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était-ce chez elle une recrudescence de cette crainte de déplaire qui lui avait fait différer jusqu'à cette heure l'abandon de sa personne, et chez lui la sorte de farouche mélancolie, dernier signe de l'animalité primitive, qui précède chez l'homme toute entrée dans le complet amour? Comme il arrive à des moments pareils, leurs discours se faisaient d'autant plus calmes et indifférents que leurs cœurs étaient plus troublés. Ces deux amants qui avaient passé la journée dans la plus romanesque exaltation, et qui se retrouvaient dans la solitude de cet asile étranger, semblaient n'avoir à se dire que des phrasés sur le monde qu'ils avaient quitté. Ils se séparèrent de bonne heure, et comme s'ils se fussent dit adieu pour ne se voir que le lendemain, quoiqu'ils sentissent bien tous les deux que dormir séparés l'un de l'autre ne leur était pas possible. Aussi Hubert ne fut-il pas étonné, quoique son cœur battît à se rompre, lorsqu'au moment où il allait lui-même se rendre auprès d'elle, il entendit la clef tourner dans la porte, Thérèse entra, vêtue d'un long peignoir souple de dentelles blanches, et dans ses yeux une douceur passionnée : « Ah! dit-elle en fermant de sa main parfumée les paupières d'Hubert, je voudrais tant reposer sur ton cœur! »> Vers le milieu de la nuit, le jeune homme s'éveilla, et cherchant des lèvres le visage de sa maîtresse il trouva que ses joues qu'il ne voyait pas étaient inondées de pleurs « Tu souffres? » lui dit-il. « Non, répondit-elle, ce sont des larmes de reconnaissance. Ah! continua-t-elle, comment a-t-on pu ne pas te prendre à moi par avance, mon ange, et comme je suis indigne de toi!... » Énigmatiques paroles qu'Hubert devait se rappeler si souvent plus tard et qui, même à cette minute, et sous ces baisers, firent soudain se lever en lui la vapeur de tristesse, accompagnement habituel du plaisir. A travers cette vapeur de tristesse, il aperçut, comme dans un éclair, une maison de lui bien connue, et les visages penchés sous la lampe, parmi les portraits de famille, des deux femmes qui l'avaient élevé.

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Ce ne fut qu'une seconde et il posa sa tête sur la poitrine de Thérèse pour y oublier toute pensée tandis que la vague plainte de la mer arrivait jusqu'à lui, adoucie par la disrumeur mystérieuse et lointaine comme l'approche

tance,

de la destinée.

Telle est la note dominante de ce livre qui, certainement, prendra dans notre littérature une place près de ces belles études d'un coin du cœur qui ont fait vivre au delà de leur carrière d'hommes politiques Benjamin Constant et Stendahl; j'ai cité à dessein l'auteur de la Chartreuse de Parme, car on l'opposera certainement à M. Paul Bourget; je ne crains cependant pas la comparaison pour ce dernier, et, dussent tous les clichés d'admiration plus ou moins sincère m'être jetés à la tête, je déclare que je trouve plus de simplicité, plus de vérité dans cette étude que dans l'Amour et dans les romans de Beyle, remplis de recherche, pénibles à la lecture, énigmatiques, ne parlant qu'à demi-mot et affectant un scepticisme à la Talleyrand là où il ne faut que de la franchise, de l'observation calme et de la sincérité. Je n'ai plus à prédire un succès à M. Bourget; il a vaincu; à lui de savoir profiter de la victoire.

X

ÉMILE ZOLA

Germinal. 1885

M. Zola a pris encore cette fois la nature brute et terrible pour modèle, et avec quelle vigueur de tons, quelle magistrale force de couleur il nous a peint des scènes de la vie cruelle! Il semble que les misères, que les tableaux effrayants des souffrances terrestres ne lui suffisent plus; il allume une lampe de mineur, et c'est bien loin au-dessous du sol, bien loin de la lumière qu'il va nous faire étudier ces vivants qui s'immobilisent côte à côte avec les fossiles de Cuvier. Le tableau, je le répète, est terrifiant, d'autant plus qu'il nous montre revendiquant leur place au soleil les gens qui, jetés par leurs misères dans les terrains antédiluviens, surgissent noirs et effrayants pour exiger une part dans le monde social.

