Billeder på siden
PDF
ePub

apparition de quelques mois. Elle était toute pareille à lui; mêmes yeux, même regard. Étrange ressemblance que celle d'une si petite créature avec un homme.

Un jour, elle s'en retourna dans les régions mystérieuses d'où elle était venue, rappelée tout à coup par une maladie d'enfant, à laquelle ni la vieille sage-femme, ni la grande penseuse de Toulven, n'avaient rien compris. Et on l'emporta là-bas au pied de l'église, ses yeux semblables à ceux d'Yves, fermés pour jamais.

Revenons à la mer. Voici l'enterrement, non l'immersion » d'un matelot :

Une grande planche toute neuve était posée en travers sur les bastingages, débordant, faisant bascule au-dessus de la mer; et on venait d'apporter d'en bas une chose sinistre qui semblait très lourde, une gaine de toile grise qui accusait une forme humaine.

Quand Barazère fut couché sur la grande planche neuve, en porte-à-faux au-dessus des lames pleines d'écume, tous les bonnets des marins s'abaissèrent pour un salut suprême; un timonier récita une prière, des mains firent des signes de croix, et puis, à mon commandement, la planche bascula et on entendit le bruit sourd d'un grand remous dans les eaux.

Le Primauguet continuait de courir, et le corps de Barazère était tombé dans ce gouffre, immense en profondeur et en étendue, qui est le Grand Océan.

Cependant on regardait derrière avec inquiétude dans le sillage c'est qu'il arrive, quand le requin est là, qu'une tache de sang remonte à la surface de la mer.

Mais non, rien ne reparut; il était descendu en paix dans les profondeurs d'en dessous.

Descente infinie, d'abord rapide comme une chute; puis

lente, lente, alanguie peu à peu dans les couches de plus en plus denses. Mystérieux voyage de plusieurs licues dans des abîmes inconnus; où le soleil qui s'obscurcit paraît semblable à une lune blême, puis verdit, tremble, s'efface. Et alors l'obscurité éternelle commence; les eaux montent, montent, s'entassent au-dessus de la tête du voyageur comme une marée de déluge qui s'élèverait jusqu'aux astres. Mais, en bas, le cadavre tombé a perdu son horreur; la matière n'est jamais immonde d'une façon absolue. Dans l'obscurité, les bêtes invisibles des eaux profondes vont venir l'entourer; les madrépores mystérieux vont pousser sur lui leurs branches, le manger très lentement avec les mille petites bouches de leurs fleurs vivantes.

Cette sépulture des marins n'est plus violable par aucune main humaine. Celui qui est descendu dormir si bas est plus mort qu'aucun autre mort; jamais rien de lui ne remontera; jamais il ne se mêlera plus à cette vieille poussière d'hommes qui, à la surface, se cherche et se recombine toujours dans un éternel effort pour revivre. Il appartient à la vie d'en dessous; il va passer dans les plantes de pierre qui n'ont pas de couleur, dans les bêtes lentes qui sont sans forme et sans yeux.

Voilà pour moi une merveille, une étonnante description qui suffirait pour mettre l'auteur de Mon frère Yves au rang de nos meilleurs écrivains, de nos grands penseurs, s'il n'y était déjà.

II

GUY DE MAUPASSANT

Une vie. 1883

Une Vie, tel est le titre du premier roman de M. Guy de Maupassant, paru chez Havard. Ce titre, pour ne tenir qu'en deux mots, le résume cependant tout entier : Une vie ; c'est en effet l'histoire de toute une existence, année par année, jour par jour, presque heure par heure, que M. de Maupassant vient d'écrire. Je ne sais jusqu'où l'opinion publique va porter le succès de ce roman, succès qui ne peut être douteux, mais ce que je tiens à dire, avant d'entrer plus amplement dans l'analyse de ce procès-verbal minutieux et émouvant de la vie d'une créature humaine, c'est que son auteur vient de faire un grand pas et s'est placé aujourd'hui sur un terrain assez élevé pour que sa personnalité s'y puisse détacher magistralement.

M. Guy de Maupassant, qui a commencé comme élève de M. Zola, vient de sortir d'un bond de l'école.

Une vie, c'est l'histoire d'une jeune fille de petite noblesse de province, élevée entre un père et une mère qui l'adorent, dans un milieu paisible, respirant l'honneur, la bonté, toutes ces belles choses qui deviennent si rares aujourd'hui.

La jeune fille est mariée presque au sortir du couvent et épouse, avec confiance, celui que le baron et la baronne ont cru devoir assurer le bonheur de sa vie. Les désillusions de la jeune fille commencent, et c'est leur défilé qui forme l'ensemble du roman. Le mari, le vicomte Julien de Lamare, est le type de l'égoïsme banal; il a des défauts, mais les défauts d'une âme vulgaire; il a des vices, mais ces vices bourgeois qui n'ont pas la grandeur de la franchise; il trompe sa femme bestialement, pour la tromper, et noue finalement une intrigue avec une amie de sa femme, la comtesse Gilberte de Fourville. Le mari n'est point homme à endurer la situation qui lui est faite, et, surprenant sa femme et son amant enfermés dans une cabane de berger, au haut d'une côte, les envoie d'un coup d'épaule, contenant et contenu, s'écraser au fond de la vallée. Je n'ai cité que les grandes lignes du roman, mais là n'est pas, on le pense bien, tout l'intérêt de l'œuvre ; il est dans le détail exquis des impressions de cette âme à travers les courtes joies, les cha

grins, les douleurs de la vie. Pourquoi l'auteur y a-t-il mis parfois quelques touches trop réalistes ? je ne sais ; mais il faut les lui pardonner : ce ne sont que de très légères taches.

La première partie, l'idylle charmante et printanière de cette âme honnête est un véritable chefd'œuvre; plus loin ce sont les déceptions de la maternité; rien de plus navrant, de plus cruel, de mieux dépeint que ces cris du cœur quand sonnent les heures des séparations éternelles; rien de plus charmant que le regard de cette femme, devenue grand-mère à son tour, et tendant ses bras à son petit enfant dont la douceur doit être un baume sur les plaies faites par son fils lui-même. Je n'insisterai pas sur le mérite du livre, il est facile à tout le monde de le constater. J'ai tenu à marquer non pas le premier succès de M. Guy de Maupassant, mais à signaler tout particulièrement l'œuvre qui nous révèle un grand romancier de plus.

Je m'aperçois un peu tard que j'ai promis à mes lecteurs un extrait du livre; je l'écourte bien malgré moi, mais je tiens ma promesse. J'emprunte le passage qui suit au chapitre consacré à la mort de la mère de Jeanne. La pauvre femme n'est plus, et sa fille s'est assise près d'elle pour la veiller; l'abbé qui a donné l'extrême onction vient de partir:

Alors le vicomte, de sa voix ordinaire, demanda : « Vas

« ForrigeFortsæt »