Billeder på siden
PDF
ePub

matique. Sa correspondance, qui fait si bien connoître son caractère, fourni des preuves nombreuses de ce que je viens d'avancer. Voici le billet fort extraordinaire qu'il écrivoit à M. Léopold, le 3 avril 1788 : « Enfin, le premier acteur s'est laissé fléchir, et il permet au second de jouer avec lui! Engagez à présent ce dernier à se prêter un peu aux avis du principal. Ces deux acteurs ont du talent, il faut les garder l'un et l'autre en les réconciliant. Employez-y votre crédit, et que ce grand traité se fasse, s'il se peut, demain à la répétition. En affaires comme en amour, il y a l'heure du berger ». Gustave pouvoit commander et punir; mais s'étant fait auteur, il a senti que les comédiens étoient devenus ses maîtres, et il prend le ton humble et modeste, comme il convient à ceux qui composent, quand ils s'adressent à ceux qui récitent. Dans un autre billet à la même personne, on trouve ces expressions : « Je vous remercie d'avoir prêté votre nom à un ouvrage qui pouvoit ne pas réussir; votre réputation est faite, il est vrai; un mauvais succès pouvoit cependant y nuire, et vous avez bien voulu le risquer pour moi ». Gustave craignoit donc de tomber ! Et il prêtoît l'oreille à la critique, car il termine son billet en disant qu'il vient de faire des corrections.

Ailleurs on trouve cette agréable plaisanterie : L'auteur de Siri-Brahe fait bien ses complimens à celui d'Oden, et le prie de vouloir bien lui procurer un billet de parterre pour demain, etc. ». Se douteroit-on que c'est un roi du Nord qui écrit à un auteur ?

Gustave n'étoit cependant pas exempt d'amour propre sur l'article des belles-lettres : il auroit cru n'être pas assez auteur, s'il n'en avoit pas eu la vaIX®, année.

12

[ocr errors]
[ocr errors]

nité il la laisse percer avec une naïveté admirable dans une lettre qu'il écrit à M. d'Armfelt. Notez qu'il écrit cette lettre dans un moment où il est menacé par toutes les forces de la Russie et par celles du Dannemarck ; il la termine par cette phrase: « On a donné Siri-Brahe pour la seizième fois; il y avoit beaucoup de monde ». Il y avoit beaucoup de monde est charmant

dans un roi.

Quand on voit des monarques ambitionner la gloire des lettres, se montrer sensibles à un succès, et cependant reconnoître les défauts de leurs ouvrages, en parler avec modestie, écouter la critique, témoigner une amitié franche à ceux qui leur disputent la palme, et même à ceux qui l'obtiennent, de quel œil doit-on considérer ces auteurs gonflés d'orgueil, qui veulent être admirés sans restriction, loués sans mesure, qui regardent toute critique comine un outrage, et qui nous enverroient aux carrières, s'ils avoient autant de puissance qu'ils ont de haine et de vanité?

Ceux qui n'ont d'autre qualité que celle d'auteur ceux qu'aucune dignité, qu'aucun titre n'élèvent audessus de leurs concitoyens, supportent encore la critique, quand elle est bien douce pour eux, ou bien dure pour leurs rivaux; mais si la fortune leur prodigue ses faveurs, s'ils ont l'honneur d'être admis à l'un de ces corps illustres qui donnent à leurs membres une grande considération, malheur alors au téméraire qui oseroit relever la plus petite faute dans leurs écrits! Leur rang et leur titre protègent leur prose et leurs vers; ils prétendent que nous attaquons leur place si nous attaquons un de leurs hémistiches, et que nous avilissons le corps entier, si nous trouvons qu'un membre a fait un solécisme. Il semble qu'ils disent: Nous sommes bons magistrats, bons politiques, bons mé

decins, etc......; ainsi, vous devez respecter nos discours, nos madrigaux et nos chansons. Jadis, ils nous recommandoient de ne point faire acception des personnes, et de ne considérer que les ouvrages; aujour d'hui, ils nous ordonnent d'admirer les ouvrages en considération des personnes.

