Billeder på siden
PDF
ePub

les maladies, les tremblements de terre. La dépopulation a été telle que toute la matière des guerres civiles a disparu.

2o Après s'être plaint que la liberté, ce qui était bien plus vrai, allait périr à Pharsale, et après avoir dit, en beaux vers, que cette liberté se retirerait de l'Italie, pour devenir le bien des hordes de la Scythie ou des sauvages de la Germanie, il trouve mauvais que Rome ait été libre jusque-là, et il blâme Brutus de l'avoir débarrassée de ses premiers tyrans. Et forçant cette pensée, il en arrive à vanter le bonheur des peuples gouvernés par le despotisme.

3o Enfin, dans une dernière digression, il gourmande Jupiter d'avoir gardé son tonnerre pendant qu'on s'égorgeait dans la Thessalie. Pourquoi la foudre qui frappe les hautes montagnes (et il en nomme plusieurs) a-t-elle ménagé César? C'est done Cassius qui fera le devoir de Jupiter! Au reste, les dieux en seront bien punis, car les honneurs qui n'étaient réservés que pour eux, vont être rendus à de simples mortels.

J'insiste sur cette partie du livre, parce que ce sont de ces morceaux où l'on croit voir de belles pensées. Une analyse un peu sérieuse n'y trouve que de la déclamation.

Que signifie la première idée, par exemple? Ne dirait-on pas que la dépopulation ait été si grande à Pharsale? D'après l'estimation de César, il y eut quinze mille hommes tués du côté de Pompée, et vingtquatre mille prisonniers; quant à lui, il ne perdit que deux cents soldats environ et trente centurions. Admettons les exagérations de bulletin, admettons

qu'il en ait trop dit pour Pompée et trop peu pour lui, toujours est-il qu'en retranchant d'une part, et en ajoutant de l'autre les différences probables, cela ne fait qu'une bataille meurtrière et non une dépopulation. Que penser alors de l'exagération de Lucain? Quelle grandeur cherche-t-il dans ces images du monde entier livrant bataille à César? Que dirions-nous donc des dépopulations de la campagne de Russie?

Quant au raisonnement de Lucain concluant, de ce qu'on doit perdre un jour la liberté, qu'il vaut beaucoup mieux ne jamais avoir été libre, et s'extasiant sur le bonheur des peuples qui ont toujours été gouvernés par des tyrans, c'est de la politique des écoles de déclamation. Qu'une génération qui a commencé par la liberté, et qui finit par le despotisme, regrette amèrement le bien qu'elle a perdu, et qu'elle dise, dans son désespoir, qu'il eût mieux valu pour elle ne jamais en jouir, voilà un sentiment qui se conçoit; mais qu'un écrivain, planant sur sept siècles de générations, et voyant dans cette longue période trente générations qui ont possédé la liberté et la gloire, contre deux ou trois qui ont perdu ces deux biens à la fois, s'écrie qu'il valait mieux, pour épargner à ces deux ou trois générations un désenchantement douloureux, que les trente autres eussent vécu en servitude, c'est une singulière maxime sous la plume d'un poëte stoïcien. En tout cas, cette logique pouvait ne pas déplaire à la cour de Néron.

Enfin, quoi de plus puéril que ce Jupiter qui tonne sur les montagnes et ne tonne pas sur César, et

qui va se trouver bien attrapé quand il verra les honneurs divins rendus à ces hommes que son tonnerre a épargnés?

Combien je préfère à cette digression déclamatoire l'agréable fiction par laquelle Plutarque, avant de raconter la bataille de Pharsale, met sa propre pensée dans la bouche de quelques gens de bien, Grees ou Romains, qui d'un lieu écarté d'où ils voient les deux armées sur le point de s'ébranler, s'entretiennent de cette ambition fatale qui allait coûter à Rome tant de sang! Nos sages remarquent avec tristesse combien la nature de l'homme est aveuglée et furieuse, quand la passion la possède. Puis, venant aux deux hommes dont l'opiniâtreté allait faire s'entr'égorger deux armées combattant sous les mêmes drapeaux, « Que ne se sont-ils contentés, disent-ils, de gouverner en bon accord ce qu'ils avaient conquis! Ou s'ils avaient si soif de victoires, pourquoi ne pas faire ensemble la guerre aux Parthes et aux Germains, voire aux Indes, où leurs noms ont pénétré plus avant que le nom même de Rome! » Ainsi devaient penser en effet les bons citoyens qui n'appartenaient à aucun parti. C'était un vœu d'honnêtes gens, vœu chimérique d'ailleurs, comme celui que nos pères faisaient, au commencement de ce siècle, en voyant notre César s'enfoncer avec six cent mille Français dans les déserts glacés de la Russie; comme celui que nous avons fait plus d'une fois en assistant dans nos assemblées libres aux luttes politiques des maîtres de la parole!

