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conforme en épousant un jeune Bordelais nommé Adar, coiffé d'un feutre blanc, drapé d'un manteau noir, vêtu d'un pourpoint de velours gris à boutons d'acier, et qu'elle rencontra du côté de Mont-de-Marsan, une nuit qu'il « lunait sur la lande. » Cet Adar a du génie; mais il ne s'en sert pas pour son propre compte. Il vend sa plume à ceux qui en ont besoin, rédige des professions de foi pour les candidats à la députation et ne croit pas déroger en servant de secrétaire aux cuisinières de son quartier. Adar a un culte pour Wagner; Izel aussi. Les voilà partis pour Bayreuth, après avoir mis le feu à l'endroit où s'est passée leur première nuit de noces. Ils assistent d'abord à la représentation de Tristan et Iseult, puis à celle de Parsifal. La musique de Wagner exerce une telle action sur les nouveaux mariés que Tristan et Iseult transforme leur amour en passion désordonnée, délirante et fougueuse. Izel surtout en est hystériquement impressionnée. Ce n'est plus l'épouse telle qu'elle doit être; c'est Dalila, c'est Circé, c'est Messaline. Adar lui-même est ensorcelé, non moins qu'épouvanté. Parsifal arrive à point comme antidote. Ce drame mystique, tout de pure spiritualité, la calme, l'apaise et lui montre que le véritable amour ne réside pas seulement dans les sens. Sur ces entrefaites, il se lie avec le sorcier Sextenthal et se livre à l'étude de la magie. Comme les sorciers d'autrefois, Sextenthal possède le secret de se dédoubler. Tandis qu'il sommeille, son corps astral vagabonde et se promène. Adar se passionne pour l'occultisme et néglige complètement Izel. Sextenthal en prend occasion d'abuser fantômatiquement de celle-ci. Séparés désormais par un abime, les deux époux vivent étrangers l'un à l'autre. Izel, délaissée, est sur le point de tromper son mari avec un bellâtre prussien. Mais Adar, qui s'est déjà débarrassé du corps astral de Sextenthal, surgit au moment psychologique, écarte le bellâtre qui n'était que trop réel et reconquiert sa femme. Il résulte de cette courte analyse qu'il serait imprudent de laisser traîner sur les tables la Victoire du mari. La part faite au feu, c'est-à-dire aux tableaux plus que risqués, il n'en reste pas moins que cette œuvre renferme des pensées très profondes, très suggestives, sur l'art, sur la science séparée de la foi, sur la bêtise démocratique, sur le charlatanisme de certains hypnotiseurs et sur 89, que M. Joséphin Péladan appelle, sans précaution oratoire « l'avènement de la charognerie égalitaire. » La Victoire du mari est dédiée à une statuaire de talent, Mme la comtesse Antoinette de Guerre, et il est précédé d'une préface commémorative à la gloire de Jules Barbey d'Aurevilly. Lamartine avait surnommé l'auteur de l'Ensorcelée et des Prophètes du passé « le duc de Guise de la littérature. » M. Péladan lui donne le titre de « grand connétable des lettres françaises. » Les deux qualifications sont justifiées. La plume de d'Aurevilly était, en effet, une épée d'or: elle rayonnait et

frappait. En quelques pages vengeresses, vigoureuses et très nettes, son disciple rend au puissant écrivain la justice qui lui est due et remet à leur place les zoïles qui l'ont méconnu.

