoire. Lucain, n'écrivant que pour lire, n'écrit que comme il lit. Là surtout est la cause la plus sensible de sa monotonie. Vous avez sans doute entendu des poëtes lire leurs vers en public. Chaque poëte a un ton particulier, lent ou rapide, sourd ou clair, selon la nature de sa voix et le caractère de ses poésies. Ce ton est d'ordinaire uniforme. Quand on est accoutumé à composer la veille pour la lecture du lendemain, quand on ne garde rien pour son tiroir secret, comme au temps d'Horace', on ne songe qu'aux effets qu'on produit à la lecture, aux césures et aux suspensions qui font bien, aux chutes qui appellent les applaudissements et les baisers. On n'écrit avec soin que ce qui sera lu avec succès et au lieu que, dans l'art de Virgile c'est le sentiment du poëte qui se manifeste par des paroles harmonieuses; dans le procédé des poésies lues en public, c'est la mémoire des choses applaudies qui inspire les vers.

Quelque chaleur que le poëte mette à sa lecture, il n'échappera pas à cette espèce d'intonation uniforme dans laquelle on retombe, bon gré mal gré, après chaque phrase, si on lit mal; après chaque paragraphe, si l'on a appris l'art de lire. Il y échap

1.

Nonumque prematur in annum. (Épître aux Pisons.)

pera bien moins encore, si c'est la mode de son temps de chanter en lisant, de se dandiner dans la chaire, de manière à imprimer à sa voix le balancement de son corps. Or, il paraît qu'on lisait de cette façon du temps de Lucain, et plus tard même Quintilien se plaignait que cette détestable mode eût prévalu contre tous ses avis. La conséquence de tout cela, c'est que le poëte affectait, en composant, un certain refrain de prédilection, qui revenait aussi uniformément que l'intonation dans la lecture. Ainsi faisait Lucain.

Le refrain de Lucain, c'est une phrase finie ou suspendue à la césure du troisième pied. Par exemple :

Æger quippe moræ, flagransque cupidine regni,
Cœperat exiguo tractu civilia bella

Ut len | tum dam | nare ne | fas'...

Non iratorum populis urbique Deorum est

Pompei | um ser | vare du | cem 2...

Cladis eo dedimus, ne tanto in tempore bellum

Jam posset civile geri3...

Dum munera longi

Explicat eripiens ævi, populosque ducesque

Constituit campis : per quos tibi, Roma, ruenti,
Ostendat quam magna cadas1...

Non jam Pompeii nomen populare per orbem,
Nec studium belli; sed par quod semper habemus,
Libertas et Cæsar erunt ...

1. Malade des retards, et brûlant du désir de régner, peu s'en fallait qu'il «ne commençàt à condamner les guerres civiles comme un crime trop lent. >> (Livre VII, vers 241.)

2. Ce n'est pas à des dieux irrités contre les nations et contre Rome que vous << devez le bienfait de conserver Pompée pour chef. » (Livre VII, vers 354.)

3 « Cette défaite nous a tant coùté, qu'aucune guerre civile n'a été possible pendant les longues années qui nous séparent de cette fatale époque. » (Livre VII, vers 406.)

4 « La fortune n'a arraché de nos murs les trésors de tant de siècles, et n'a rangé sur les champs de bataille tant de peuples et de chefs, que pour faire voir, "Rome, combien tu es grande en tombant. » (Livre VII, vers 416.)

3 « Ce qui fera courir les peuples au combat, ce ne sera plus le nom de Pompée

Omne malum victi, quod sors feret ultima rerum;
Omne nefas victoris erit 1...

Advenisse diem, qui fatum rebus in ævum

Conderet humanis, et quæri Roma quid esset,

Jilo marte palam est : sua quisque pericula nescit,
Attonitus majore metu2...

Ce vers brisé au troisième pied est le vers favori de Lucain. C'est l'hémistiche à effet; c'est à cette césure que le poëte s'arrêtait, soit pour reprendre haleine, soit pour recueillir les murmures approbateurs. Tous les exemples que je viens de citer sont des traits, et ce qu'on appelle des idées, par opposition aux choses qui n'en veulent pas faire l'effet, et qui souvent en méritent davantage le nom. Toutefois, ce n'est pas seulement pour ses idées de choix, pour ses traits applaudis, que Lucain réserve cette phrase suspendue dont la chute est si pleine de promesses. Il la prodigue ou plutôt il y retombe involontairement; on la retrouve souvent dans trois vers qui se suivent; mais comme cette coupe paraît plus spécialement affectée aux choses d'éclat, quand on la trouve là où elle n'a rien à faire valoir, elle est la pire sorte de négligence, une négligence qui sent l'apprêt. Quoi de plus disgracieux, par exemple, que d'employer les promesses de cette coupe dans des passages comme celui-ci?

Cornus tibi cura sinistri,

<< si populaire dans le monde, ce ne sera plus l'ardeur de la guerre, mais deux ri«vaux que nous conservons toujours, la liberté et César. » (Livre VII, vers 694.) 1 « Tous les maux que doit enfanter l'avenir seront le partage du vaincu; tous

་་

« les crimes, celui du vainqueur.» (Livre VII, vers 122.)

2 << Ils virent que le jour et le combat étaient arrivés où l'avenir des hommes «< allait être décidé, et où kome allait savoir ce qui en serait d'elle: chacun a perdu «<le sentiment de son propre péril, dans la stupeur où le jette une crainte plus générale.» (Livre VII, vers 131.)

Lentule, cum prima, quæ tum fuit optima bello,
Et quarta legione, datur'...

Ce qui caractérise l'emphase, en poésie, c'est moins encore la recherche des idées, et l'appareil des mots, que ces détails insignifiants pour lesquels on fait, comme dans cet exemple-ci, la double dépense d'une apostrophe et d'une suspension.

Outre ce refrain qui rend très-pénible la lecture de la Pharsale, il y a deux autres formes que Lucain fait revenir très-souvent, et qui, pour avoir moins de prétention, n'en contribuent pas moins à la monotonie du poëme. Ce sont de longues tirades sans rejets, où les vers tombent un à un, comme si le poëte était tout essoufflé; puis une espèce de vers où le substantif forme invariablement le sixième pied, et l'adjectif, qui lui sert d'épithète, le second.

Exemples:

Immittit subitum, non motis cornibus, agmen...
Non bene barbaricis unquam commissa catervis...
In caput effusi calcavit membra regentis...
In sua conversis præceps ruit agmina frenis2...

Sur huit vers que je prends au hasard, en voilà quatre où cette sorte de balancement, insipide à la longue, se fait sentir. Passe encore quand l'épithète et le substantif n'ont pas la même consonnance

«

1. Livre VII, vers 217.

«Le commandement de l'aile gauche t'est confié, Lentulus; avec la première légion, qui fut la plus vaillante dans cette guerre, on te donne la quatrième. »

2. Livre VII, vers 524 et suivants.

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