ils se montreront plus exacts, afin que notre revue de fin d'année puisse se passer de supplément. 1. Si tout ce que publie le Magasin d'éducation et de récréation valait Famille-Sans-Nom, de M. Jules Verne, dont le Polybiblion a déjà parlé (t. LVI, p. 18 et 495) et Mémoires d'un collégien russe, de M. André Laurie (voir t. LVI, p. 496), ce périodique pourrait être mis sans inconvénient entre les mains de la jeunesse. Les deux présents volumes contiennent aussi, sous la signature de M. A. Gennevraye, un émouvant et excellent récit intitulé: Marchand d'allumettes; c'est l'histoire d'un petit abandonné recueilli et adopté par un brave sergent invalide et qui finit, tout jeune, par conquérir l'épaulette. Nous n'avons pas autant à louer l'Aînée, de M. Jacques Lermont en faisant agir ses jeunes misses américaines, l'auteur se montre, sinon hostile, du moins bien indifférent en matière religieuse. Une élève de seize ans, suite de leçons fort bien écrites, mais pas toujours irréprochables, sont dues à M. Legouvé, l'académicien; ce qu'il dit du roi Henri IV, notamment, ne convient guère qu'aux personnes instruites, et, cependant, l'auteur s'adresse ici à la prime jeunesse. Nous prisons davantage les notices, appuyées de jolies gravures, sur quelques monuments historiques de la France châteaux de Langeais, de Chinon, de Châteaudun, et église de Saint-Aignan à Chartres; toutefois, nous voudrions, sur ces monuments, un texte moins sommaire. Signalons enfin quelques nouvelles et comédies, toutes honnêtes, mais où l'idée morale ne se dégage pas très nettement. Il y a du bon dans ce recueil, mais l'enfance et l'adolescence ont besoin d'un enseignement plus viril et plus chrétien. Le Magasin d'éducation reste dans une neutralité trop absolue; nous le regrettons, d'autant que l'illustration est excellente. 2. M. Carl Lumholtz est un jeune naturaliste norwégien qui fut chargé par l'Université de Christiania d'une mission scientifique en Australie faire des recherches et des collections pour les musées zoologique et zootomique de l'Université, étudier les mœurs et l'anthropologie des tribus peu connues qui habitent ce continent, tel était son programme. M. Lumholtz choisit la région nord-est du continent australien, celle où se trouvent les tribus les plus primitives de cette race australienne, la dernière peut-être sur l'échelle humaine, l'une des plus authentiquement convaincues d'anthropophagie. Pendant les trois années que le jeune savant passa dans ce pays, il fit de nombreuses excursions vers l'intérieur. Sans autres compagnons que des indigènes purs de toute compromission avec la civilisation, il est inouï qu'il ait pu passer des nuits au milieu d'eux, errer dans les hautes herbes et sous les sombres forêts, sans tomber victime de la voracité de ces misérables qui souvent souffrent cruellement de la faim. Il attribue cette immunité à la terreur qu'inspiraient ses armes à feu dont il manifestait souvent devant ses hôtes la redoutable puissance. D'ailleurs, il déclare qu'il faisait toujours passer devant lui ses noirs acolytes, de peur que la tentation ne fût trop forte pour eux. Entremêlés de descriptions de plantes et d'animaux, les récits de M. Lumholtz sont honnêtes, ne manquent pas d'originalité et abondent en épisodes émouvants. Mais il est bon de prévenir que les mœurs qu'il dépeint sont loin d'être édifiantes et que les belles gravures dont le volume est orné représentent souvent des nudités que tous les artifices du dessin ne peuvent qu'imparfaitement dissimuler. 3. C'est une patriotique pensée qui a déterminé M. Dick de Lonlay à écrire son livre : Notre Armée. Mais si nous avons à louer un récit animé, des descriptions de batailles bien exécutées, la précision des renseignements sur la formation des divers corps, l'abondance des détails techniques, nous devons constater que certaines assertions sont erronées. Où l'auteur a-t-il découvert l'authenticité de Pharamond? (page 6). Et non seulement M. Dick de Lonlay parle de ce problématique personnage comme d'un être réel, mais il cite un «bardit » fait en son honneur, et qui peut prendre place à côté du chant imaginaire d'Altabiçar. Nous regrettons que dans le vo lume de M. Dick de Lonlay quelques appréciations historiques ou plutôt politiques soient entachées par l'esprit de parti. Nous retrouvons là la phrase sur les Bourbons ramenés dans les fourgons de l'étranger (p. 931) et la glorieuse prise d'Alger, opérée si hardiment, malgré les récriminations de l'Angleterre, n'inspire pas à l'auteur une parole de sympathie pour le gouvernement de la Restauration (p. 1025). Les nombreuses vignettes coloriées dont le livre est parsemé auraient pu être accompagnées de cartes qui eussent été fort utiles pour la compréhension des batailles. 