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« Qui croirait que le scorpion (vu sa petitesse) a « le pouvoir de donner la mort? » Fata veut dire ici, comme tout à l'heure mors, propriété mortifère; et habere fata signifie, en conséquence, avoir la propriété de donner la mort.

8...

Sed corpora fatis
Expositi volvuntur humi2......

«Mais ils se roulent sur la terre, le corps exposé à «< la dent mortelle des serpents. »

Tout ce qui suit et précède ce passage détourne de l'idée qu'il s'agit ici simplement de destins. Évidemment Lucain a mis fatis pour suppléer à serpentibus, qui ne faisait pas son affaire. Fatis résume tout les serpents, leurs morsures, les trépas qui en résultent.

Plus loin se retrouve le même mot avec la signification de mort lente; plus loin', avec celle de sort, destinée; ailleurs, enfin, avec celle de derniers moments, derniers soupirs.

Sans compter que mors et fatum se trouvent quelquefois dans le même vers ou dans la même phrase; ainsi :

Nec sentit fatique genus, mortemque venenia.....
Quis fata putaret

Scorpion, aut vires maturæ mortis habere"...

1. Pharsale, livre IX, vers 834.

2. Livre IX, vers 842.

3. Livre IX, vers 849.

4. Livre IX, vers 878.

5. Livre IX, vers 884. 6. Livre IX, vers 758. 7. Livre IX, vers 834.

Enfin, je vais citer un dernier exemple, et cet exemple est fréquent dans la Pharsale, de trois de ces mots vagues employés dans la même phrase et dans deux moitiés de vers:

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« Le hasard d'une mort prochaine (c'est-à-dire prématurée) avait livré ce jeune homme aux destins... » Ce que fait dire Lucain à chacun de ces mots est le plus souvent inexplicable. Il est douteux qu'il se rendît compte de l'emploi qu'il en faisait. Ces mots le menaient à son insu, et sa pensée, toujours vague ou tendue (le tendu ou le vague se touchent) s'en payait presqu'à chaque instant. Il y met même une négligence qui ressemble beaucoup à de la paresse. Il en est de même de ses apostrophes, qui sont innombrables, et qui, chose singulière, ont le plus souvent pour sujets ces mêmes mots vagues, et particulièrement fortuna, qui est d'une commodité métrique incalculable. On croit, au premier abord, que c'est l'œstre poétique, l'enthousiasme qui s'impatiente d'un récit régulier, et s'exhale de temps en temps en apostrophes. Point; regardez de plus près: c'est tout simplement la mesure qui appelle l'apostrophe; c'est la simple différence métrique qui existe entre la seconde et la troisième personne des verbes, l'une représentant l'apostrophe, l'autre le récit, qui détermine toute cette chaleur. Prenez au hasard un morceau de Lucain, vous y trouverez,

4. Pharsale, livre IV, vers 737.

à n'en pas douter, ou quelque mot vague et général, ou une apostrophe, très-souvent les deux choses. Regardez bien pourquoi ce mot et cette apostrophe sont là, et vous verrez que la différence d'un dactyle à un spondée y est pour plus de moitié.

Le secret de la poésie de Lucain et des poètes de son époque n'est pas un de ces mystères où l'œil des profanes n'a rien à voir. Il ne faut, pour se rendre compte de leur travail, ni faire la dépense d'un aigle ou d'un cygne, ni bâtir un chaste sanctuaire où s'enferme le poëte, ni le parer de grâces mystérieuses, ni lui prêter des attitudes recueillies et méditatives il suffit de savoir que l'expression propre coûte plus de peine que l'expression vague et le récit direct que l'apostrophe; que les à peu près viennent plus aisément sous la plume que les choses nettes et claires, et les tours chaleureux que le discours doux et tempéré; que, quand on vit dans un siècle qui se contente de peu, qui a des appétits de dessert, capricieux et féminins, plutôt que des appétits virils, on fait vite et on fait avec paresse, la paresse, dans les lettres et les arts, étant toujours en raison directe de la vitesse; il faut, dis-je, savoir toutes ces petites choses pour se rendre témoin, par la pensée, du travail de Lucain et de ses contemporains, et pour avoir une représentation exacte d'un poëte de l'époque de décadence à l'heure de l'inspiration.

VII. Des innovations dans les tours. exprimer des idées communes. fausses.

Efforts de style pour Métaphores et images

A la seconde espèce d'innovations dans la langue se rattachent naturellement :

1° Les efforts de style que fait Lucain pour exprimer des faits très-simples ou des idées très-com

munes.

2o Les exemples de métaphores fausses ou forcées. Je bornerai mes citations, étant plus pressé encore que mon lecteur de quitter le terrain aride de la philologie; car le mérite, s'il y en a, n'en vaut jamais la peine. Le désir d'être exact, et la peur de ne pas l'être, sont deux tourments dont on est bientôt las, surtout quand on n'est pas très-sûr de la longanimité de son lecteur.

EFFORTS DE STYLE DE LUCAIN POUR RENDRE DES IDÉES

COMMUNES.

I. Voici l'idée : « Rome se détruit elle-même en se donnant trois maîtres.»

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Nec gentibus ullis

Commodat in populum terræ pelagique potentem

Invidiam fortuna suam. Tu causa malorum

Facta tribus dominis communis, Roma, nec unquam
In turbam missi feralia fœdera regni1.

<< La fortune ne prête à aucune nation étrangère sa jalousie contre un peuple puissant sur mer et sur

1. Pharsale, livre I, vers 83.

« terré. La cause de tous ces malheurs, c'est toi, « Rome, qui t'es donnée à trois maîtres; c'est en<«< core ce funeste partage d'une autorité qui ne <«< doit jamais appartenir à plusieurs. »

Quelle fatigue, quel labeur d'esprit et de mots! que de détours pour arriver à une vérité si vraie!

que

de voiles pour donner un faux air de nouveauté à une pensée commune! La fortune n'a choisi aucune nation étrangère pour en faire l'instrument de sa jalousie personnelle contre Rome; elle n'a voulu se venger de Rome que par les mains de Rome! Que cette fortune est raffinée dans sa jalousie! La traduction affaiblit ce qu'il y a de prétentieux dans ce mot commodat, qui signifie prêter de la main à la main. Lucain est un des poëtes qui gagnent le plus à être traduits, parce que, sous peine d'être barbare, la traduction doit lui ôter quelques images qu'elle ne peut ni ne doit rendre; alors il n'est plus que commun.

2. César accuse Pompée d'accaparement.

Quid jam rura querar totum suppressa per orbem,
Ac jussam servire famem 1...

«Que dirai-je des campagnes fermées (comme on << dirait des greniers) par tout l'univers, et de la « famine rendue docile à ses projets? >>

Traduisez une seconde fois : les campagnes fermées, c'est-à-dire l'exportation prohibée, et tous les blés concentrés à Rome par Pompée, lequel avait été chargé pour cinq ans de l'administration des subsistances.

1. Pharsale, livre I, vers 318.

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