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villes de province. Mais la principale difficulté était de trouver un personnel enseignant parmi les savants peu nombreux qui consentaient à quitter Paris. Il fallait de toute nécessité recourir à de jeunes talents, Thénard, qui administrait, avec autant de discernement que de justice, les sciences physiques au conseil supérieur de l'Université, se connaissait en chimistes; il envoya Henri Sainte-Claire Deville, déjà docteur és sciences et docteur en médecine, à Besançon, en qualité de doyen, en lui donnant des collègues tels que le regretté Delesse et M. Puiseux, jeunes et pleins d'avenir comme lui, et qui sont devenus plus tard ses confrères à l'Académie.

Le jeune doyen (il avait alors vingt-six ans) allait bientôt voir sa science mise à l'épreuve pour la solution d'une de ces questions délicates qui intéressent à un haut degré l'hygiène de nos grandes villes. Il s'agissait d'analyser les eaux du Doubs et des sources voisines de la ville de Besançon, pour juger de leur valeur au point de vue de l'alimentation publique. Ses études ne l'avaient pas préparé à de telles recherches. La chimie organique n'emploie, en effet, que des méthodes simples et peu nombreuses pour le dosage des éléments des corps qu'elle étudie. La véritable difficulté de ces recherches et elle est très grande consiste à dégager dans un état de pureté suffisant les combinaisons que l'on veut analyser, des mélanges souvent complexes qui se produisent dans les opérations où elles se sont formées. Au contraire, en chimie minérale, une substance parfaitement définie et de composition relativement simple, peut être très difficile à analyser par le défaut de méthodes propres à séparer les éléments qui la constituent. En fait, l'analyse minérale est un métier difficile et ingrat, cependant indispensable à apprendre pour quiconque veut aborder avec succès l'étude des composés miné

raux!

C'est ce que Deville avait admirablement compris, et il n'était pas homme à reculer devant les difficultés d'un tel apprentissage. Non seulement il traitait, suivant les désirs du conseil municipal de Besançon, la question particulière soumise à son examen; mais, dans un beau mémoire publié en 1847 « sur la composition des eaux potables », il faisait connaître une méthode, nouvelle en plusieurs points, d'analyse des eaux des fleuves et des sources, et démontrait en même temps, de la façon la plus précise, la présence constante dans ces eaux de la silice et des azotates alcalins qu'on n'y avait signalés jusqu'alors que dans quelques circonstances particulières. C'est une observation dont la grande importance, au point de vue de l'action fertilisante des eaux, a été mise en relief par M. Boussingault.

Dans le cours de ces longues et patientes recherches, Deville avait eu l'occasion de réfléchir longuement aux difficultés et aux lenteurs de l'analyse minérale, et il s'était préoccupé d'y remédier, sinon d'une manière générale, au moins en ce qui concerne l'analyse des principaux minéraux qui composent l'enveloppe solide de notre globe. La première condition, et l'on peut dire la seule indispensable d'une méthode de recherches, c'est l'exactitude. Henri Sainte-Claire Deville ne l'a jamais oublié; mais ce qui caractérise celles qu'il a imaginées, c'est la réunion de l'exactitude, de l'élé

gance et de la rapidité. Mais les essais commencés dans cette voie à Besançon ne furent menés à bonne fin que quelques années plus tard, dans son laboratoire de l'École normale; nous y reviendrons tout à l'heure.

C'est en 1849 qu'il a réalisé, dans son laboratoire de Besançon, la préparation de l'acide azotique anhydre. Ce travail a eu sur sa vie scientifique la plus heureuse influence : il mérite à tous égards de nous arrêter un instant.

L'acide azotique et tous les acides monobasiques, c'està-dire ceux qui ne donnent avec les bases qu'une seule espèce de sels, n'avaient jamais pu être obtenus à l'état anhydre, tandis qu'il est facile d'obtenir à cet état les acides donnant plusieurs espèces de sels, tels que les acides sulfurique, phosphorique, etc. Cette propriété de ne former qu'une seule espèce de sels avait-elle pour conséquence nécessaire de rendre leur déshydratation impossible? Gerhardt et d'autres chimistes le pensaient alors. Mais Henri Sainte-Claire Deville a toujours été peu sensible aux arguments purement théoriques, souvent contestables, et par une réaction simple bien connue des chimistes (l'action du chlore sur l'azotate d'argent bien desséché), mais dont l'exécution exigeait une incomparable habileté, il isolait l'acide azotique anhydre en cristaux aussi beaux que ceux du sucre candi.

