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nait ce conseil à son amie avait de la raison et de la finesse. Bienfaiteur, si tu m'humilies, tu entendras de moi le discours du citoyen sauvé de la proscription des Triumvirs par un ami de César, qui lui rappelait trop souvent ce bienfait. Je te dirai (lib. II, cap. 11): « Rends-moi à César : jusques à quand » me répéteras-tu Je t'ai sauvé, je t'ai arraché du supplice!

Je te dois la vie, si je m'en souviens; la mort, si tu m'en » fais souvenir; rien, si tu m'as sauvé par vanité. Ne cesseras-tu » pas de me traîner à ton char? Ne me laisseras-tu pas oublier » mon malheur? Sans toi, je n'aurais été mené en triomphe qu'une fois. »

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Peut-on quelquefois rappeler le service qu'on a rendu? Sénèque répond à cette question, en introduisant un soldat vétéran, accusé d'avoir exercé des violences contre ses voisins, et plaidant en présence de Jules-César sa cause qu'on instruisait avec chaleur (lib. V, cap. 24). " ....... Vous souvenez-vous,

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» mon général, d'une entorse que vous vous donnâtes au talon? C'était en Espagne, près du Sucron. - César dit : Je m'en » souviens. Et lorsque vous voulûtes vous reposer, par un so» leil ardent, à l'ombre d'un arbre peu touffu, le seul qui eût >> pu croître parmi les rochers pointus dont le sol était hérissé, » vous souvenez-vous qu'un dé vos soldats étendit sur vous son >> manteau? --- Si je me le rappelle? répondit César; j'étais » même dévoré par la soif; et comme la douleur de mon pied >> ne me permettait pas d'aller à la fontaine voisine, je m'y traî»> nais, lorsqu'un de mes soldats m'apporta de l'eau dans son » casque. Et l'homme et le casque, dites, mon général, les >> reconnaîtriez-vous? - Pour le casque, non; pour l'homme, » je le crois; mais à quoi cela revient-il? car, certes, tu n'es » pas cet homme-là. - Vous ne devez pas me reconnaître : car » alors j'étais sain, j'avais tous mes membres; mais depuis j'ai perdu un œil à la bataille de Monda, et l'on m'a trépané › » vous ne reconnaîtriez pas davantage le casque ; il a été fendu » sous le sabre d'un Espagnol, César étonné défendit qu'on inquiétât ce soldat, et lui adjugea les terres en litige. Cependant

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pourquoi un bon soldat ne serait-il pas un mauvais voisin? Et voilà ce que peut l'éloquence.

Le chapitre 3 du VIe livre est très-ferme, très-beau, et j'en conseillerais la lecture à celui qui veut savoir le moyen de donner de la consistance à des choses passagères, qui, par ellesmêmes, n'en ont aucune.

J'indiquerais bien les chapitres 32, 33 et 34 du même livre, aux souverains; mais quand le philosophe leur aurait appris qu'un bien dont les plus grandes fortunes sont privées, qu'un bien qui manque à ceux qui possèdent tout, est un ami qui sache dire la vérité, qui arrache au concert trop harmonieux de la flatterie un grand enivré par la foule des imposteurs, amené jusqu'à l'ignorance du vrai, jusqu'à la haine du vrai, par l'habitude d'entendre, non des choses salutaires et honnêtes, mais des choses douces et empoisonnées; un ami, où le trouverontils? Quand cet ami les aurait convaincus de l'importance d'être entourés de gens de bien, les appelleraient-ils auprès de leur personne ? et quand ils les y auraient appelés, comment les y garderaient-ils?

Que nous serions heureux, si nous réfléchissions sur les avantages que nous devons à notre médiocrité, et dont les hautes conditions sont privées! nous avons presque autant de ressources pour devenir bons, qu'ils en ont pour devenir méchans: ils usent aussi bien des leurs que nous usons mal des nôtres; d'où il arrive que nous sommes tous corrompus.

Sénèque remarque (lib. VI, cap. 32) « que c'est le caractère » des rois de regretter les morts, pour outrager les vivans, et » de louer la hardiesse à dire la vérité, dans ceux dont ils n'ont plus à craindre de l'entendre. »

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Le poète Rabirius met un très-beau mot dans la bouche d'Antoine mourant: Je n'ai plus que ce que j'ai donné. Et pourquoi ne dirais-je pas aussi à la fortune: « Enlève-moi ce qui me reste, et tu ne me feras pas mourir tout-à-fait indigent? »

1 Voyez le traité des Bienfaits, liv. VI, chap. 3.

Si la lecture de Sénèque tourmente le méchant, l'homme de bien y trouve souvent son éloge.

Dans ce traité des Bienfaits, à chaque chapitre on croit que tout est dit, et cependant il n'en est rien. Sénèque ne montre dans aucun autre de ses ouvrages autant de fécondité. Les auteurs du siècle de la grande éloquence ont su communément présenter leurs idées d'une manière plus simple et plus imposante; mais en avaient-ils autant que Sénèque ?

FINIS LIBRORUM DE BENEFICIIS.

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