4. D'allure franche, pétillant d'esprit et marqué au coin d'une originalité sans recherche, se déroule le roman de début d'une femme qui signe Jean de la Brète. Ce roman a pour titre : Mon Oncle et Mon Curé, ce qui est incomplet. Il eût fallu ajouter Ma Tante. Reine de Laval commence, en effet, par habiter avec cette tante qui est bien la plus hérissée, la plus acariâtre, la plus rêche et la plus désagréable personne que l'on puisse voir. Elle ne se contente pas de crier sans cesse après Reine: elle va jusqu'à la battre. Aussi l'orpheline secouet-elle avec bonheur ce joug odieux pour passer sous la direction d'un oncle sérieux, grave, sentencieux, dont elle déconcerte la philosophie par des espiègleries ingénues et des plaisanteries adorablement impertinentes. Il vient cependant un jour où c'est fini de rire pour cette enfant gâtée de Reine elle se prend de belle passion pour le fiancé de la fille de son oncle. De là, souffrances, luttes, jalousies, peines de cœur. La cousine, plus raisonnable, finit par céder, et Reine épouse celui qu'elle aime. Tout cela est raconté avec un certain laisser-aller qui ne manque pas de charme. Néanmoins, les papotages et les enfantillages tiennent dans le livre trop de place. On finit par y sentir l'effort. Et le curé ? Le curé est un bon homme, content de vivre, content de lui-même, content de tout le monde, qui s'est chargé de faire l'éducation de Reine. Il s'y emploie de son mieux. Mais quel travail, mes amis! La gamine est malicieuse en diable, et elle prend plaisir, sans trop savoir pourquoi, à poser au vieux prêtre les questions les plus indiscrètes dont celui-ci n'élude la réponse qu'en humant une forte prise de tabac. Ces scènes intimes sont ravissantes. Par malheur, le « bon curé » de Jean de la Brète a un défaut, un défaut capital: il ressemble trop au sentimental abbé Constantin, de M. Ludovic Halévy. N'y aurait-il donc, parmi les romanciers contemporains, que M. Ferdinand Fabre pour peindre le curé de campagne dans sa franche nature, avec sa réelle physionomie, sous son vrai jour enfin?

5 et 6. Brada, dans Madame d'Epone, Mme Henry Gréville, dans l'Avenir d'Aline, ont mis en scène deux mères qui se sacrifient pour leurs filles. La première est énormément riche : c'est une femme du grand monde, veuve à vingt ans. Elle ne s'est pas remariée; elle a vécu pour sa Berthe jusqu'au jour où celle-ci épouse un jeune gentilhomme normand, M. Raymond de Rollo. C'est un excellent garçon, robuste, bien venu, mais d'une intelligence médiocre, d'un esprit peu brillant. Ah! combien lui est supérieur le sceptique, le blasé, le délicieux Mottelon, secrétaire d'ambassade! C'est précisément la comparaison qu'a eu le tort de faire la désœuvrée Berthe. Au milieu d'une partie de plaisir, JANVIER 1890. T. LVIII. 2.

qui, pour être champètre, n'est pas pour cela plus innocente, elle s'en laisse conter par don Juan. Que dis-je? Elle s'oublie jusqu'à accepter avec lui un rendez-vous nocturne dans je ne sais quel mystérieux pavillon. Berthe est perdue. Heureusement sa mère, la belle, la noble, la vertueuse Mme d'Épone, qui, ce jour-là, se trouvait en visite chez sa fille, a tout entendu. Elle n'hésite pas. Dissimulée sous un manteau de Berthe, elle va au rendez-vous à sa place un peu avant l'heure fixée. Vous voyez d'ici la situation, qui est passablement corsée. Mottelon ne doute pas que Mme d'Épone ne soit éprise de lui. Mais son cynisme lui répugne et il s'enfuit en l'injuriant. Berthe est sauvée. A quel prix? Au prix de l'honneur de sa mère. La pauvre Mme d'Épone succombe sous une honte imméritée: elle meurt de son sacrifice, quand une aïeule perspicace apparaît au moment psychologique. Celle-ci devine tout et force Berthe à tomber aux genoux de sa mère. - Tout autre est le sujet de l'Avenir d'Aline. Mme Breton, pour assurer le bonheur de sa fille, n'a pas à lui sacrifier son propre honneur. C'est le sacrifice de sa vie entière qu'elle lui fait avec un dévouement sublime. Veuve d'un professeur sans fortune, elle assure d'abord, au prix de son travail manuel, l'éducation d'Aline; puis, pour lui ramasser une dot, elle se condamne, comme institutrice des enfants d'autrui, à cinq ans d'exil en Russie. Dans cet intervalle, Aline restée à Paris avec une parente, s'est amourachée d'un homme indigne, d'un agioteur qui ne reluque que son argent et qui flatte son orgueil. Revenue en France, Mme Breton retrouve une fille égoïste, personnelle, à l'âme fermée. L'odieux mariage va se faire, quand la Providence s'en mêle : le chasseur de dot file en Belgique comme un vulgaire filou qu'il est. Éclairée par les événements, ramenée à des sentiments meilleurs, Aline se marie bourgeoisement avec un jeune homme qui a plus de mérite que de fortune: elle vit désormais heureuse, et sa mère aussi. L'Avenir d'Aline est d'une portée beaucoup plus morale que Madame d'Épone, et l'auteur ne fut pas toujours aussi bien inspiré. N'allez pas vous figurer cependant que l'œuvre de Brada soit le moins du monde pornographique! Elle est, au contraire, écrite avec beaucoup de délicatesse. Seul, le sujet a quelque chose de singulièrement risqué. J'ajoute qu'il y a dans Madame d'Épone des types de gentilshommes campagnards tout à fait réussis, et des silhouettes de femmes de l'aristocratie prises sur le vif, croquées avec une verve entraînante et rendues avec beaucoup d'esprit. Ce Brada est évidemment un pseudonyme, mais sous le masque de l'écrivain on devine un homme qui fréquente beaucoup plus les salons que les brasseries.

