Il n'est pas toujours facile d'intéresser l'enfance aux choses sérieuses; cependant Mme E. Dupuis a réussi dans cette tâche il faut dire que la maison Delagrave s'entend à merveille pour seconder, par l'illustration, ses écrivains accrédités. De même que la maison Hachette, elle devrait bien publier sur le sujet une œuvre importante. Pour l'une et l'autre de ces librairies, on peut dire que noblesse oblige. 13. Nous laissons toute la responsabilité de l'opinion suivante à feu le bibliophile Jacob: « Les antiquaires sont capables de tout pour satisfaire leur passion, pour s'approprier l'objet qu'ils convoitent, pour inventer un nouveau système archéologique. » Ceci est imprimé à la page 227 du Dieu Pepetius. Et, à sa manière, M. Paul Lacroix prouve son opinion en racontant le vol fou perpétré au préjudice du musée étrusque de Rome par l'Anglais sir Olivier Crawfurt, esq. Le Dieu Pepetius, pièce de bronze unique, avait absolument dérangé la cervelle de cet honorable insulaire, parce qu'on avait refusé de le lui vendre. Le plus joli de l'affaire, c'est qu'elle se clôt par un mariage, après que le dieu a été retrouvé, grâce à un concours de circonstances bizarres dont nous engageons le lecteur à prendre connaissance. 14. Gette est une historiette à la fois morale, chrétienne et patriotique. Mme Marie Strahl met en scène principalement les enfants de trois familles alsaciennes inégalement doués, mais qui, grâce à leur bon naturel, à leur excellente éducation ou aux leçons parfois un peu rudes de la vie, méritent d'ètre donnés en exemple à tous. 15 et 16. Les Aventures du prince Frangipane sont tout à fait fantastiques. Le comique et le terrible s'y croisent agréablement. Le dit prince, fils du roi Nougat XIV et de la reine Tartelette, doit être un jour l'héritier du grand pays de Vol-au-vent. Il accomplit, avec son fidèle écuyer Gros-Pâté, des voyages merveilleux, périlleux ou amusants, dont la relation plaira d'autant plus à l'enfance qu'elle se termine, comme tout conte de fées qui se respecte, par le mariage heureux du héros principal du livre. M. Ernest d'Hervilly, après avoir chanté, dans le ton qui convient, l'odyssée du prince Frangipane, rapporte la Vision de l'écolier puni. Un contemporain des petits qui liront ce volume, ayant terminé un pensum contre lequel il récrimine, s'endort et voit défiler, en rève, tous les enfants des temps écoulés, lesquels, à tour de rôle, lui narrent leur peu enviable existence. L'enfant primitif, l'enfant sauvage, le grec, le romain, le chinois, etc., etc., jusques et y compris l'écolier du temps de Charles X, font part à notre petit bonhomme de la condition plus ou moins dure à laquelle ils ont été soumis. Aussi, quand ces apparitions s'évanouissent, le mécontent se félicite-t-il d'être né en cette fin de siècle et ne proteste-t-il plus contre la bénigne punition qu'il n'a que trop justement méritée. Intéressante fantaisie, 17. Tout ce que Tom Titt (M. Arthur Good) a compris dans la Science amusante, a déjà paru dans le journal l'Illustration, mais se trouve épars dans ce grand périodique. L'auteur a donc eu raison de publier ce recueil de notices. Beaucoup sont de « simples jeux destinés à récréer parents et enfants lorsqu'ils sont réunis le soir autour de la table de famille. D'autres, au contraire, d'un caractère vraiment scientifique, ont pour but d'initier le lecteur à l'étude de la physique. » De jolies vignettes (une pour chaque expérience) aident à la compréhension du texte, dont clles sont comme le complément nécessaire. Dans l'article intitulé: Plonger sa main dans l'eau sans la mouiller (p. 121– 122), où l'on apprend aussi qu'on peut mettre la main dans l'eau presque bouillante » sans se brûler, nous relevons cette phrase de mauvais goût : « Cette particularité aurait pu rendre de grands services aux patients du moyen âge lorsqu'on les soumettait à l'épreuve de l'eau bouillante, pour s'en rapporter à ce que l'on appelait le jugement de Dieu. » Cet intéressant volume gagnerait à être purgé de cette inconvenante réflexion. VISENOT. ROMANS, CONTES ET NOUVELLES - - 1. Fin de rêve, par GEORGES DURUY. Paris, Ollendorff, 1889, in-18 de 304 p., 3 fr. 50. 