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quand il réfléchit, dans la solitude de sa prison, que des ressentiments littéraires, des paroles vives et offensantes, allaient lui coûter aussi cher qu'à Pison et à d'autres les honneurs qu'ils espéraient d'une révolution faite à leur profit, certes il dut trouver le prix bien disproportionné à la peine, et il se montra lâche parce qu'il croyait n'avoir risqué qu'en proportion de ce qu'il voulait gagner. Il sentit qu'il avait été la dupe de Pison et des autres consulaires, lesquels lui auraient donné, pour sa part du butin, si la conspiration eût réussi, l'insignè honneur d'en écrire l'histoire en vers, et de la débiter sur le théâtre de Néron. A un ambitieux endetté, qui a de vastes passions et un patrimoine épuisé, il peut arriver un temps où la vie toute seule ne peut plus suffire, et où il la faut jouer telle qu'elle est, grevée de besoins et de l'argent d'autrui, contre une situation qui mette les ressources au niveau des dépenses; mais à un poëte qui a de l'indépendance et un beau génie, la vie toute seule suffit, parce que la vie, pour le poëte, c'est la gloire. Aussi n'y avait-il aucune ressemblance entre la position de Pison risquant beaucoup d'embarras, de dettes, de souffrances, d'ambition et d'argent, pour devenir le maître du monde, et la position du malheureux Lucain risquant beaucoup d'indépendance, de bonheur domestique, de jeunesse, d'avenir, pour obtenir, quoi? le droit d'être seul applaudi par les gradins, et d'obtenir toutes les couronnes aux jeux quinquennaux : petite vanité de jeune homme que les jouissances secrètes d'un génie plus mûr lui auraient bientôt fait mépriser!

Pison, voyant la partie manquée, écrivit à Néron une lettre de basse flatterie, non pour lui, car il ne voulait point de grâce, mais pour une femme aussi belle qu'insignifiante qu'il aimait à la folie: il priait l'empereur de conserver ses biens à cette femme. Cela fait, il s'affermit contre les angoisses de la dernière heure, et attendit froidement qu'on lui apportât les ordres de Néron. Quand il vit venir les soldats, il se fit ouvrir les veines des bras, et mourut. Lucain se débattit longtemps contre la mort; il s'abaissa jusqu'aux plus humbles prières. Il ne cessa, dit Tacite, de dénoncer des complices au hasard, passim, espérant que ces révélations faites coup sur coup lui seraient comptées par Néron comme un service. Mais quand il eut donné à l'amour de la vie tout ce qu'il pouvait lui donner, il se fit ouvrir les veines comme Pison, et mourut en récitant quelques vers de sa Pharsale. Il avait alors vingt-sept ans, et était désigné consul pour l'année suivante.

Il y a, au premier chant de la Pharsale, un passage sur les religions druidiques qui peut donner une idée des sacrifices que Lucain était capable de faire pour ne pas mourir. Le poëte énumère les peuples gaulois que le départ de César envahissant l'Italie a débarrassés d'un tyran. Arrivé aux Druides, il les apostrophe ainsi : « Selon vous, les << ombres ne vont point peupler les demeures si«< lencieuses de l'Érèbe et les pâles royaumes de « Pluton le même esprit, dans un monde nouveau, «< anime d'autres corps. La mort, à vous en croire, << n'est que le milieu d'une longue vie. Certes, ces

:

<< peuples du septentrion sont heureux de leur erreur, << car ils ne sont point tourmentés par la crainte de «< la mort, la plus grande de toutes les craintes. De << là cette ardeur qui les précipite au-devant du « fer; de là ces âmes qui embrassent la mort; de «<là le nom de lâche donné à celui qui ménage une « vie qu'on ne perd que pour la reprendre.

Vobis auctoribus umbræ

Non tacitas Erebi sedes, Ditisque profundi
Pallida regna petunt; regit idem spiritus artus
Orbe alio longæ, canitis si cognita, vitæ
Mors media est. Certe populi quos despicit Arctos
Felices errore suo, quos ille, timorum

Maximus, haud urget lethi metus! Inde ruendi
In ferrum mens prona viris, animæque capaces
Mortis, et ignavum redituræ parcere vitæ.

Celui qui a écrit cela devait dénoncer sa mère ! Telle fut la vie de Lucain. Depuis le premier jour jusqu'au dernier, il passa d'une situation fausse dans une autre, n'ayant, pour se régler au milieu d'une vie que d'autres lui avaient faite, qu'un esprit plus brillant que sain, et un caractère plus fier qu'élevé. Je passe maintenant à l'appréciation de son talent et des poëtes de son époque.

DEUXIÈME PARTIE.

I. Idée de la Pharsale.

II. De la vérité historique dans la Pharsale.

III. Pompée pouvait-il être le héros d'un poëme épique?
IV. Pompée est-il seul responsable de ses fautes politiques?

V. César, l'homme du peuple et de l'épopée.

VI. De la vérité des caractères dans la Pharsale.

VII. Qu'il n'y a rien à apprendre, dans la Pharsale, sur la grande lutte qui en est le sujet.

VIII. De la Pharsale considérée comme un ouvrage romain,

opus romanum.

IX. Analyse des livres III, VII et VIII de la Pharsale.

DEUXIÈME PARTIE.

LA PHARSALE.

I. Idée de la Pharsale.

Quelle est l'idée de la Pharsale?

Est-ce le triomphe momentané que la liberté romaine remporta sur la tyrannie par la mort de César?

Est-ce la réhabilitation du parti de Caton?

Est-ce simplement une suite d'imprécations poétiques contre les guerres civiles?

Est-ce enfin une déclamation contre le caprice de la fortune qui se joue des réputations et des empires, élève l'un et renverse l'autre, le plus souvent élève et renverse le même homme, etc., etc., etc.?

II y a un peu de tout cela dans la Pharsale, et c'est là son premier et son plus grand défaut. On n'en aperçoit pas le but; on y trouve tantôt un Pompéien, qui écrit un pamphlet en vers contre César; tantôt un ami et un disciple de Caton, qui ne ménage guère plus le gendre que le beau-père; tantôt un sceptique, qui ne croit ni à Caton, ni à Pompée, ni à César, ni aux vieilles lois, ni à la liberté, ni aux dieux; tantôt un fataliste, qui ne voit dans les événements que des coups de la Fortune, dans les victoires, que les faveurs de la déesse, dans les

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