Gerhardt, amené par cette découverte à modifier ses vues théoriques et à doubler la formule des acides anhydres monobasiques, avait, quelques années après, la gloire d'imaginer une méthode générale de préparation des acides monobasiques de la chimie organique, tels que les acides acétique et benzoïque, que la méthode de Deville ne permettait pas d'obtenir à cause des réactions secondaires du chlore.

Mais revenons à Deville. En 1851, Balard, appelé au Collège de France, laissait vacante la place de maître de conférences à l'École normale, où il avait inauguré un enseignement vraiment, scientifique de la chimie. Deville fut appelé à lui succéder. Il y arrivait plein d'ardeur, sans se préoccuper de l'extrême modicité du traitement attaché à ces fonctions (1), quoiqu'à cette époque des revers de fortune et les charges d'une famille croissante eussent pu faire à d'autres, moins énergiques et moins désintéressés que lui, une loi de conserver une position plus lucrative. Quelques années plus tard, il avait installé à l'École normale le grand laboratoire qu'il a rendu célèbre par tant de travaux, où il a fait école, et qui a été le premier établissement de ce genre que nous ayons eu en France, alors que l'Allemagne avait déjà doté depuis longtemps les universités de ses petites villes d'immenses laboratoires et de puissants instruments de travail. Aujourd'hui que les pouvoirs publics, mieux inspirés, pourvoient avec une sage libéralité aux besoins croissants de la science, on s'imagine difficilement les difficultés de toute espèce que Deville a eu à surmonter pour obtenir ses premiers instruments de travail, et pour arracher à l'admi

(1) Le traitement des maîtres de conférences de l'École normale a été longtemps de 3000 francs. Les dépenses du laboratoire pour les élèves, le maître et le préparateur ne dépassaient pas 1800 francs.

nistration d'alors un budget de laboratoire qui paraîtrait aujourd'hui dérisoire.

Plus tard, sa découverte de l'aluminium lui avait valu auprès du pouvoir une influence que peu de savants ont possédée, et qu'il avait toujours vue grandir, parce qu'il ne s'en était jamais servi dans un but personnel. Elle lui a permis peu à peu de vaincre la routine obstinée qui s'était toujours opposée à la création de ces grands laboratoires, dont l'utilité est universellement reconnue aujourd'hui, mais que demandaient en vain à cette époque les hommes les plus éminents de notre pays.

Le premier mémoire de Deville, au laboratoire de l'École normale, est relatif à un ensemble de combinaisons formées par les carbonates métalliques et les carbonates alcalins. Il est particulièrement intéressant par les méthodes d'analyse qu'il y emploie et qui lui permettent de doser d'une manière simple et exacte tous les éléments de ces composés.

La somme des poids de ces éléments doit nécessairement reproduire le poids de la matière employée, ce qui fournit contre toute erreur possible une vérification précieuse, qui manquait trop souvent aux déterminations analytiques. L'esprit rigoureux de Deville voulait introduire cette vérificatio n dans le dosage des silicates naturels ou artificiels, si nombreux et si importants. Mais il fallait changer absolument les méthodes jusqu'alors en usage, qui ne s'y prêtaient en aucune façon, et en imaginer de nouvelles. C'est ce qu'il fit avec un rare bonheur en créant cette méthode qu'il a désignée sous le nom de voie moyenne parce qu'elle emprunte ses procédés, partie à la voie sèche, partie à la voie humide. Autrefois, pour analyser un silicate (presque toujours inattaquable par les acides), on le fondait d'abord avec un carbonate de potasse ou de soude et l'on attaquait le verre ainsi obtenu par un acide, qui en dissolvait les oxydes métalliques et laissait la silice à l'état insoluble. La solution des oxydes était analysée par des précipitations successives. Ce procédé ne permettait pas de doser, dans les silicates, l'alcali du carbonate que l'on avait employé.

A. Laurent, en vue du dosage des alcalis, avait imaginé. d'attaquer les silicates par l'acide fluorhydrique en présence de l'acide sulfurique. La silice s'échappait, à l'état de fluorure de silicium gazeux, les alcalis restaient à l'état de sulfates solubles. Mais, même dans ce cas, on ne dosait dans la liqueur que la potasse, quand la matière contenait de la magnésie, car on n'avait à cette époque aucun procédé réellement commode de séparer la magnésie de la soude.

