Billeder på siden
PDF
ePub

3. Il s'agit de Marius, non de Marius le jeune, mais du frère adoptif du grand Marius, que Sylla fit égorger sur le tombeau de Catulus. Un vieillard rappelle cette odieuse exécution.

Quum laceros artus, æquataque vulnera membris
Vidimus, et toto quamvis in corpore cæso
Nil animæ letale datum, moremque nefandæ
Dirum sævitiæ pereuntis parcere morti1.

pas

la

« J'ai vu ses membres déchirés, et ses blessures << aussi nombreuses que ses membres, et, sur son << corps tout meurtri, nulle blessure assez grave pour « lui donner la mort » on ne lui faisait grâce de le blesser assez grièvement pour qu'il en mourût,» et ce raffinement de cruauté barbare qui «ménageait la mort d'un mourant. » Quel besoin avions-nous de ces contorsions pour détester dans Sylla une cruauté que Caligula devait lui envier, et qu'il avouait dans ce mot, lequel a du moins le mérite d'être clair et de bonne latinité: Ita feri, ut sentiat se mori : « Frappe de façon à ce qu'il se sente mourir?»

4. Étonnement des Marseillais à la vue des tours de César, qui marchent sur des rouages cachés.

Sed per iter longum causa repsere latenti.
Quum tantum nutaret onus, telluris inanes
Concussisse sinus quærentem erumpere ventum
Credidit, et muros mirata est stare juventus 2.

<< Ces tours, mues par une cause cachée, firent << beaucoup de chemin en rampant. Et quand la << jeunesse marseillaise vit se mouvoir une si lourde «< masse, elle crut que c'était quelque vent souter« rain qui cherchait à sortir du sein de la terre ébran

1. Pharsale, livre II, vers 177.

2. Livre III, vers 458.

« lée, et elle s'étonna que les murs de Marseille res« tassent debout. » Quel tort l'imagination de Lucain ne fait-elle pas à l'intelligence des Marseillais ! C'est pourtant de cette sorte qu'il en agit, presque à chaque instant, avec ses meilleurs amis. Les Marseillais avaient toute sa sympathie; il les aime jusqu'à leur attribuer les faits d'armes des soldats de César. 5. Des naufragés s'attachent à un vaisseau; on leur coupe les bras; ils tombent.

Brachia linquentes graia pendentia puppe,
A manibus cecidere suis'.

«Laissant leurs bras pendants au navire grec (syno<< nyme de marseillais), ils tombèrent de leurs mains,» ou du haut de leurs mains, ou séparés de leurs mains. Pour préparer cette image, Lucain remarque qu'on leur a coupé le bras à la moitié, vers le coude; de cette sorte, ils peuvent laisser tout à la fois leur avant-bras au navire et tomber du haut de leurs mains.

6. Méduse pétrifie tous ceux qui la regardent en face.

Hoc habet infelix, cunctis impune, Medusa
Quod spectare licet; nam rictus oraque monstri
Quis timuit? quem, qui recto se lumine vidit,
Passa Medusa mori est? rapuit dubitantia fata,
Prævenitque metus; anima periere retenta

Membra, nec emissæ riguere sub ossibus umbræ 2.

<< Méduse a cela de terrible que tout le monde peut << la regarder impunément; car cette bouche hideuse, «< ce visage, qui donc en a jamais eu peur? Qui «< est-ce qui a pu regarder en face Méduse, à qui

1. Pharsale, livre III, vers 667.

2. Livre IX, vers 636.

<< Méduse ait permis de se sentir mourir? Le monstre

[ocr errors]

précipite les destins hésitants, et devance les «< craintes. Les membres sont morts sans que le der« nier souffle ait pu s'échapper, et les mânes em«prisonnés se glacent et se pétrifient. »

Lucain n'est pas toujours de ceux qu'on interprète en les traduisant. Après la traduction, il faut donc les commentaires; et quelquefois ni la traduction ni les commentaires ne peuvent tirer du passage de Lucain une idée nette ou seulement spécieuse.