2. Le Dernier Amour, par GEORGES OHNET. Paris, Ollendorff, 1889, in-18 de 356 p., 3 fr. 50. 3. La Victoire du mari, par JOSEPHIN PÉLADAN. Paris, Dentu, 1889, in-18 de 300 p., 3 fr. 50. 4. Mon Oncle et Mon Curé, par JEAN DE LA BRÈTE. Paris, Plon et Nourrit, 1889, in-18 de 310 p., 3 fr. 50. -5. Madame d'Épone, par BRADA. Paris, Plon et Nourrit, 1889, in-18 de 286 p., 3 fr. - 6. L'Avenir d'Aline, par HENRY GREVILLE. Paris, Plon et Nourrit, 1889, in-18 de 340 p., 3 fr. 50. 7. Un Amour en Russie, par GEORGES DU VALLON, avec une préface d'ARSÈNE HOUSSAYE. Paris, Sauvaître, 1889, in-12 de 262 p., 3 fr. 50. - 8. Roselle, par CAMILLE D'ARVOR. Paris, Firmin Didot, 1889, in-12 de 336 p., 2 fr. 50. 9. Flot et Jusant (mœurs maritimes), par PIERRE MAËL. Paris, Dentu, 1889, in-18 de 344 p., 3 fr. 50. — 10. Les Mirages du bonheur, par MARIE DE BESNERAY. Paris, Plon et Nourrit, 1889, in-18 de 310 p., 3 fr. 50. 11. Chochotte, par ALEXIS BOUVIER. Paris, Marpon et Flammarion, 1889, in-18 de 370 et 376 7 fr. p., 12. La Vénus cuivrée, par Louis NOIR. Paris, Marpon et Fiammarion, 1889, in-16 de 252 p., 0 fr. 60 c. 13. Les Ruines de Paris, par CHARLES MONSELET. Paris, Marpon et Flammarion, 1889, in-16 de 21 p., 0 fr. 60. 14. Marie Bas-de-Laine, par FORTUNÉ DU BOISGOBEY. Paris, Plon et Nourrit, 1889, in-18 de 408 p., 3 fr. 50. 15. Sans dessus dessous, par JULES VERNE. Paris, Hetzel, 1889, in-12 de 328 p., 3 fr. 16. Famille-Sans-Nom (2e série), par JULES VERNE. Paris, Hetzel, 1889, in-12 de 270 p., 3 fr. 17. Créte-Rouge, par LÉON CLADEL. Paris, Marpon et Flammarion, 1889, in-16 de 250 p., 0 fr. 60. 18. Le Feu à Formose, par JEAN DARGÈNE. Paris, librairie de la Nouvelle Revue, 1889, in-12 de 326 p., 3 fr. 50. 19. Le Dernier Jour d'un condamné; Claude Gueux, par VICTOR HUGO. Paris, Hetzel et Quantin, 1889, in-12 de 188 p., 2 fr. 20. Le Mal du siècle, par MAX NORDAU, traduit de l'allemand par AUGUSTE DIETRICH. Paris, Westhauser, 1889, in-12 de 480 p., 3 fr. 50. 21. La Maison des hiboux, par E. MARLITT, roman posthume, traduit de l'allemand, par Mm. EMMELINE RAYMOND. Paris, Firmin Didot, 1889, 2 vol. in-18 de 332 et 336 p., 5 fr. — 22. Mariage riche, par HECTOR MALOT. Paris, Marpon et Flammarion, 1889, in-12 de 280 p., avec illustrations de Duez, Fraipont et Jeanniot, 3 fr. 50. Scènes de la vie cosmopolite, 23. par EDOUARD ROD. Paris, Perrin, 1889, in-12 de 304 p., 3 fr. 50. Centenaire, par AUGUSTIN FILON. Paris, Hachette, 1889, in-18 de 320 1. M. George Duruy avait bien commencé. Andrée, l'Unisson, Victoire d'âme lui assignaient une des meilleures places parmi les bons romanciers de second ordre. Mais il paraît que cette gloire enviable et enviée ne suffit pas au second fils de l'ancien ministre de l'Empire. Aux sympathies des purs lettrés il préfère les applaudissements des politiciens, et il se lance dans le roman politique qui est un genre d'art inférieur. On s'y montre en effet fatalement apologiste ou pamphlétaire. Fin de rêve, une fois de plus, confirme la règle, et, loin d'éviter l'écueil, M. Georges Duruy s'y heurte en plein. Qu'est-ce au fond que ce roman à clef, sinon l'apologie de feu Gambetta, déguisé sous le nom de Michel Costalla? M. Georges Duruy nous retrace les derniers mois de la vie du tribun depuis la constitution du grand Ministère jusqu'au coup de revolver de Villed'Avray. Il nous le peint homme public et homme privé. Homme public, c'est un second Mirabeau secouant sur les masses sa grandiloquente