L'analyse des silicates était donc longue, difficile et incertaine; et si des chimistes tels que Vauquelin et Berzélius avaient heureusement surmonté toutes les difficultés par leur incomparable habileté, la complication de leurs méthodes était de nature à éloigner plus d'un chimiste de l'analyse minérale.

Deville, dans sa nouvelle méthode, fond le silicate à analyser avec de la chaux et dissout le produit dans l'acide azotique étendu; puis, par des calcinations ménagées et l'emploi exclusif de réactifs volatils ou destructibles par le feu sans résidu, il élimine successivement la silice, l'alumine et

le fer, la chaux et la magnésie, sous forme de précipités faciles à laver par décantation.

Les alcalis séparés des autres bases se dosent sans difficulté. La seule dérogation à l'emploi des réactifs volatils est la fusion avec la chaux, facile à éliminer dans le cours de l'analyse. Il devient alors aisé de s'assurer de l'exactitude des diverses séparations et de celle de l'analyse totale.

Ce travail, de la plus haute importance au point de vue de l'analyse, n'a pas été apprécié à sa juste valeur, à l'époque où il a paru. Plus d'un ami de Deville regrettait que l'auteur de la brillante découverte de l'acide azotique anhydre entrât si avant dans un ordre de recherches dont l'importance ne se justifiait pas par des résultats immédiats, comparables à ceux de ses premiers travaux.

Mais en l'engageant davantage dans la chimie minérale, elle lui avait montré tout ce qui restait à faire dans cette partie de la chimie que l'on croyait épuisée à cette époque. Deville avait bientôt pu se convaincre que, seules, les méthodes anciennes avaient usé leur puissance, mais que des méthodes nouvelles, convenablement appliquées, conduisaient à des résultats aussi importants qu'inattendus. A partir de 1854 se succèdent, en effet, ses mémorables recherches sur l'aluminium, sur le bore et le silicium; sur les métaux du platine et sur plusieurs métaux réfractaires, tels que le nickel, le cobalt, le chrome et le manganèse; sur la reproduction des espèces minérales, etc., qu'il a publiées soit seul, soit en collaboration avec l'illustre Wöhler, soit avec plusieurs des élèves qu'il a formés dans son laboratoire, Debray, Troost et Caron.

L'aluminium a été isolé par Wöhler en 1827. L'alumine qui est son oxyde n'étant pas décomposée par le charbon comme son isomorphe l'oxyde de fer, il a fallu pour isoler le métal passer par le chlorure, qu'Erstedt était parvenu à préparer par l'action simultanée du chlore et du charbon sur l'alumine, et décomposer ce chlorure par les métaux alcalins. Cette découverte de Wöhler, comme celle des métaux alcalins de H. Davy, fait époque dans l'histoire de la chimie, car la méthode qu'il a inventée a permis en effet d'isoler tous les métaux terreux qui avaient résisté jusque-là aux anciennes méthodes.

Mais le métal ainsi isolé était une poudre très altérable à cause de son état d'extrême division et aussi parce qu'elle était mélangée avec du potassium ou même du chlorure d'aluminium en excès. On n'avait donc jamais pensé qu'on pût jamais tirer parti d'une telle matière.

En 1845, Wöhler était revenu sur cette préparation et en opérant sur des masses plus considérables, il avait obtenu de petits globules manifestement métalliques, mais dont il n'avait pas étudié suffisamment les propriétés particulières. Le second travail de Wöhler n'apportant dans la question aucun élément essentiel nouveau avait peu frappé les chimistes.

Deville ignorait, comme beaucoup d'autres chimistes, ce dernier travail de son prédécesseur. D'ailleurs, cette circonstance n'aurait eu aucune influence sur le cours des choses, car il ne cherchait point l'aluminium, pour tirer un parti

villes de province. Mais la principale difficulté était de trouver un personnel enseignant parmi les savants peu nombreux qui consentaient à quitter Paris. Il fallait de toute nécessité recourir à de jeunes talents, Thénard, qui administrait, avec autant de discernement que de justice, les sciences physiques au conseil supérieur de l'Université, se connaissait en chimistes; il envoya Henri Sainte-Claire Deville, déjà docteur és sciences et docteur en médecine, à Besançon, en qualité de doyen, en lui donnant des collègues tels que le regretté Delesse et M. Puiseux, jeunes et pleins d'avenir comme lui, et qui sont devenus plus tard ses confrères à l'Académie.

