âge ou des ressources persuasives du savant professeur, mais ne conclut rien pour la solidité de la doctrine, qui est du reste trop contraire aux qualités et aux défauts de l'esprit français pour avoir chance de se répandre dans notre pays. Mais elle peut détraquer et désemparer beaucoup de jeunes âmes au moment décisif de leur formation intellectuelle et morale. On me dispensera de justifier ce jugement sévère; il suffit d'avoir indiqué le maître dont se réclame M. Thomas pour édifier sur ses vues générales ceux qui sont au courant des doctrines philosophiques contemporaines. Ils savent que Kant, et, après lui, ses disciples français, parlent avec un sentiment moral très élevé de tout ce qui touche aux graves questions de liberté, de responsabilité, de bonheur et de devoir et ce sont précisément les questions le plus largement développées dans ce volume; mais ils doivent savoir aussi la nullité scientifique et le danger pratique de la morale indépendante. Il y a d'ailleurs dans ce livre plus que de la neutralité religieuse, il y a une véritable opposition au christianisme. En rejetant expressément le Dieu de la métaphysique, pour proclamer, par le plus naïf anthropomorphisme, le Dieu moral <«< qui limite sa science et ses prévisions pour assurer notre liberté, » en ajoutant que ce Dieu se donne librement ses perfections, l'auteur n'ignore pas sans doute qu'il va contre le dogme chrétien; mais en outre bien des traits montrent, çà et là, son hostilité contre l'Eglise. V. Hugo et Renan prononcent, dans ses Éclaircissements, sur les mystères de l'au-delà et sur l'essence de la religion de Jésus. Et, dans son texte, lui-même, à l'occasion, qualifiera l'Église a un gouvernement des âmes... immoralement organisé » (p. 253). Ayant blâmė V. Cousin de n'avoir pas rompu ouvertement avec ce gouvernement des âmes, il n'a pas voulu mériter le même reproche. Aussi Mgr l'évèque d'Annecy n'a-t-il fait évidemment que remplir le devoir de sa charge en condamnant ce livre classique. Reste à savoir si M. Thomas n'a pas dépassé les droits de la sienne en professant dans des établissements « neutres >> des doctrines qui sont loin de l'être. 17. — C'est à la lumière des principes catholiques que le P. de Pascal aborde les questions les plus délicates et les plus irritantes de notre temps, dans son petit livre le Pouvoir social et l'Ordre économique. Il tâche d'y établir les vrais rapports du pouvoir politique: 1o avec l'organisation du travail (ch. III); 2o et 3o avec la distribution des moyens et des produits du travail (IV, V); 4° avec l'échange international (VI); 5° avec les charges sociales, impôt et assistance (VII). « Certains, dit-il lui-même dès le début, mème parmi nos amis, nous trouveront peutêtre trop hardi. » C'est faire entendre d'avance qu'il est aussi favorable que possible, sur le premier chef, au régime corporatif à l'encontre de la concurrence illimitée; sur le second point, à la consolidation de la ΜΑΙ 1890. T. LVIII. 26. propriété patrimoniale, au rétablissement de la propriété communale, à l'extinction de l'usure; sur le troisième et le quatrième point, à un certain degré de protection; sur le dernier, à l'impôt « sagement progressif!» On comprend que l'ardent zélateur des œuvres ouvrières n'ait pas espéré d'être toujours suivi jusqu'au bout par quelques-uns de ses amis. Mais sur la plupart des problèmes sociaux et économiques traités dans son livre, tous les économistes chrétiens applaudiront à sa doctrine et à ses déductions; sur les points plus difficiles où la discussion n'est pas close, on n'a qu'à gagner à le consulter et à peser ses raisons. La forme didactique, et pourtant leste et vive de la rédaction, est d'ailleurs une garantie de succès pour ce manuel d'économie politique et sociale, inspiré par la morale catholique. 18. La même inspiration religieuse a dicté les vingt-deux lettres adressées à un ami par M. G. Coste, juge à Chambéry, et réunies sous ce titre A travers la vie. Ici, plus de préoccupations techniques. Des circonstances personnelles amènent ou sont censées amener des leçons graves et affectueuses sur toutes les vérités de l'ordre religieux, moral et social, depuis l'origine et la fin de l'homme jusqu'aux devoirs du mariage, de la paternité, du patriotisme. Malheureusement le cadre épistolaire a peu d'intérêt et l'enseignement philosophique peu de profondeur. Bonnes leçons, en somme, mais bonnes seulement aux convertis, et encore à condition qu'ils n'aient pas « le goût difficile. » 19. Au contraire, c'est en philosophe exercé que M. Cimbali traite de presque toute la philosophie du droit dans son ouvrage sur la Volonté humaine dans ses rapports avec l'organisme naturel, social et juridique. Les trois parties indiquées par ce titre constituent la charpente du livre, dont l'idée maîtresse est le maintien de la liberté individuelle dans le triple déterminisme de la nature, de l'état et du droit. M.Cimbali a pour les négations matérialistes et