Billeder på siden
PDF
ePub

LA ROUILLE DU
DU POIRIER

MESDAMES, MESSIEURS,

Il y a cent ans, la Botanique avait le périlleux avantage d'être une science à la mode. Qualifiée d'aimable, elle faisait partie du programme de toute éducation soignée, comme elle trouvait sa place dans toute réunion d'élite. La littérature s'inspirait de ses données; J. J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre étaient les grands maîtres de cette École dont le sentimentalisme, qui nous paraît aujourd'hui suranné, était alors présenté comme l'expression vraie de la nature, sans parler d'une pléiade de poètes moins connus qui excellaient pourtant à interpréter le langage des fleurs.

Mais, tout passe dans la mode, la couleur des rubans comme la forme du chapeau; une saison suffit à tout bouleverser, et bien d'autres révolutions plus radicales se sont opérées depuis un siècle !

Nous sommes loin de ce temps où les beaux esprits, à Angers, se demandaient avec anxiété, au lendemain des élections de 1789, ce qu'il allait arriver, non pour l'avenir du pays, mais pour celui de la botanique. Le professeur Laréveillère-Lépeaux venait de quitter sa chaire pour entrer à l'Assemblée constituante. Si Calypso n'a jamais pu se consoler du départ d'Ulysse,

on pouvait craindre que pareil vide ne se comblât jamais non plus pour l'auditoire de l'Enclos des Bassins, dût, en compensation, l'ancien titulaire être promu plus tard par ses concitoyens au rang suprême de Chef de l'État.

Il fallut, bon gré, mal gré, aviser à un tel péril, combler une si grande lacune, et c'est ainsi que Merlet-la-Boulaye fut improvisé, à soixante ans, professeur avec le même enthousiasme que jadis saint Ambroise avait été acclamé évêque par le peuple de Milan.

Quelle serait, je le demande, l'impression ressentie par un de ces zélés botanophiles angevins de la fin du dernier siècle, s'il revenait, de nos jours, et constatait le changement qui . s'est opéré parmi ses arrière-neveux; s'il voyait, par exemple, que ce Jardin des Plantes, fondé il y aura tantôt cent-vingt ans par l'initiative privée, ne se trouve aujourd'hui toléré qu'à la condition d'y faire, au lieu de science, de la mosaïculture? A vrai dire, sa stupéfaction ne ferait que s'accroître s'il s'aventurait dans le sanctuaire même jadis consacré au culte de Flore. Dès l'entrée, une légère odeur de chimie lui ferait sentir qu'il s'est fourvoyé ; il ne reconnaîtrait plus assurément le logis d'autrefois. Au lieu de belles fleurs étalées pour le plaisir des yeux, une collection d'objets de couleur douteuse et sans forme appréciable, qu'il faut contempler de longues heures à travers un tube de microscope avant de parvenir à leur en attribuer quelqu'une. Si, en un mot, il constatait ce qu'après trois générations humaines est devenue la botanique, il en serait encore plus étonné, peut être, que des changements qui se sont opérés autour d'elle dans l'estime du public.

Et c'est cette botanique si démodée qui, ce soir encore, revient en scène, prétendant faire exception au sage proverbe : non bis in idem. Si l'on recherche le pourquoi, j'avoue n'avoir, pour ma part, aucune bonne raison à en donner. Mais à notre première réunion j'avais eu, paraît-il, la langue trop longue et m'étais mis dans le cas de ne pouvoir refuser décemment l'invitation nouvelle de notre zélé secrétaire-général, principal promoteur de ces conférences d'hiver. Aussi l'habile confrère me ferma la bouche d'un mot : « Vous avez annoncé à vos auditeurs les parasites du Poirier, il faut payer votre dette, »

Voilà pourquoi je dois reparaître devant vous, pour les parasites du Poirier. Or, comme le nombre en est encore assez élevé, je crains réellement de ne pouvoir m'acquitter de si tôt, si l'on me tient ma promesse trop serrée. Enfin, pour ce soir, nous en choisirons un entre cent; sous forme de causerie et avec un peu d'amplification, nous tâcherons de donner un corps à tout l'ensemble; et puissiez-vous, mes chers auditeurs, sortir d'ici, sinon très satisfaits, du moins pleins d'indulgence, en attendant qu'une prochaine réunion vienne dédommager votre patience et votre bon vouloir.

Chacun sait que le fer exposé à l'air humide ne tarde pas à se couvrir de taches rouges, d'abord isolées, puis confluentes en une croûte continue. La modification ne s'arrête pas à la surface, elle pénètre dans la profondeur du métal, de sorte qu'à la place d'une lame élastique, polie et brillante, on a bientôt une matière friable, boursouflée et sans éclat. Les chimistes d'autrefois je remonte encore à l'autre siècle

qui connaissaient ces faits comme tout le monde, avaient une manière de les expliquer; pour eux le fer, en passant à l'état de rouille, avait perdu de sa substance, notamment ce qu'ils appelaient du phlogistique; et, comme preuve, ils donnaient ce fait, qu'on peut rendre au fer rouillé ses qualités perdues en le chauffant avec un autre corps riche en phlogistique, tel que le charbon. Lavoisier, la balance en main, démontra leur erreur d'une façon aussi simple que péremptoire; car le fer, au lieu d'avoir diminué de poids en se rouillant, était devenu plus lourd : il n'avait donc rien perdu, mais gagné plutôt. Il s'était enrichi (si l'on peut employer ce terme en pareil cas) ou, si vous préférez, il s'était combiné avec un des gaz de l'atmosphère, ce gaz nouveau que Priestley venait de découvrir, et que Lavoisier avait nommé, pour ses propriétés, l'air comburant ou l'air vital, l'oxygène.