7 et 8. Encore un autre pseudonyme: Georges du Vallon. C'est celui d'une femme qui n'en est pas à ses débuts, puisqu'elle a déjà publié plusieurs autres romans, dont un, la Comtesse Xénie, dé

note un certain talent et offre un véritable intérêt. Je me reprocherais de rendre ce témoignage flatteur à Un Amour en Russie, du même auteur. Il ne suffit pas d'imaginer qu'un jeune Alsacien, Gérard de Valdau, retrouve à Saint-Pétersbourg, où il est officier d'ordonnance de l'ambassadeur français, une jeune Russe, Alexandra Vonzof, à laquelle, dix ou douze ans auparavant, à la suite d'une chute de voiture, ses parents donnèrent l'hospitalité; que Gérard aime Alexandra ; qu'Alexandra aime Gérard; que des malentendus surviennent; qu'un Prussien désagréable se met en travers de leur bonheur; qu'ils jouent quelque temps une nouvelle édition du Dépit amoureux, de Molière, et qu'ils finissent prosaïquement par se marier, comme cela se produit au dénouement de toutes les comédies de M. Scribe. Il ne suffit même pas d'émailler le récit de généreux sentiments, de parler des Russes avec sympathie et de l'Alsace avec patriotisme. Il faut, dans une œuvre de ce genre, se montrer original, attrayant, empoignant. Toutes qualités absentes d'Un Amour en Russie. L'action n'a rien qui entraîne, le style encore moins. Est-ce pour cela que Mme Georges du Vallon se fait recommander par Arsène Houssaye? S'il en est ainsi, elle a manqué son but. Dans la préface qu'il a écrite pour elle, l'auteur du Quarante-et-unième Fauteuil ne dit pas un mot du roman qu'il est censé présenter au lecteur. Tout le temps il parle de lui et de ses œuvres. Cela vous a tout l'air d'une mystification.

S'il y a beaucoup plus de prétentions, il n'y a pas plus de talent dans Roselle, de Mme Camille d'Arvor, que dans Un Amour en Russie. On croit tenir une veine humoristique, amusante et gaie. On commence à s'intéresser à ce brave Maurice de Lénos qui, sans être irrésistible, jouit de vingt-cinq mille livres de rente, et court après une voix de sirène qu'il entend dans une église de Bretagne d'abord, puis dans une tourelle des bords de l'Océan. On rit de le voir, au moment même où il tend les bras à l'enchanteresse, tomber dans ceux d'une Anglaise incomprise et pédante, à la recherche d'un mari. Mais ce début qui promet, trompe, et, comme ce sont toujours à peu près les mêmes scènes qui se reproduisent, comme Roselle, la sirène, fille du commandant du Folgoët, s'éclipse sans cesse, on finit par trouver ennuyeux ce qui vous a d'abord amusé. A ce défaut près, Roselle est un roman dont la lecture n'a rien de dangereux : il fait partie de la Bibliothèque des mères de famille.