parole et son invincible chevelure; c'est un patriote intègre, ardent et désintéressé, qui ne songe qu'à la France, qui prépare la revanche et qu'indignent les convoitises, les exigences, les concussions et les malpropretés des gens de son parti. Homme privé, c'est un méridional séduisant et charmant, débonnaire, le cœur sur la main, toujours prêt à rendre service. Il est lié avec une certaine Thérèse Gautier qui le conseille, l'encourage, le console et joue auprès de lui plutôt le rôle d'une Égérie dévouée que d'une maîtresse. Sa mort même prend les proportions d'une apothéose. Il est assassiné, non par une femme, mais par un fils naturel qu'il aurait eu jadis d'Aurélie Vidalin (lisez Louise Michel), lequel, rédacteur du Réfractaire, socialiste enragé, tue son père pour venger la Commune et les Communards, ces « esclaves ivres » que celui-ci détestait mortellement. Tel est l'homme. Il est idéalisé des pieds à la tête avec une bienveillance qui frise l'enthousiasme. L'histoire proteste, et, pour l'histoire, Gambetta restera ce qu'il fut un politicien de talent, un éloquent orateur de club, qu'un plaidoyer retentissant pousse à la Chambre des députés et qui, par la toute-puissance de l'émeute, devient à trentedeux ans l'arbitre des destinées de la France, décrétant la guerre à outrance, nommant et révoquant les généraux, organisant des armées où nos pauvres soldats étaient chaussés de souliers de carton et vêtus de vareuses dont le drap s'effiloquait à la première pluie, se croyant omniscient et propre à tout, finalement n'étant bon qu'à déchaîner les passions antireligieuses, à entretenir dans les masses l'esprit révolutionnaire et à transformer des paroles de haine en axiomes de gouvernement. Tout ce qu'on peut dire en sa faveur, c'est qu'en lui la fibre patriotique vibrait sincèrement, et que, sous ce rapport, comparé, selon le mot de l'amiral Courbet, aux « polichinelles » qui ont escompté sa succession, le tribun tumultueux et l'homme d'État raté dont M. Georges Duruy vient de se faire le panégyriste trop complaisant, était quelqu'un. Mais aller plus loin dans l'éloge serait mentir à la vérité. Il est regrettable que l'auteur de Fin de rêve ait pris avec elle tant de libertés. L'affabulation elle-même de son médiocre roman dépasse toute invraisemblance. Ainsi il donne pour frère de mère à Michel Costalla le citoyen Édouard Morgan, qui n'est autre que M. Wilson. Évidemment, M. Duruy a voulu ainsi opposer aux maltôteries du gendre de M. Grévy, tripotant sans le moindre scrupule, la noblesse d'âme, l'intégrité républicaine et le désintéressement démocratique de son héros. Mais la chronologie ne saurait être traitée d'aussi leste façon, et d'ailleurs les artifices du peintre ne peuvent faire oublier que Costalla était mort depuis longtemps, quand Édouard Morgan fut convaincu de trafics honteux et de concussions. Ni le général d'Ayguebelle (d'Andlau), ni la Godefroy (la Limouzin), n'étaient apparus sur la scène politico-financière, à l'époque où Costalla se prélassait dans les anciens appartements du duc de Morny. Tout bien pesé, je ne vois donc dans cette fable étrange, en dehors de la forme suffisamment soignée, que les pages consacrées à Fargasse qui soient vraiment à louer on a cru trouver dans ce Fargasse, dans cet ami dévoué du tribun, le journaliste Spuller. Erreur! Fargasse, c'est Clément Laurier. Oui, c'est bien lui, s'amusant à donner à la raison politique des apparences de scepticisme, se vantant d'un mot cruel et se cachant d'une bonne action, méprisant la démocratie tout en se dévouant pour ceux des démocrates qu'il aimait. Au dire des gens qui ont connu l'original, le portrait est tout à fait ressemblant, et il se rencontre que Fin de rêve n'a pas de personnage plus sympathique. Tant il est vrai que le charme d'une physionomie ne dépend pas toujours des mensonges du pinceau. 