positivistes un mépris ou une pitié qui ne saurait surprendre de la part d'un esprit à la fois profond et subtil. Après avoir cité une de ces formelles et gratuites négations de la liberté qui sont à la mode au delà des Alpes comme chez nous, il s'écriera: «On croit vraiment rêver! Tel est le degré de ramollissement cérébral et d'imbécillité flagrante où nous a conduits la perte de notre conscience morale! » Vous pensez avoir affaire à un représentant de la grande tradition scientifique, d'autant plus qu'il s'y réfère parfois, non sans termes d'honneur pour les maîtres de la philosophie chrétienne. Mais vous ne tardez pas à constater que ce disciple de Spedalieri est allé bien plus loin que son maître dans la voie du libéralisme doctrinal et juridique. Il se réclamera de Fouillée, de Guyau et d'autres écrivains aussi hostiles au libre arbitre, peut-être, il est vrai, sans avoir saisi toute la portée de leurs théories. Il cherchera les origines du droit dans un état de l'humanité inférieur à la condition de l'animal; et s'il consent à reconnaître l'importance sociale de la religion, même pour l'avenir, c'est, dit-il, « que les peuples n'ont jamais été, ne sont pas et ne seront jamais philosophes, et que les philosophes seuls peuvent accepter la réalité comme elle est, sans illusions d'aucune sorte (p. 82). » La grosse affaire de l'auteur, dans la partie sociale et juridique de son livre, c'est de démontrer la nature « contractuelle » de la société politique et d'en tirer les conséquences. Cette conception est, à ses yeux, «la plus grande découverte des temps modernes (p. 55); » et pourtant il la trouve déjà exprimée par Cicéron et il nomme saint Thomas parmi ses patrons. Il est vrai qu'il a Fair de faire du Docteur angélique un disciple de Dante, ce qui est aussi singulier en chronologie qu'il peut l'être en érudition religieuse d'attribuer au psalmiste une pensée d'Oxenstiern (p. 121) et, en théologie, de confondre Dieu le Père avec le Saint-Esprit (p. 120). Une étude plus profonde des maîtres chrétiens aurait montré à M. Cimbali l'antiquité de la vraie notion du contrat social; peut-être, il est vrai, n'aurait-il pas trouvé dans cette notion sa théorie plus ingénieuse que solide sur le droit pénal. M. Cimbali mériterait, par son talent réel, de faire moins de concessions aux doctrines nouvelles qui sapent par la base ce qu'elles prétendent fonder. 20. La renaissance de la philosophie scolastique dans l'enseignement catholique coïncidant avec le désarroi de plus en plus frappant de la philosophie indépendante, crée un besoin nouveau pour beaucoup d'âmes croyantes ou simplement sincères. C'est de comparer l'enseignement du docteur scolastique le plus autorisé avec les doctrines plus ou moins opposées. Le spiritualisme rationaliste se réclamait surtout de Descartes, au moins en France, et même parmi les catholiques la lutte semble être encore assez souvent entre Descartes et saint Thomas, sur bien des questions importantes. On comprend donc l'opportunité du livre publié par le R. P. Vincent Maumus, des Frères Précheurs, sous ce titre : Saint Thomas d'Aquin et la Philosophie cartésienne. Et pourtant, ce titre a quelque chose d'étroit et d'incomplet. En droit, il n'y a guère lieu de battre en brèche le cartésianisme strict, que personne ne professe plus; en fait, le P. Maumus combat, outre les cartésiens, les sceptiques, les ontologistes, les traditionalistes, les sensistes, les kantistes et les autres idéalistes. Tant mieux ! son livre atteint par là toute sa portée, toute son utilité pratique ; il y aurait tout au plus quelque chose à changer à l'étiquette. La marche du nouveau défenseur de saint Thomas est assez neuve. Il part de la question centrale « de la vérité et des vérités éternelles, >> comme le ferait un intuitif, un ontologiste; mais c'est pour ruiner le platonisme exagéré des plus éminents adversaires de la scolastique. La vraie doctrine sur le rôle des vérités éternelles dans notre esprit propriété patrimoniale, au rétablissement de la propriété communale, à l'extinction de l'usure; sur le troisième et le quatrième point, à un certain degré de protection; sur le dernier, à l'impôt « sagement progressif! » On comprend que l'ardent zélateur des œuvres ouvrières n'ait pas espéré d'être toujours suivi jusqu'au bout par quelques-uns de ses amis. Mais sur la plupart des problèmes sociaux et économiques traités dans son livre, tous les économistes chrétiens applaudiront à sa doctrine et à ses déductions; sur les points plus difficiles où la discussion n'est pas close, on n'a qu'à gagner à le consulter et à peser ses raisons. La forme didactique, et pourtant leste et vive de la rédaction, est d'ailleurs une garantie de succès pour ce manuel d'économie politique et sociale, inspiré par la morale catholique. 