Pensent-ils que l'admission à un corps respectable soit une patente d'infaillibilité? S'ils veulent mettre un baillon à la critique, qu'ils renoncent donc à tout éloge; car pour louer il faut juger, et pour juger il faut critiquer, puisque le mot critique ne signifie, à proprement parler, que la séparation du bon et du mauvais. L'ancien Gouvernement de Venise ne souffroit point qu'on le critiquât; mais il étoit conséquent dans ses principes, puisqu'en même temps il défendoit qu'on dît du bien de lui. Mais non; les Messieurs dont je parle ne veulent que du bien : ce n'est plus même du bien qu'ils demandent, ils veulent du mieux ; et si leur prétention s'accroît encore, je les prierai de nous fournir des expressions en nous forgeant de nouveaux mots; talent qu'ils ont au suprême degré, et sur lequel il faut encore leur donner des louanges.

Mais cette digression m'entraîne trop loin. Je reviens à Gustave, qui étoit auteur, qui protégeoit les auteurs de mérite, et qui n'étoit ni aussi fier ni äussi présomptueux que ces Messieurs , parce qu'il n'étoit

que roi.

Les Œuvres de Gustave III se divisent en trois parties. Le premier volume contient ses écrits politiques et littéraires; les deux suivans, ses ouvrages dramatiques, et les deux derniers, sa correspondance. Dans le premier, on trouve ses discours à l'occasion de l'établissement d'une académie, un bel éloge du général Torstenson, et plusieurs discours pendant la

tenue des États, époque orageuse où Gustave a montré le plus grand caractère, où il a agi avec autant de fermeté qu'il a parlé avec noblesse, où il a été enfin ce qu'il seroit à souhaiter que fussent tous les rois ; car un prince foible est le plus grand fléau que le ciel en courroux puisse envoyer aux peuples.

Comme j'ignore absolument la langue suédoise, il m'est impossible de juger si M. Dechaux a rendu exactement les expressions de l'original: mais je suis très-disposé à le croire, quand j'apprends que ce littérateur a passé plus de vingt ans à la cour de Stockolm, et que la langue suédoise lui est aussi familière qué la nôtre. Son style, d'ailleurs, est toujours pur et correct: il s'élève et prend de la force dans toutes les circonstances où Gustave parle en roi; il devient simple, facile dans les occasions moins solennelles, et il prend même quelquefois un ton de négligence aimable dans la correspondance, lorsque le prince écrit à ses amis avec ce ton de bonté, de confiance et de familiarité. qui a tant de charme dans les hommes puissans. Le style de M. Dechaux a si peu l'air d'une traduction, que je n'ai pu distinguer les morceaux traduits de ceux qui avoient été écrits en français par Gustave. H.

XXII.

La Philosophie est-elle utile pour le gouvernement de

PLATON

la société ?

a dit: Que les peuples seroient heureux si les rois étoient philosophes, ou si les philosophes étoient rois. Le grand Frédéric s'est exprimé sur le même sujet, dans un sens tout-à-fait opposé.

Assurément ce sont deux autorités respectables en philosophie que celles de Platon et de Frédéric; et lorsqu'ils sont si opposés l'un à l'autre, il est difficile de décider entre eux. Si, dans la science du gouvernement, nous voulons compter pour quelque chose l'expérience, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que Frédéric parloit du haut du trône, et que Platon philosophoit dans son cabinet, où il n'avoit à gouverner que son école; et il est fort douteux que les peuples eussent été heureux avec les systèmes de gouvernement qu'il a imaginés. Si nous nous en rapportons aux philosophes eux-mêmes, nous les voyons traiter avec beaucoup d'irrévérence le divin Platon, et ne parler de Frédéric qu'avec admiration. Cependant les deux sentimens peuvent être vrais, et leur opposition prouve seulement que la philosophie de Platon étoit une autre philosophie que celle dont Frédéric a voulu parler; et les sociétés d'alors d'autres sociétés que celles d'aujourd'hui.

Les philosophes payens, au sein d'une religion sans morale, devoient naturellement séparer la morale de la religion; et dégoûtés de la licence et de l'absurdité des croyances publiques, remonter directement aux préceptes de la loi naturelle donnée aux premières familles : loi par-tout obscurcie, et nulle part entiè rement effacée. Ils cherchoient, dans la raison de l'homme, l'ordre et la règle qu'ils ne trouvoient pas dans des sociétés qui n'avoient presque d'autres lois que des caprices plus ou moins anciens, d'autres ins titutions publiques que des jeux, et dans lesquelles le choc des factions mettoit sans cesse le sceptre du pou voir aux mains de l'ambition et de la cupidité, et la balance de la justice aux mains de la vengeance. Dans ces états, l'homme étoit tout, la société rien; et selon

« ForrigeFortsæt »