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LES REGRETS

DE JOACHIM DU BELLAY

« Gentilhomme angevin et excellent poëte de son temps. »

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en

Je suis un peu osé - je le sens, du moins je le crains voulant vous ramener, ce soir, à près de quatre siècles en arrière. Les hommes et les choses de ce temps-là sont, en effet, si loin de nous ! A part quelques critiques, quelques amateurs

1 Mer Mathieu, évêque d'Angers. de l'Université, le 23 février dernier.

Cette Conférence fut donnée au Palais

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et ceux qui sont obligés par état - professeurs, étudiants de préparer ou de subir des examens, qui donc pourrait s'intéresser encore à la Pléiade et à ses théories? Depuis elle, d'ailleurs, bien d'autres écoles, qui ont occupé l'attention des hommes, ont succombé. L'école classique, qui en hérita, tout en la combattant, a tenu bon pendant deux cents ans; elle est morte. Le romantisme, chevelu ou non, qui croyait donner la main aux poètes de la Pléiade, par dessus les deux siècles précédents, est mort, lui aussi, et bien mort. Parnassiens, naturalistes ou néo-réalistes, décadents ou déliquescents, symbolistes, évolutivo-instrumentistes, mages, magnifiques, qui se sont partagé sa succession', sont, les uns déjà morts, les autres en train de mourir, laissant notre époque, hélas! de plus en plus indifférente à leurs gestes littéraires. On pourrait, à leur sujet, changer légèrement un vers célèbre :

Le terme de ce siècle est pavé de tombeaux!

Ne vais-je pas ouvrir devant vous une autre tombe. fermée il y a trois cent quarante ans? Non, Messieurs.

C'est qu'il n'en va pas des poètes comme des systèmes qu'ils ont prônés. Les théories littéraires, plus ou moins rapidement, s'usent et disparaissent, quitte à nous revenir, quelque cinquante ou cent ans plus tard, sous une autre forme : car il n'est rien de très nouveau sous le soleil, non pas même en littérature. Mais les poètes, j'entends les vrais, ne meurent pas ils sont toujours jeunes et vivants. A commencer par Homère, le plus vieux de nos aèdes profanes, lequel, malgré ses trois mille ans, qui ne pèsent pas sur ses épaules,

Est jeune encore de gloire et d'immortalité ...

Parmi les poètes jeunes et vivants, je mets Joachim du Bellay. Non point tout à fait au premier rang, ne voulant rien exagérer. Mais d'Homère au dernier des rimeurs, il y a bien

1 En attendant les neo-chrétiens et l'École romane..... des nouveau-nės.

Tout passe. L'art robuste

Seul a l'éternité... (Th. GAUTIER).

des degrés et des places'. Et la place de du Bellay dans le chœur des poètes, pour n'être pas la première, est encore très honorable. Il chantait avec une certaine fierté, qui ne lui messied pas:

De mourir ne suis en esmoy,

Selon la loy du sort humain :
Car la meilleure part de moy
Ne craint pas la fatale main ...

Il avait raison. La note qu'il a donnée, très mélodieuse en son temps, très nette, bien que l'instrument dont il se servit ne fût pas parfait, est agréable à entendre, encore aujourd'hui, du moins pour des oreilles angevines, et même je le dis sans chauvinisme pour des oreilles françaises. Des poètes ses contemporains, il est le plus touchant et, par certains côtés, le plus original, assurément le plus moderne. De plus, il a eu ce bonheur singulier, après sa mort, de ne pas rencontrer d'ennemis sur le chemin de la gloire. Cela tient à bien des causes : à son caractère et à son tempérament; comme ses compatriotes des bords de la Loire, qui étaient et qui sont généralement doux, aimables, hospitaliers, il fut juste, avenant et bon, à peu près pour tous, même pour les adversaires de la Pléiade. Cela tient à son talent, si naturel et si facile le doux-coulant du Bellay, disait spirituellement Sainte-Beuve; à sa sensibilité vraie; à la modestie de l'écrivain qui, sentant ce qu'il était et ce qu'il pouvait, n'alla pas se perdre étourdiment dans les nues. Joignez à toutes ces raisons qu'il est mort jeune, à trente-cinq ans, à cet âge où l'homme, arrivant au seuil de la maturité, entre en possession de lui-même comptez. je vous prie, les chefs-d'œuvre produits par nos grands écrivains avant trente-cinq ans; - donc, à cette vie,

Dans le royal palais qu'il voulait bâtir en vers- pour les poètes, voici les places qu'assignait du Bellay:

N. B.

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L'appartement premier Homère aura pour marque,

Virgile le second, le troisième Pétrarque,

Du surnom de Ronsard le quatrième on dira. (CLVIII.)