18. La même inspiration religieuse a dicté les vingt-deux lettres adressées à un ami par M. G. Coste, juge à Chambéry, et réunies sous ce titre A travers la vie. Ici, plus de préoccupations techniques. Des circonstances personnelles amènent ou sont censées amener des leçons graves et affectueuses sur toutes les vérités de l'ordre religieux, moral et social, depuis l'origine et la fin de l'homme jusqu'aux devoirs du mariage, de la paternité, du patriotisme. Malheureusement le cadre épistolaire a peu d'intérêt et l'enseignement philosophique peu de profondeur. Bonnes leçons, en somme, mais bonnes seulement aux convertis, et encore à condition qu'ils n'aient pas « le goût difficile. »> 19. Au contraire, c'est en philosophe exercé que M. Cimbali traite de presque toute la philosophie du droit dans son ouvrage sur la Volonté humaine dans ses rapports avec l'organisme naturel, social et juridique. Les trois parties indiquées par ce titre constituent la charpente du livre, dont l'idée maîtresse est le maintien de la liberté individuelle dans le triple déterminisme de la nature, de l'état et du droit. M.Cimbali a pour les négations matérialistes et positivistes un mépris ou une pitié qui ne saurait surprendre de la part d'un esprit à la fois profond et subtil. Après avoir cité une de ces formelles et gratuites négations de la liberté qui sont à la mode au delà des Alpes comme chez nous, il s'écriera: «On croit vraiment rêver! Tel est le degré de ramollissement cérébral et d'imbécillité flagrante où nous a conduits la perte de notre conscience morale! » Vous pensez avoir affaire à un représentant de la grande tradition scientifique, d'autant plus qu'il s'y réfère parfois, non sans termes d'honneur pour les maîtres de la philosophie chrétienne. Mais vous ne tardez pas à constater que ce disciple de Spedalieri est allé bien plus loin que son maître dans la voie du libéralisme doctrinal et juridique. Il se réclamera de Fouillée, de Guyau et d'autres écrivains aussi hostiles au libre arbitre, peut-être, il est vrai, sans avoir saisi toute la portée de leurs théories. Il cherchera les origines du droit dans un état de l'humanité inférieur à la condition de l'animal; et s'il consent à reconnaître l'importance sociale de la religion, même pour l'avenir, c'est, dit-il, « que les peuples n'ont jamais été, ne sont pas et ne seront jamais philosophes, et que les philosophes seuls peuvent accepter la réalité comme elle est, sans illusions d'aucune sorte (p. 82). » La grosse affaire de l'auteur, dans la partie sociale et juridique de son livre, c'est de démontrer la nature << contractuelle » de la société politique et d'en tirer les conséquences. Cette conception est, à ses yeux, « la plus grande découverte des temps modernes (p. 55); » et pourtant il la trouve déjà exprimée par Cicéron et il nomme saint Thomas parmi ses patrons. Il est vrai qu'il a Fair de faire du Docteur angélique un disciple de Dante, ce qui est aussi singulier en chronologie qu'il peut l'être en érudition religieuse d'attribuer au psalmiste une pensée d'Oxenstiern (p. 121) et, en théologie, de confondre Dieu le Père avec le Saint-Esprit (p. 120). Une étude plus profonde des maîtres chrétiens aurait montré à M. Cimbali l'antiquité de la vraie notion du contrat social; peut-être, il est vrai, n'aurait-il pas trouvé dans cette notion sa théorie plus ingénieuse que solide sur le droit pénal. M. Cimbali mériterait, par son talent réel, de faire moins de concessions aux doctrines nouvelles qui sapent par la base ce qu'elles prétendent fonder. 20. La renaissance de la philosophie scolastique dans l'enseignement catholique coïncidant avec le désarroi de plus en plus frappant de la philosophie indépendante, crée un besoin nouveau pour beaucoup d'âmes croyantes ou simplement sincères. C'est de comparer l'enseignement du docteur scolastique le plus autorisé avec les doctrines plus ou moins opposées. Le spiritualisme rationaliste se réclamait surtout de Descartes, au moins en France, et même parmi les catholiques la lutie semble être encore assez souvent entre Descartes et saint Thomas, sur bien des questions importantes. On comprend donc l'opportunité du livre publié par le R. P. Vincent Maumus, des Frères Prêcheurs, sous ce titre : Saint Thomas d'Aquin et la Philosophie cartésienne. Et pourtant, ce titre a quelque chose d'étroit et d'incomplet. En droit, il n'y a guère lieu de battre en brèche le cartésianisme strict, que personne ne professe plus; en fait, le P. Maumus combat, outre les cartésiens, les sceptiques, les ontologistes, les traditionalistes, les sensistes, les kantistes et les autres idéalistes. Tant mieux ! son livre atteint par là toute sa portée, toute son utilité pratique ; il y aurait tout au plus quelque chose à changer à l'étiquette. La marche du nouveau défenseur de saint Thomas est assez neuve. Il part de la question centrale « de la vérité et des vérités éternelles,» comme le ferait un intuitif, un ontologiste; mais c'est pour ruiner le platonisme exagéré des plus éminents adversaires de la scolastique. La vraie doctrine sur le rôle des vérités éternelles dans notre esprit |