Avant d'en venir aux mains, les deux armées se

contemplent dans un douloureux silence. Le pèrese trouve en présence du fils, le frère en présence du frère, sans qu'ils osent changer de place. Les bras prêts à lancer le javelot restent suspendus.... Appien et Dion ont pris à Lucain ces détails, qui sont faux et invraisemblables. Ils ont trouvé le tableau pittoresque, et l'ont copié, en retranchant les exagérations. César a dit que ses soldats demandaient la bataille, et qu'ils brûlaient d'en venir aux mains; il est à la fois plus véridique et plus sincère. Les guerres civiles engendrent plus de haines et de plus fortes que les guerres étrangères. Le poëte des guerres civiles ne devait pas ignorer cela. Le tableau de Lucain serait vrai d'une guerre dans les rues de Rome entre deux partis qui se disputeraient un consulat à main armée. Mais, à Pharsale, il y avait l'Orient d'un côté et l'Occident de l'autre; des races asiatiques contre des races gauloises, des soldats ayant fait la guerre en Germanie et d'autres qui avaient combattu les Parthes; très-peu de soldats de sang romain; les dernières guerres avaient blanchi de leurs os les trois parties du monde. Ceux qui se trouvaient dans les deux camps avaient donc cent chances contre une de ne pas avoir affaire à des compatriotes, mille chances contre une de ne pas se trouver en face d'un père ou d'un parent. Voilà l'inconvénient de l'épopée historique; on n'y est inventeur qu'aux dépens du vrai.

Crastinus, un vétéran de l'armée de César, engage la bataille en se précipitant sur les Pompéiens'.

1. « Aujourd'hui, dit-il à César, je ferai en sorte que tu me remercies, mort on vivant. » (Mémoire sur la guerre civile, livre III, chap. XCI.)

Lucain fait une imprécation contre ce brave, et lui souhaite, non-seulement la mort, c'est trop peu; mais le sentiment après la mort. Les tròmpettes sonnent la charge; une immense clameur s'élève jusqu'aux cieux; d'innombrables flèches volent des deux côtés. Quelques soldats, dit Lucain, dirigent leurs traits vers la terre, afin de conserver leurs mains pures; ce qui est plus que douteux. Pompée ordonne aux siens de se tenir immobiles et serrés, et d'attendre de pied ferme le choc des Césariens1. La cavalerie de Pompée charge une des ailes de César; elle est soutenue par des frondeurs et des archers auxiliaires. « Sur le ciel s'étend un ré«<seau de fer, et une nuit formée de javelots entre« mêlés est suspendue sur le champ de bataille. »

Ferro subtexitur æther,

Noxque super campos telis conserta pependit.

César fait sortir tout à coup, des derrières de sa cavalerie, six cohortes qu'il y avait cachées, et qui, s'avançant obliquement, attaquent en flanc la cavalerie de Pompée, déjà rompue et débandée. Les Pompéiens sont enfoncés. Les soldats de César pé

[ocr errors]

1. «En quoy César depuis dit que Pompée avait fait une lourde faulte, ne considérant pas que ceste rencontre, qui se fait en courant de roideur, oultre ce qu'elle donne force plus roide aux premiers coups, encore enflamme-elle le courage des hommes, pource que cest élancement commun de tous les combatans qui courent ensemble, luy est comme un soufflet qui l'allume. (PLUT., Vie de César, trad. d'Amyot.) Neque frustra antiquitus institutum est ut signa undique concinerent, clamoremque universi tollerent : quibus rebus et hostes terreri, et suos incitari existimaverunt. >> (Mémoire sur la guerre civile, livre III, chap. XCII.) 2. Tous les hommes de guerre admirent cette disposition de César. C'est aux soldats de cette petite troupe qu'il avait recommandé de frapper la cavalerie ennemie au visage. Avant la bataille, il avait annoncé que ces six cohortes en décideraient le gain. Frontin, dans ses Stratagèmes, dit que rien ne contribua davanLage, dans cette journée, à donner la victoire à César.

« ForrigeFortsæt »