4. Nos Soldats du siècle, tel est le titre d'un album, illustré par Caran d'Ache, que nous donne la maison Plon et Nourrit. Ce qui fait l'originalité de cet album, c'est que l'artiste, en s'inspirant des images et des tableaux de chaque époque, y a mêlé son cachet personnel et sa verve. C'est comme une photographie vivante, qui fait passer sous nos yeux les types, les scènes, les batailles même témoin ces deux gravures en silhouettes noires : l'Artillerie de la Garde impériale, Eylau et les Cuirassiers à Reischoffen. Une part un peu exagérée est faite au grotesque, et surtout l'on sent trop que l'auteur a un profond dédain pour l'armée du « Roy, » comme il écrit agréablement : il y a là, à la fois, défaut de patriotisme et manque de convenances. Dans une œuvre de ce genre, on doit respecter tous les souvenirs et ne choquer per sonne. 5.- Dans le beau volume intitulé : Des Andes au Para, M. Marcel Monnier raconte, et d'une manière très agréable, les principaux épisodes d'un voyage fait par lui en 1886-87 à travers le continent sud-américain, du Pacifique à l'Atlantique. Comme il le dit, l'Amérique n'aura bientôt plus de secrets pour la géographie et lui-même aura certes contribué à dissiper plus d'un mystère à ce sujet; mais elle réservera encore à l'ethnographe et au naturaliste l'élément de bien des curieuses recherches. Sans prétendre hâter leur solution, l'auteur, en maintes occasions, jette des lueurs sur ces points encore obscurs. C'est une page fort curieuse que celle qui traite de la vieille légende des Amazones, si crédulement adoptée jadis (p. 407), et bien des fois l'auteur mêle l'érudition à ses récits de voyages pleins de détails sur les mœurs des habitants avec lesquels il se trouve en relation, de descriptions de sites constamment animées par la personnalité de l'écrivain qui se met en scène sans prétention, avec beaucoup de vérité et de bonne humeur. Le livre de M. Marcel Monnier, orné de nombreux dessins de M. G. Profit et de bonnes cartes, est, tout à la fois, instructif et amusant, deux adjectifs qu'on ne rencontre pas très fréquemment de compagnie. 6. Voici un nouveau volume du Walter Scott illustré, publié par la maison Firmin-Didot. Il nous offre les Aventures de Nigel, traduites par M. Robert de Cérisy. Beau format, belle impression, nombreuses gravures dues au crayon habile et plein d'humour de M. Édouard Toudouze, c'est un plaisir que de relire dans cette édition le vieux romancier, auquel on reviendra quand on sera rassasié jusqu'au dégoût de la triste littérature du jour. Aussi bien Walter Scott n'est pas si démodé qu'on pourrait le croire : il a ses défauts, mais quel art et quel charme incomparable ! Il a encore ses fidèles : la meilleure preuve est dans le succès qui a accueilli cette édition nouvelle, d'une si excellente exécution typographique. 7. Il y a un peu plus d'un an (t. LIII, p. 503-504), nous avons eu à parler de Brave Fille, de M. Fernand Calmettes. Tout en reconnaissant le mérite de l'ouvrage, nous ne soupçonnions guère qu'il dût obtenir un des prix Monthyon, décernés en 1889 par l'Académie française, et cependant quelle sera donc la récompense que l'Académie accordera à un nouvel ouvrage de l'auteur? Sœur aînée, en effet, est très supérieure à Brave Fille, comme fond et peut-être même comme forme. Sauf la marquise de Trémines et certain sacripant, père de Tristan, fils adoptif du généalogiste Dubol, tous les personnages de ce roman sont particulièrement sympathiques. La « lutte pour le devoir, » voilà ce qui a inspiré M. Calmettes. Il est impossible de refuser son estime et même son admiration à la plupart de ses personnages, et cependant quelque chose manque à l'ensemble, quelque chose de nécessaire surtout pour ceux qui souffrent, qui se dévouent, qui combattent pour le bien : la pensée de Dieu. Si cette lacune eût été comblée, ce livre eût mérité d'être placé au même rang que Cœur muet, de Milo Zénaïde Fleuriot (Voir Polybiblion, t. LVI, p. 503). - 8. Ce qui charme surtout dans Flamberge au vent, ce sont les gravures aussi spirituelles qu'excellentes de Job. Sous ce rapport, le livre est parfait. En le lisant, nous avons eu comme un écho affaibli d'Alexandre Dumas. Les héros de M. Henry de Brisay n'y vont pas de main morte Jean de Vallarmis et René de Kertaillan fendent et pourfendent les brigands parisiens avec un entrain qui rappelle les coups d'estoc de d'Artagnan. On voit là un vilain oncle qui cherche, par des crimes, à s'emparer de la fortune de ses neveu et nièce et qui n'arrive qu'à succomber ignominieusement dans cette lutte de la scélératesse contre l'honneur et le droit. Incidemment, l'auteur donne un récit très mouvementé de la bataille de Fontenoy qui, toutes proportions gardées, nous a remis en mémoire la peinture que Victor Hugo a faite, dans les Misérables, du grand désastre de Waterloo. Ce volume est intéressant; mais il convient plutôt aux jeunes hommes qu'aux adolescents, bien que la morale vulgaire y soit absolument sauve. 