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je ne veux me soucier que de sa grâce et de sa beauté, et je serais fort désobligé au médecin qui viendrait m'expliquer qu'elle vient d'avoir des coliques et qu'elle en a subi il y a un instant les fâcheuses conséquences.

De même je demande aussi la discrétion sur toutes choses instinctivement dissimulées; je veux le respect pour la fillette de douze à quatorze ans, et il ne me plaît pas qu'on vienne me parler de ses fonctions naturelles, quand je ne pense qu'à sa grâce, au parfum et à la fleur de sa jeunesse. Depuis quelques années, la mode est de faire souffrir la pudeur des femmes en révélant ce qu'elles tiennent, et très justement caché; je demande, au nom de celles qui ne croient pas acheter un livre d'anatomie en prenant un roman, qu'on nous délivre désormais de tant de détails de santé, mis à la mode par le trop sensible M. Michelet, et qui ne relèvent, en somme, que du cabinet de toilette.

Ceci, uniquement pour dire ce que j'avais sur le cœur, et en constatant le très juste et très mérité succès qui vient d'accueillir le livre de M. Edmond de Goncourt.

VI

JEAN RICHEPIN

Les Blasphèmes. 1884

Clément Laurier « qui n'était point un rêveur » avait, lui aussi, fait des vers dans sa jeunesse. Je possède encore dans mes papiers une assez volumineuse correspondance de ce pauvre ami, et j'y trouve perdus dans beaucoup de prose ces deux vers médiocres:

...Je ne sais qu'une chose

C'est qu'en somme un poète est un homme qui pose.

C'est probablement après avoir bien retourné cette pensée qu'il s'est jeté dans la politique et dans la finance. Tout homme d'esprit qu'il était, il ignorait que le métier de poète est un métier comme un autre et qu'on peut gagner aussi, à réunir des hémis

tiches, fortune et honneurs. Le tout est de savoir s'y prendre.

Nous avons le poète qui passe sa vie à réciter ses vers dans un salon en se grillant les mollets au feu de la cheminée; celui-là est parfois élégiaque, mais généralement c'est un révolté, un farouche, un homme à ïambes; arrivé du fin fond du Midi pour faire fortune à Paris, il commence par « lui dire ses vérités »; il l'appelle immense égout, immonde cloaque, amas d'ordures, etc., etc., même s'il y a des dames; son avenir est vite assuré; peu à peu il s'adoucit et quand ses vers paraissent dans une revue, c'est un mouton, de tigre qu'il était. Alors il est bien plus redoutable, il produit! et les éditeurs n'ont qu'à bien se tenir; il ira fouiller dans tous les replis de sa mémoire, il y retrouvera ses amours, ses pensées intimes, et bien vite il les recopiera pour aller les vendre au plus enchérissant. Combien il est heureux d'avoir été trompé par une jeune personne des Bouffes-Parisiens et d'avoir écrit là-dessus des vers éplorés ! la souffrance a du bon, et comme le musc qui ne produit son parfum que sous les coups de bâton, le poète n'est vraiment éloquent que quand il a reçu quelques bons horions de la

nature.

Mais pourquoi tout cela? Pourquoi cet accès de rancune? Parce que j'ai trop de volumes de vers à examiner aujourd'hui, et que j'y trouve trop de valeur pour les accueillir avec des louanges banales

et rapides, et que je n'en puis parler à la légère. M. Jean Richepin est le lion du jour, je lui sacrifierai donc des gens de talent réel aussi, comme M. Maxime Rude, dont les Gouttes de Sang, un recueil de poésies pleines de charme et de vigueur, eussent mérité un plus long examen. De même pour l'Ame inquiète, de M. Gaston de Raimes (chez Lemerre); A tire d'Aile, de Jacques Normand (chez Calmann Lévy), qui contient le Billet de faire-part, un des succès de Coquelin; Les Violettes, si bien dites par M Bartet; Les Tentations d'Antoine, etc. J'en oublie bien d'autres, comme M. Rodenbach, mais j'ai hâte d'arriver à l'œuvre de M. Richepin.

Cette fois, l'auteur de la Chanson des Gueux (chez Dreyfous) a agrandi son horizon; il ne s'agit plus d'étudier tel ou tel coin de la société, c'est de l'humanité entière, de ses rêves, de ses croyances que le poète va s'occuper. Les tyrans aussi, les rois de la terre (pauvres tyrans, où êtes-vous?) les rois du ciel, les dieux (pauvres dieux!) Jéhovah, Jupiter, Jésus, Mahomet, la libre-pensée elle-même, tout va défiler devant lui. Debout, comme jadis les débardeurs de Gavarni, aux couloirs, à l'Opéra, il « engueulera » tous les masques qui passeront, et comme le livre est intitulé Blasphèmes, on pense bien que les jurons ne manqueront point à ses apostrophes; l'argot, lui-même, viendra se mêler à la belle langue qu'il sait parler, et malheur à ceux qu'il « aguichera »!

Le programme de M. Richepin tient dans une préface de quelques pages; sa conclusion est que le livre pourrait justement être intitulé: la Bible de l'athéisme. Soit, mais il n'y gagnerait rien, et sous tous ces mots furibonds, sous ces phrases qui veulent tout démolir, je sens comme un regret des croyances du passé; l'insouciance philosophique et athée n'a ni ces rages ni ces fureurs.

Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre,
Vivait et respirait en un peuple de dieux?

Qu'on se rappelle ce chef-d'oeuvre de Musset; c'est au fond tout l'esprit du prologue des Blasphèmes. Le sentiment qui l'a dicté se retrouve sous toutes les formes à l'insu de l'écrivain. Dans les Sonnets amers, Le Carnaval, Le Juif Errant, La mort du Diable, Les vieux Astres, la même incessante pensée se fait jour à travers les magnifiques strophes tachées de gros mots, et cela volontairement; j'ajouterai, à ce propos, qu'on dirait de la gageure d'un Benvenuto Cellini, qui aurait juré de sertir des excréments dans ses merveilleux ornements d'or et d'argent; il semble parfois que M. Richepin ait voulu défendre à la mémoire du lecteur de retenir, pour la réciter, une seule pièce de ses beaux vers, et je le sens d'autant mieux qu'il m'est impossible, malgré toute ma bonne volonté, d'en reproduire une ici dans son entier. Est-ce à dire que le livre ne soit

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