La rouille, en somme, n'est que du fer uni à l'oxygène, du fer oxydé ou, comme on dit encore, de l'oxyde de fer.

Les métaux, autres que le fer, s'oxydent comme lui, mais les produits de cette oxydation different profondément d'aspect ; néanmoins la pauvreté de notre vocabulaire nous fait dire que

le cuivre et l'étain se rouillent. La langue des Latins, plus riche que la nôtre, leur donnait des noms différents; la vraie rouille, celle du fer, se nommait rubigo, nom dont l'étymologie n'est pas douteuse, de ruber, rouge; la rouille de cuivre était arugo. On a gardé dans le langage scientifique un terme dérivé, car on appelle encore vert érugineux cette teinte vert bleuâtre, analogue à celle que prennent les vieilles statues de bronze exposées au plein air; c'est le vert-de-gris du vulgaire.

Mais, dans son sens propre, le mot de rouille était bien appliqué exclusivement au produit dérivé du fer; ainsi, on dit encore l'eau rouillée au lieu de ferrugineuse. Ceux qui ne connaîtraient pas d'autres exemples peuvent en avoir un excellent à Angers même, et sans sortir de la ville: la source qui jaillit sans intermittence le long du boulevard Descazeaux laisse, sous forme de dépôt orangé, la trace manifeste des principes qu'elle tient en dissolution. Ces fontaines rouillées ne sont du reste pas rares en Anjou, où le sol est ferrugineux au plus haut degré; les unes ont conservé, en partie du moins, leur réputation, comme celle de Joannet, près Chavagnes-les-Eaux, qui guérit encore, paraîtil. Mais les autres sont complètement déchues de leur antique célébrité. Ainsi soupçonne-t-on à peine l'existence, à l'Épervière, d'une source qui attirait jadis tout Angers, certains jours, du côté de la route de Paris.

Le terme de rouille a reçu encore bien d'autres applications qu'il serait trop long de rappeler; arrivons à celle qui doit nous occuper ce soir. Il n'est pas, en effet, jusqu'aux plantes vivantes qui ne semblent se rouiller comme le fer; leur épiderme d'un beau vert se couvre parfois de taches rouges, boursouflées et pulvérulentes, tout à fait comparables à celles de la vraie rouille.

Cette rouille des arbres est-elle donc produite comme l'autre par une absorption d'oxygène, par une oxydation des tissus? Non, assurément, l'oxygène est pour les plantes, comme pour tous les organes vivants, l'air pur et vivifiant; son action reste bienfaisante et n'a jamais déterminé de maladies. Il faut chercher ailleurs la cause de cette altération dont les effets deviennent souvent désastreux pour la plante qui en souffre. Non seulement. en effet, les rameaux ainsi atteints revêtent un coloris

étrange, une teinte de feu, mais les feuilles ne tardent pas à tomber, l'arbre entier dépérit, et à la fin peut succomber même si le mal se prolonge. Cette rouille végétale est trop connue de tout le monde pour qu'il soit nécessaire de s'étendre ici sur ses caractères et sur ses funestes effets.

L'antiquité la plus reculée les a constatés, et c'était un des fléaux redoutables dont les prophètes de l'ancienne loi menaçaient les Juifs infidèles : « Ærugo et aurugo » lit-on au 2me livre des Paralipomènes. Aurugo, quel mot riche en images, à la fois doré et rongé ! Ce terme pourtant est moins connu des lettrés que des médecins qui encore l'ont défiguré pour en tirer le nom d'une fièvre dite aurigineuse.

Pour en revenir à la cause, elle n'est pas douteuse aujourd'hui; cette rouille est elle-même un organisme, une plante véritable qui, au lieu de pousser comme les autres sur la terre, se développe sur ses voisines, et vit en parasite à leurs dépens. C'est un de ces nombreux petits champignons épiphytes qui ne semblent créés que pour détruire, dont les semences invisibles et insaisissables sont répandues à profusion, dans l'air comme dans l'eau, n'attendant qu'une occasion propice pour se développer.

Les anciens botanistes, du temps de Linné, connaissaient déjà la nature végétale de la rouille des plantes, et réunissaient tous ces petits champignons dans une famille unique dont le principal genre s'appelait Uredo. A. P. de Candolle conservait encore au vaste genre Uredo cette extension démesurée. Mais, depuis, on a vu la nécessité d'y introduire des divisions, de débrouiller ce chaos. Présentement on y reconnaît deux familles bien distinctes que je désignerai ce soir par des noms vulgaires, pour n'effrayer aucune imagination, car il reste bien entendu que nous ferons de la science, mais le moins possible et surtout sans le dire. On distingue donc aujourd'hui les vraies Rouilles et les Charbons, ce qui revient à dire, en botanique, les Urédinées et les Ustilaginées. Cette division est si capitale qu'il nous faut bien essayer de la saisir; mais, rassurez-vous, je serai aussi sobre que possible de détails techniques.

Qu'il suffise de dire, pour en donner une idée, que les Rouilles causent, pour la plupart, de petites altérations locales et super

« ForrigeFortsæt »