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LA COMÈTE DE 1832.

Tu l'éteindrais; que de soleils encore !
Finissons-en : le monde est assez vieux,

Le monde est assez vieux.

N'est-on pas las d'ambitions vulgaires,
De sots parés de pompeux sobriquets,
D'abus, d'erreurs, de rapines, de guerres,
De laquais-rois, de peuples de laquais?
N'est-on pas las de tous nos dieux de plâtre;
Vers l'avenir las de tourner les yeux?
Ah! c'en est trop pour si petit théâtre.
Finissons-en : le monde est assez vieux,
Le monde est assez vieux.

Les jeunes gens me disent: Tout chemine;
A petit bruit chacun lime ses fers;

La presse éclaire, et le gaz illumine,

Et la vapeur vole aplanir les mers.

383

Vingt ans au plus, bon homme, attends encore;
L'œuf éclôra sous un rayon des cieux.
Trente ans, amis, j'ai cru le voir éclore.
Finissons-en: le monde est assez vieux,
Le monde est assez vieux.

Bien autrement je parlais quand la vie
Gonflait mon cœur et de joie et d'amour.
Terre, disais-je, ah! jamais ne dévie

384

LA COMÈTE DE 1832.

Du cercle heureux où Dieu sema le jour.
Mais je vieillis, la beauté me rejette;
Ma voix s'éteint; plus de concerts joyeux.
Arrive donc, implacable comète.
Finissons-en: le monde est assez vieux,
Le monde est assez vieux.

LE TOMBEAU DE MANUEL.

AIR: Te souviens-tu? etc.

Tout est fini; la foule se disperse;
A son cercueil un peuple a dit adieu,
Et l'amitié des larmes qu'elle verse
Ne fera plus confidence qu'à Dieu.
J'entends sur lui la terre qui retombe.
Hélas! Français, vous l'allez oublier.
A vos enfants, pour indiquer sa tombe,
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

Je quête ici pour honorer les restes
D'un citoyen votre plus ferme appui.
J'eus le secret de ses vertus modestes :
Bras, tête et cœur, tout était peuple en lui.
L'humble tombeau qui sied à sa dépouille
Est par nous tous un tribut à payer.
Près de sa fosse un ami s'agenouille :
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

bis.

386

LE TOMBEAU DE MANUEL. Mon cœur lui doit ces soins pieux et tendres. Voilà douze ans qu'en des jours désastreux, Sur les débris de la patrie en cendres, Nous nous étions rencontrés tous les deux. Moi, je chantais; lui, vétéran d'Arcole, Sourit au luth vengeur d'un vieux laurier. Grace à vos dons, qu'un tombeau me console: Prêtez secours au pauvre chansonnier.

L'ambition n'effleurait point sa vie ;

Mais, même aux champs, rêvant un beau trépas, Il écoutait si la France asservie,

En appelant, ne se réveillait pas.

Contre la mort j'aurais eu son courage,
Quand sur son bras je pouvais m'appuyer.
Ma voix pour lui demande un peu d'ombrage:
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

Contre un pouvoir qui de nous se sépare,
Son éloquence a toujours combattu.
Ce n'était point la foudre qui s'égare;
C'était un glaive aux mains de la Vertu.
De la tribune on l'arrache; il en tombe
Entre les bras d'un peuple tout entier.
La haine est là; défendons bien sa tombe :
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

LE TOMBEAU DE MANUEL.
Tu l'oublias, peuple encor trop volage,
Sitôt qu'à l'ombre il goûta le repos.
Mais, noble esquif mis à sec sur la plage,
Il dut compter sur le retour des flots.
La seule mort troubla la solitude
Où mes chansons accouraient l'égayer.
Pour effacer quatre ans d'ingratitude,
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

387

Oui, qu'un tombeau témoigne de nos larmes.
Assistez-moi, vous pour qui j'ai chanté
Paix et concorde, au bruit sanglant des armes;
Et sous le joug, espoir et liberté.

Payez mes chants doux à votre mémoire:
Je tends la main au plus humble denier.
De Manuel pour consacrer la gloire,
Prêtez secours au pauvre chansonnier.

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