9. Naguère encore, on ignorait qu'au cœur même de la France, il existait une contrée formée de labyrinthes impénétrables, de falaises gigantesques, et que, sous la surface, les grottes, les lacs intérieurs, les rivières souterraines se succédaient dans un véritable éblouissement. C'est en ce pays inconnu que nous transporte M. E. Martel avec son livre les Cévennes et la Région des Causses. L'auteur a fait de cette région une étude approfondie. Il a frayé des chemins, s'est aventuré à travers les abîmes intérieurs sur un frèle canot démontable, à la lueur d'une lampe au magnésium, et il raconte ses explorations dans un style charmant. Nous lui devons un beau et bon livre que complètent des chapitres intéressants sur la flore, la faune et la géologie, en même temps que des cartes et de belles illustrations parlent aux yeux. L'an dernier, M. E. Levasseur publiait les Alpes (cf. Polybiblion, t. LIII, p. 505); présentement, M. E. Martel nous donne les Cévennes. A qui devrons-nous le Jura? Souhaitons que la maison Delagrave y songe pour 1891. 10. Monsieur Badaud est un digne épicier faisant valoir son commerce dans une petite ville et qu'un caprice de quelques camarades de café pousse à la députation, parce que son programme, très simple, est celui-ci : Suppression des impôts. Le nouveau réformateur arrive à la Chambre, et bientôt il enfourche son dada. Ses collègues l'applaudissent et la loi qui supprime l'impôt est votée d'enthousiasme. Mais cette médaille à son revers tous les services publics sont suspendus, la vie nationale est arrêtée, la misère et la ruine sont partout. M. Badaud est alors honni, conspué de ceux-mêmes qui l'ont le plus acclamé. Que fait-il alors? Conseillé par sa femme, plus sensée que lui et qui n'a pas cessé de vendre de la mélasse et des conserves alimentaires, il change son fusil d'épaule; il met en avant le projet d'une « cotisation patriotique et obligatoire pour le bien-être général de l'État et des particuliers. Les girouettes parlementaires et celles de son pays lui font aussitôt de nouvelles ovations, ce qui n'empêche pas le pauvre homme, désabusé, d'être forcé de renoncer à son siège, se contentant, à titre de compensation, de bonnes sinécures grassement payées par le gouvernement et dont il gratifie les deux aimables jeunes gens qui consentent à épouser ses filles sans dot. E finita la comedia. Si nous avions une innocente malice à faire à l'un de nos législateurs, à l'occasion du renouvellement de l'année, nous lui adresserions, avec dédicace spéciale, ce petit volume de M. Georges Vautier. L'illustration, due à M. Laurent-Gsell, est à la hauteur du texte, mais certaines vignettes nous obligent à dire que Monsieur Badaud ne doit pas être mis sous les yeux des jeunes filles. 11. Sous ce titre : L'Exposition universelle de 1889, la maison Hachette publie un remarquable livre de M. Louis Rousselet, fort bien illustré. L'auteur n'appuie pas, il glisse sur les origines révolution naires de la grande manifestation pacifique dont le souvenir restera vivant, vivace dans nos mémoires. C'est que c'est la France elle-même, et non son gouvernement, qui a affirmé, dans une demi-année, sa puissante vivalité. Indiscutablement, l'Exposition a été un succès merveilleux; mais on peut assurer que si la monarchie traditionnelle eût pu organiser, à une date moins irritante, cette étonnante entreprise, la réussite eût dépassé tout ce qu'il eût été possible, humainement, de prévoir. M. Louis Rousselet, dans son modeste volume, nous fait revoir tout ce qui a pu frapper nos yeux. Son livre donne la vision d'un petit univers agricole, industriel, commercial, artistique, pittoresque. Il sera goûté des jeunes intelligences cultivées. Exprimons le désir et l'espoir que le mème auteur nous donnera, un jour prochain, une grande œuvre sur le sujet qu'il s'est borné, ici, à effleurer. Page 7, M. Louis Rousselet constate que parmi les États monarchiques ayant refusé leur concours officiel à l'Exposition, se trouve la Suède « gouvernée par le petit-fils du révolutionnaire Bernadotte. >> Cette réflexion, qui nous a frappé, comporte un enseignement que feront bien de méditer les masses intelligentes du suffrage universel. 12. Les Promenades de deux enfants à l'Exposition, de Mme E. Dupuis, se recommandent d'elles-mêmes. Deux enfants de douze et dix ans, Maurice et Berthe, racontent, dans un style approprié, leurs impressions de visite à l'Exposition. La forme épistolaire a été adoptée par l'auteur et on ne peut que l'en féliciter. En seize promenades, nos deux petits amis sus-prénommés donnent beaucoup de détails instructifs ou amusants que leurs jeunes parents ou camarades goûteront fort, |