Pourquoi donc n'a-t-on jamais craint la bouche et la face de Méduse? C'est parce que la pétrification est si subite, si foudroyante, qu'on est mort avant d'avoir eu peur de mourir. L'oncle de Lucain, Sénèque, avait déjà caractérisé cette singulière espèce de mort, qui n'est précédée d'aucun sentiment. Parlant d'un homme frappé de la foudre, il dit : Sed non erit cogitationi locus. Casus iste donat metum : nemo unquam fulmen timuit, nisi qui effugit1. « Il n'y << aura pas place pour une pensée. Ce malheur << vous fait grâce de la crainte. Personne n'a jamais «< craint la foudre, si ce n'est celui qui y a échap« pé. » Lucain va plus loin: Méduse ne souffre point que ceux-là meurent qui l'ont regardée. Comment cela? pourquoi ne meurent-ils pas? Parce qu'ils sont morts. Sénèque avait dit : Il n'y a pas place pour une pensée; Lucain dit : Il n'y a pas place pour un souffle. Sénèque admet au moins qu'il puisse se passer un clin d'oeil entre le coup de la

1. Sénèque, Questions naturelles, livre II, ch. 59.

foudre et la mort; Lucain vous tue avant le clin d'œil. Il a imaginé une mort qui n'arrive ni avant le regard, ni pendant ni après. Il y a progrès et perfectionnement dans le neveu.

J'ai souligné le dernier vers, parce que si je l'ai traduit, je ne puis pas dire que je l'entende. Un commentateur me dit que ces mânes (umbræ) étaient des images subtiles des corps à la bonne heure. Or, ces images sont en prison comme le souffle; rien ne sort du corps. Mais que fait donc Lucain des âmes des pétrifiés? Méduse avait donc la propriété de soustraire des morts à Pluton?

EXEMPLES DE MÉTAPHORES FAUSSES OU FORCÉES.

1. Exorde du discours de Brutus à Caton.

Omnibus expulsæ terris olimque fugatæ
Virtutis jam sola fides, quam turbine nullo
Excutiet fortuna tibi; tu mente labantem
Dirige me, dubium certo tu robore firma1.

«< O toi, seul gage de la vertu exilée et mise en << fuite sur toute la terre, toi qu'aucune tempête de <«< la fortune ne détournera de ses voies abandonnées, « ô Caton, dirige mon esprit chancelant, affermis "par ta force mon courage incertain. »>

Il fallait dire labantem firma, dubium dirige car on ne dirige pas ceux qui chancellent, on les soutient; de même on n'affermit pas les incertains, on les dirige. Il est vrai que Lucain, dont les habitudes étaient peu sévères sur la propriété des mots, donnait peut-être au mot labantem le sens du mot dubium, et réciproquement.

1. Pharsale, livre II, vers 242.

2. L'inspiration donne la mort aux prêtresses

d'Apollon:

Quippe stimulo fluctuque furoris

Compages humana labat, pulsusque deorum
Concutiunt fragiles animas '.

<< Car la structure humaine se dissout sous l'aiguil«lon et le flot de la fureur divine, et l'impulsion << des dieux ébranle ces âmes fragiles. »

Vous devez être frappé de la confusion et du peu de lien de cette triple action des dieux sur la prêtresse cet aiguillon, ce flot, cette impulsion, jurent ensemble; l'aiguillon surtout, et le flot, qui n'ont qu'un verbe à leur service, labat, lequel ne peut convenir à l'un qu'autant qu'il ne convient pas à l'autre ici il ne convient ni à l'un ni à l'autre. Au reste, cette accumulation de mots métaphoriques qui s'excluent est précédée par deux vers admirables de précision et de mélancolie. Je les cite avec plaisir :

:

Nam si qua eus sub pectora venit,
Numinis aut pœna est mors immatura recepti,
Aut pretium 2...

<< Car si le dieu descend dans une poitrine humaine, << une mort prématurée est la peine ou le prix de <«< cette visite mystérieuse. >>

3. Détails des causes générales de la guerre ci

vile.

Hæc ducibus causæ, suberant sed publica belli

Semina quæ populos semper mersere potentes 3.

<< Tels étaient les mobiles des chefs; mais sous ces

1. Pharsale, livre V, vers 118.

2. Livre V, vers 116.

5. Livre I, vers 158.

« ForrigeFortsæt »