Les chiffres romains indiquent le numéro des sonnets dans le livre des Regrets (édition Liseux).

prématurément brisée et déjà si pleine, s'est attaché un intérêt très vif, mêlé d'une affectueuse compassion. Lui pourtant, qui était un désenchanté de la vie, avait pris, en un jour de découragement, cette devise: Spes et fortuna, valete. Devise mélancolique et sombre que le temps a démentie. Car, au rebours de Ronsard, qui trébucha de si haut, poussé par Boileau et d'autres déboulonneurs de statues, du Bellay n'a pas besoin qu'on le réhabilite aujourd'hui. Un de ses contemporains, La Croix du Maine, faisait, sur ses œuvres, cette prophétie qui s'est vérifiée: « Elles dureront aussi longtemps que vivront les langues esquelles il a escrit ». De vrai, pour emprunter le mot de Lucrèce au sujet d'Ennius, la couronne de laurier, qui ceint le front du poète, a gardé, presque comme au premier jour, sa fraîche verdeur et son éclat immortel: perenni fronde coronam.

Vous me demanderez peut-être pourquoi, étant professeur. de grammaire comparée, j'ai choisi pour sujet de cette conférence l'œuvre d'un poète. Mais, outre que nos études habituelles sont rudes et amères, comme les racines de l'arbre de la science j'en appelle à mes auditeurs ordinaires et que je ne voulais pas vous imposer de goûter un tel mets, je me suis souvenu à propos que c'était la tâche des grammairiens, dans l'antiquité, de commenter les poètes. N'est-ce pas encore, quelquefois, leur fonction, de nos jours? Il ne me reste qu'un regret, que vous partagerez, j'en suis sûr le regret de n'avoir pas laissé cette tâche à mon maître, M. l'abbé Pasquier, qui, avec son goût fin et délicat, s'en fût acquitté beaucoup mieux que moi. Mais il a bien voulu choisir un autre thème plus grave, m'abandonnant celui-ci; je l'en remercie de tout cœur.

:

Un éditeur parisien, M. Isidore Liseux, qui publia, en 1875, l'année même où se fonda notre Université, les Jeux rustiques, et en 1876, les Regrets, disait, dans sa préface qu'il voulait rendre quelque peu ironique et méchante .....Nous terminerons par un vœu sincère. Puisse ce titre de catholique

Le français et le latin.

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libéral je ne sais trop pourquoi il donne ce titre à du Bellay. Peut-être à cause de certains vers libres et mordants, échappés à sa plume contre le Pape et les cardinaux. Et puis, la date de 1875, époque où la lutte était encore assez vive, expliquerait, sans la justifier, cette appellation étrange! ne pas fermer à du Bellay les portes de la bonne ville d'Angers, sa patrie! Dans son avertissement, il nous invite à employer à sa lecture les mesmes heures qu'il a employées à la composition: c'est le temps qu'on donne ordinairement au jeu, aux spectacles, aux banquets et autres telles voluptes de plus grands frais, et bien souvent de moindre plaisir, pour le moins de récréation, moins honneste. Espérons que l'Université catholique d'Angers appréciera cette pieuse intention et qu'elle permettra au vieux poète, son compatriote, de tenir compagnie à ses élèves dans la chaste cellule où le règlement les confine, le soir, après dix heures. L'Université catholique d'Angers n'en déplaise à M. Liseux, qui faisait bien mal la réclame n'est pas d'esprit si étroit qu'elle veuille, pour quelques traits de satire, exclure le gentil poète de ses études. Ce soir, Mesdames et Messieurs, avant dix heures, chez elle, nous passerons quelques instants dans l'aimable compagnie de du Bellay, à écouter le doux bruit de ses vers de ses vers fluides, gracieux, au rythme berceur, écrits dans cette langue du XVIe siècle, non encore toute formée, qui a gardé quelque chose de la naïveté et des bégaiements caressauts du premier âge.

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Je ne pouvais songer, Messieurs, à traiter, dans l'espace d'une heure, l'oeuvre entière de notre compatriote. Cette œuvre, relativement considérable pour une vie qui fut si courte, nous

1 Comme exemple, en voici qui sont raciniens, de ceux que je n'ai pas pu citer dans ce travail :

Le jour s'esteint au soir, et au matin reluit,

Et les saisons refont leur course coustumière :

Mais, quand l'homme a perdu ceste doulce lumière,

La mort luy faict dormir une éternelle nuict... (LI) (Imité de Catulle).

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