9. Sur une plage de Normandie, Mile Jeanne de Buheil, belle jeune fille affligée d'un père millionnaire et d'un caractère excentrique et fantasque, rencontre un jeune homme que la mort de sa fiancée fait vivre en solitaire sur un îlot de rochers, en plein Océan. Ce jeune homme s'appelle Pierre l'Olonnois. Il descend en ligne directe d'un terrible aventurier qui, au XVIIe siècle, avec Montbars l'Exterminateur

et Ourson Tête-de-Fer, commanda la grande flibuste aux Antilles contre les Anglais. Le hardi corsaire, connu sous le sobriquet de l'Olonnois, parce qu'il était originaire des Sables d'Olonne, fut annobli par Louis XIV, qui lui donna pour armes de gueules à la hache d'or. Depuis cette époque, tous ses descendants furent marins, et Pierre l'Olonnois l'était comme ses pères, mais il avait démissionné par chagrin d'amour. Voué au culte d'une morte, reclus volontaire auprès d'une tombe, Pierre a trop présumé de ses forces. Il devient épris de Jeanne de Buheil, à laquelle il apparaît dans l'apothéose d'un sauvetage, qui est un grand acte d'héroïsme. Jeanne est promise à un gommeux qui lui fait une cour des plus assidues. Est-ce bien à elle? N'est-ce pas plutôt à sa dot? Quoi qu'il en soit, Pierre tâche d'oublier, sans y parvenir. Jeanne de Buheil ressemble trait pour trait à sa fiancée morte, à Jeannine la Bretonne. Or, voilà que la millionnaire perd à la fois sa fortune et son père. Orpheline et pauvre, elle se voit délaissée immédiatement par son adorateur mondain. Mais les hasards de la vie replacent alors sur son chemin Pierre l'Olonnois, et vous devinez le dénouement. Sur cette donnée passablement banale, M. Pierre Maël a brodé un délicieux récit, qui aura certainement l'approbation des gens de goût et du public délicat. Je ne parle pas des jeunes filles. Il s'agit ici des lecteurs et des lectrices qui ont de l'expérience, de l'intelligence et du discernement. Flot et Jusant leur plaira. Cette œuvre diffère des romans maritimes du même écrivain, en ce que la mer n'est plus ici, comme dans les Pilleurs d'épaves et le Torpilleur, le cadre de l'action. Elle n'apparaît que pour mêler à cette action sa poésie et ses chants éternellement variés.

10 et 11. Marthe et Lucy Hauvenne, quoique sœurs, ne se ressemblent guère et ont une destinée diamétralement différente. Marthe, évaporée, légère, frivole et sensuelle, épouse Michel Meuris, brasseur d'affaires, qui lui mange sa dot, boit de l'absinthe, se ruine et devient fou. Lucy, personne sérieuse, réfléchie, capable de grands dévouements, aime un orphelin, recueilli par sa mère, Daniel Didier. Celuici, d'un caractère sombre, concentré, taciturne, passe à côté d'elle sans comprendre et se fait soldat. Lucy épouse Étienne Deperne, riche usinier des environs de Grenelle. De soldat, Daniel Didier devient officier, et Marthe se livre à lui, comme une gourgandine qu'elle est. Sous cette fatale influence, Daniel démissionne, contracte des dettes, vole, et se fait sauter la cervelle. Quant à Lucy, elle reste épouse fidèle et bonne mère de famille. Au début, elle n'aime pas son mari; mais Deperne est si bon, si dévoué, qu'il ne tarde pas à conquérir le cœur de sa femme, absolument comme Philippe Dherblay, dans le Maître de forges. Cette histcire a pour titre : Les Mirages du bonheur. Malgré quelques pages bien réussies et certaines prétentions littéraires,

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