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Ne vaut-il pas mieux qu'on dise dans l'univers que toute l'Égypte lui sert de tombeau, comme on le dit de l'OEta pour Hercule, et du Nysa pour Bacchus?«< Si ton nom n'est gravé sur aucune tombe, «< ô Pompée, les peuples errants n'oseront fouler « les sables du Nil, de peur de profaner tes cen<< dres. >>

tr

Si nullo cespite nomen

Hæserit, erremus populi, cinerumque tuorum,
Magne, metu nullas Nili calcemus arenas.

Cependant, ajoute Lucain dans une dernière apostrophe à Cordus, si tu crois qu'une humble pierre soit digne de porter un si grand nom, que «< n'y graves-tu l'histoire des campagnes et de la gloire de Pompée ? » Lucain fournit ici l'épitaphe: c'est un poétique résumé de l'histoire de son héros. Mais ces souvenirs qu'il évoque l'irritent encore contre ce misérable tombeau, où l'on ne peut lire qu'en se baissant jusqu'à terre, ce nom que Rome avait coutume de lire au fronton des temples, et sur les arcs de triomphe construits avec les dé-pouilles des nations. Quelques vers plus bas, apostrophant Pompée à son tour, voilà qu'il relève ce même tombeau qu'il méprisait tout à l'heure. Pompée, enseveli dans l'or et le marbre, Pompée, dans l'enceinte sacrée d'un temple, serait moins grand que sous cette misérable pierre «< où l'étranger ne pourra lire son nom en se tenant debout. >>

Quod non legat advena rectus.

Le premier mouvement de Lucain, qui est plein de son héros, qui dans tout le cours de ce livre a épuisé toutes les formules d'admiration, qui va se séparer de lui pour toujours, c'est d'être étonné que la terre entière ne soit pas aussi exaltée que lui pour Pompée, c'est qu'on ne lui ait pas bâti des temples, c'est que Rome n'aille pas tout entière en pélerinage sur les rives du Nil pour y chercher ses restes, et pour leur faire d'immenses funérailles. Qu'on lui donne cette commission, à lui1, il ira, pieux voyageur, reprendre à l'Égypte ces reliques précieuses; il les emportera dans son sein; il les rendra à son ingrate patrie. Lucain s'indigne que cet homme, qui vient de lui inspirer de beaux vers, et qui emplit sa tête de tant de mouvements et d'images, soit mis, comme un mort vulgaire, sous un peu de sable recouvert d'une pierre. Il a peur qu'on ne trouve pas Pompée assez grand, si son tombeau est si mesquin. Il se soulève à l'idée qu'on pourrait, en voyant la petitesse de la sépulture, se méprendre sur la grandeur du mort, et mesurer sa gloire à la largeur de sa tombe. Ce premier mouvement est personnel au poëte; on y sent l'enflure espagnole. Cette passion pour le grandiose est de famille.

Le second mouvement est d'un adepte du stoïcisme. Lucain ne s'aperçoit pas de la contradiction où il tombe; il était de bonne foi en s'indignant contre le chétif tombeau que la Fortune élève à Pompée par des mains obscures et inconnues; il

1. Il en fait la demande formelle quelques vers plus bas, 841-845.

est encore de bonne foi en trouvant que la gloire du héros est rehaussée par l'indignité de ses funérailles. Esprit impétueux, peu arrêté, n'ayant que des impressions, mais point d'opinions, tenant pour vrai tout ce qui prête au style, allant souvent des mots aux choses, se laissant mener par le bruit de ses vers, Lucain passe d'une idée à l'idée contraire, pour peu qu'il y soit attiré par quelque lieu commun de poésie. Les idées ne sont pour lui que ces lambeaux de pourpre dont parle Horace, qui l'avait deviné. Il va tour à tour à toutes celles qui lui promettent des images et des sons.

Le chant VIII se termine par deux imprécations, l'une contre l'Égypte, à laquelle notre poëte souhaite, entre autres choses, que le Nil cesse de l'arroser et de la féconder; l'autre contre la Rome de son temps, qu'il accuse de délaisser les cendres d'un de ses plus grands citoyens sur un rivage étranger, quand il serait si beau de lui élever un temple où les populations viendraient adorer Pompée, et invoqueraient sa protection contre les stérilités, les pestes ou les tremblements de terre. Peu s'en faut que Lucain ne propose de faire un dieu du dernier défenseur de la république.

TROISIÈME PARTIE.

I. La description selon l'art grec et selon l'art de Lucain.
II. Exemples. — Description de la sibylle par Virgile et Lucain.
III. Description d'une tempête, par Homère, Virgile et Lucain.
IV. Du jugement de Quintilien sur la Pharsale.

V. De la description dans les poëtes contemporains de Lucain.
VI. Pourquoi l'art de la décadence latine est-il tout entier dans
la description?

VII. Du caractère de la description dans les poëtes français du XIXe siècle.

VIII. De quelle sorte est l'érudition des poëtes latins de la décadence.

IX. Résumé. Caractères des poëtes primitifs.

X. Les poëtes littérateurs.

XI. Les versificateurs érudits.

COMPOSITION DE LA PHARSALE.

On a vu, par les descriptions qui remplissent les trois livres dont j'ai donné l'analyse, que de toutes les parties de l'art, la description est celle dont Lucain use le plus. La composition de la Pharsale n'est, à vrai dire, qu'une suite de descriptions liées par un récit. La description est le principal titre poétique de Lucain; c'est aussi le premier trait distinctif des écrivains de son époque, et généralement de toutes les poésies de décadence. L'érudition est le second. Il faut en indiquer successivement les caractères.

I. La description selon l'art grec, et selon l'art
de Lucain.

La description dans l'art grec, dans les poésies de Virgile surtout, lequel fut le traducteur le plus intelligent et le plus complet de l'art grec, est plus philosophique que physique, et s'adresse plus au sentiment qu'aux yeux. Elle se compose de peu de traits; elle s'attache bien plus à faire sentir la vie d'un objet qu'à en représenter l'aspect matériel. Elle crayonne plutôt qu'elle ne peint. S'il s'agit du lieu qui doit servir de théâtre à certains événements, la description grecque le dessine en quelques vers;

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