2. Voici ce que c'est que le Dernier Amour, de M. Georges Ohnet. Le duc Armand de Fontenay-Cravant, étant secrétaire d'ambassade à Vienne, a séduit la princesse Mina, jeune femme d'un vieux diplomate. Instruit de son malheur, celui-ci n'a pas voulu d'éclat. Il a pardonné, sans autre condition que l'éloignement du comte. Armand obéit et part pour Paris. Mais quelques mois après, le vieux diplomate meurt. La princesse Mina devient duchesse de Fontenay-Cravant. Dix années durant, l'union des deux époux est parfaite; leur bonheur est sans mélange. La duchesse vieillit, aimant son mari plus que jamais, et certaine que le cœur d'Armand lui sera toujours fidèle. Or, à l'heure même où Mme de Fontenay se berce de cette douce espérance, le duc s'éprend d'une sienne cousine, une orpheline, Lucie Andrimont, tout fraîchement débarquée d'Amérique, et qui, voulant se fixer en France, s'est naturellement adressée à son parent pour la conseiller et la guider. Armand n'a rien dit à sa femme de la nouvelle venue. Il a eu seulement l'imprudence de jeter dans une cheminée sans feu une lettre roulée en boule qui apprend tout à la duchesse. Certes, Armand et Lucie sont trop fiers l'un et l'autre pour manquer à leurs devoirs et pour faiblir. Il n'en est pas moins vrai que Mme de Fontenay souffre toutes les amertumes de la jalousie. Elle essaie désespérément de marier Lucie à un galant homme. Ce mariage, auquel consent la jeune fille, le duc, hors de lui, l'empêche. Alors, sentant qu'elle ne peut plus lutter contre sa rivale, et que le cœur de son mari a subi le charme invincible de l'orpheline, que fait la duchesse? Elle s'empoisonne, et, dissimulant son sacrifice, elle met la main de Lucie dans celle d'Armand. Je conçois très bien l'idée de M. Georges Ohnet: il a voulu éviter le divorce, et il n'a pas imaginé d'autre solution que le suicide. N'est-ce pas tomber de Charybde en Scylla? Sans doute, le divorce ne résout rien. C'est tout ce qu'il y a de plus immoral: il peut satisfaire des intérêts charnels, jamais des sentiments, et il est contraire à la loi de Dieu. Mais, comment trouvez-vous cette duchesse de Fontenay-Cravant qui pousse l'abnégation conjugale jusqu'à se tuer pour permettre à son mari d'épouser la femme qu'il aime? L'extrémité me paraît aussi fâcheuse, d'autant plus fâcheuse, que le romancier l'approuve et l'absout sans la moindre restriction. Ce dénouement a quelques analogies avec celui de Fort comme la mort, de M. Guy de Maupassant, bien que l'œuvre, dans son ensemble, lui soit inférieure. Il y a un drame de famille dans le Dernier Amour, un drame fort bien mené, avec des péripéties qui sont des coups de théâtre et quelques portraits mondains assez habilement tracés. Mais de psychologie, d'analyses pénétrantes et subtiles, je n'en vois pas l'ombre. L'ironique Gyp, en le lisant, n'a pas dû répéter son cri de gamine irrévérencieuse : « Ohé! le psychologue! >> Oh non! Cela ne vaut d'ailleurs ni Serge Panine comme forme, ni, comme fond, le Docteur Rameau. 3. M. Joséphin Peladan continue la série de ses Etudes de décadence latine. Il en est à la sixième Éthopée qui a pour titre: La Victoire du mari. Ce roman-ci, non moins étonnant que les cinq premiers, nécessite les mêmes réserves. Nous nageons en plein dans le fantastique et l'invraisemblable. Izel, petite fille abandonnée, est recueillie par un prêtre d'Avignon, d'origine italienne et immensément riche. En mourant, ce prêtre fait Izel son héritière à la condition qu'elle n'épousera ni un juge, ni un professeur, ni un militaire, ni un marin, ni un écrivain, ni un peintre, ni un sculpteur. Il faut qu'Izel choisisse un mari génial sans œuvre ni production, afin qu'il fasse d'elle son poème et sa statue. La recommandation est originale. Izel s'y |