Je passe sur les critiques de forme, sur les protestations contre des mots, des scènes qui doivent forcément froisser bien des délicatesses, mais je dois ajouter que ces brutalités justement reprochées renferment souvent de rares énergies, et que sous le vocable trivial on trouve presque toujours une idée véritablement forte. Parfois ce mot même était nécessaire dans la scène, mais fallait-il faire la scène ? Grave question.

Voici, par exemple, un des épisodes du nouveau livre qu'édite Charpentier. La mine est éboulée, inondée, les personnages du drame, des mineurs, enfermés dans une galerie, tombeau sans issue:

Un jour, deux jours se passèrent. Ils étaient au fond depuis six jours. L'eau, arrêtée à leurs genoux, ne montait ni ne descendait; et leurs jambes semblaient fondre dans ce bain de glace. Pendant une heure, ils pouvaient bien les retirer; mais la position devenait alors si incommode qu'ils étaient tordus de crampes atroces et qu'ils devaient laisser retomber les talons. Toutes les dix minutes, ils se remontaient d'un coup de reins sur la roche glissante. Les cassures du charbon leur défonçaient l'échine, ils éprouvaient à la nuque une douleur fixe et intense, d'avoir à la tenir ployée constamment, pour ne pas se briser le crâne. Et l'étouffement croissait, l'air refoulé par l'eau se comprimait dans l'espèce de cloche où ils se trouvaient enfermés. Leur voix, assourdie, paraissait venir de très loin. Des bourdonnements d'oreilles se déclarèrent, ils entendaient les volées d'un tocsin furieux, le galop d'un troupeau sous une averse de grêle interminable.

D'abord, Catherine souffrit horriblement de la faim. Elle

portait à sa gorge ses pauvres mains crispées, elle avait de grands souffles creux, une plainte continue, déchirante, comme si une tenaille lui eût arraché l'estomac. Etienne, étranglé par la même torture, tâtonnait fièvreusement dans l'obscurité, lorsque, près de lui, ses doigts rencontrèrent une pièce du boisage, à moitié pourrie, que ses ongles émiettaient. Et il en donna une poignée à la herscheuse, qui l'engloutit goulument. Durant deux journées, ils vécurent de ce bois vermoulu, ils le dévorèrent tout entier, désespérés de l'avoir fini, s'écorchant les mains à vouloir entamer les autres, solides encore, et dont les fibres résistaient. Leur supplice augmenta, ils s'enrageaient de ne pouvoir mâcher la toile de leurs vêtements. Une ceinture de cuir qui le serrait à la taille les soulagea un peu. Il en coupa de petits morceaux avec les dents, et elle les broyait, s'acharnait à les avaler. Cela occupait leurs mâchoires, leur donnait l'illusion qu'ils mangeaient. Puis, quand la ceinture fut achevée, ils se remirent à la toile, la suçant pendant des heures.

Mais bientôt, ces crises violentes se calmèrent, la faim ne fut plus qu'une douleur profonde, sourde, l'évanouissement même, lent et progressif de leurs forces. Sans doute, ils auraient succombé, s'ils n'avaient pas eu de l'eau tant qu'ils en voulaient. Ils se baissaient simplement, buvaient dans le creux de la main; et cela à vingt reprises, brûlés d'une telle soif que toute cette eau ne pouvait l'étancher.

Le septième jour, Catherine se penchait pour boire, lorsqu'elle heurta de la main un corps flottant devant elle. Dis donc, regarde... Qu'est-ce que c'est ?

Etienne tâta dans les ténèbres.

Je ne comprends pas, on dirait la couverture d'une porte d'aérage.

Elle but, mais comme elle puisait une seconde gorgée, le corps revint battre sa main. Et elle poussa un cri terrible.

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