Le jeune doyen (il avait alors vingt-six ans) allait bientôt voir sa science mise à l'épreuve pour la solution d'une de ces questions délicates qui intéressent à un haut degré l'hygiène de nos grandes villes. Il s'agissait d'analyser les eaux du Doubs et des sources voisines de la ville de Besançon, pour juger de leur valeur au point de vue de l'alimentation publique. Ses études ne l'avaient pas préparé à de telles recherches. La chimie organique n'emploie, en effet, que des méthodes simples et peu nombreuses pour le dosage des éléments des corps qu'elle étudie. La véritable difficulté de ces recherches et elle est très grande - consiste à dégager dans un état de pureté suffisant les combinaisons que l'on veut analyser, des mélanges souvent complexes qui se produisent dans les opérations où elles se sont formées. Au contraire, en chimie minérale, une substance parfaitement définie et de composition relativement simple, peut être très difficile à analyser par le défaut de méthodes propres à séparer les éléments qui la constituent. En fait, l'analyse minérale est un métier difficile et ingrat, cependant indispensable à apprendre pour quiconque veut aborder avec succès l'étude des composés miné

raux!

C'est ce que Deville avait admirablement compris, et il n'était pas homme à reculer devant les difficultés d'un tel apprentissage. Non seulement il traitait, suivant les désirs du conseil municipal de Besançon, la question particulière soumise à son examen; mais, dans un beau mémoire publié en 1847 « sur la composition des eaux potables », il faisait connaître une méthode, nouvelle en plusieurs points, d'analyse des eaux des fleuves et des sources, et démontrait en même temps, de la façon la plus précise, la présence constante dans ces eaux de la silice et des azotates alcalins qu'on n'y avait signalés jusqu'alors que dans quelques circonstances particulières. C'est une observation dont la grande importance, au point de vue de l'action fertilisante des eaux, a été mise en relief par M. Boussingault.

Dans le cours de ces longues et patientes recherches, Deville avait eu l'occasion de réfléchir longuement aux difficultés et aux lenteurs de l'analyse minérale, et il s'était préoccupé d'y remédier, sinon d'une manière générale, au moins en ce qui concerne l'analyse des principaux minéraux qui composent l'enveloppe solide de notre globe. La première condition, et l'on peut dire la seule indispensable d'une méthode de recherches, c'est l'exactitude. Henri Sainte-Claire Deville ne l'a jamais oublié; mais ce qui caractérise celles qu'il a imaginées, c'est la réunion de l'exactitude, de l'élé

gance et de la rapidité. Mais les essais commencés dans cette voie à Besançon ne furent menés à bonne fin que quelques années plus tard, dans son laboratoire de l'École normale; nous y reviendrons tout à l'heure.

C'est en 1849 qu'il a réalisé, dans son laboratoire de Besançon, la préparation de l'acide azotique anhydre. Ce travail a eu sur sa vie scientifique la plus heureuse influence : il mérite à tous égards de nous arrêter un instant.

L'acide azotique et tous les acides monobasiques, c'està-dire ceux qui ne donnent avec les bases qu'une seule espèce de sels, n'avaient jamais pu être obtenus à l'état anhydre, tandis qu'il est facile d'obtenir à cet état les acides donnant plusieurs espèces de sels, tels que les acides sulfurique, phosphorique, etc. Cette propriété de ne former qu'une seule espèce de sels avait-elle pour conséquence nécessaire de rendre leur déshydratation impossible? Gerhardt et d'autres chimistes le pensaient alors. Mais Henri Sainte-Claire Deville a toujours été peu sensible aux arguments purement théoriques, souvent contestables, et par une réaction simple bien connue des chimistes (l'action du chlore sur l'azotate d'argent bien desséché), mais dont l'exécution exigeait une incomparable habileté, il isolait l'acide azotique anhydre en cristaux aussi beaux que ceux du sucre candi.

Gerhardt, amené par cette découverte à modifier ses vues théoriques et à doubler la formule des acides anhydres monobasiques, avait, quelques années après, la gloire d'imaginer une méthode générale de préparation des acides monobasiques de la chimie organique, tels que les acides acétique et benzoïque, que la méthode de Deville ne permettait pas d'obtenir à cause des réactions secondaires du chlore.

Mais revenons à Deville. En 1851, Balard, appelé au Collège de France, laissait vacante la place de maître de conférences à l'École normale, où il avait inauguré un enseignement vraiment, scientifique de la chimie. Deville fut appelé à lui succéder. Il y arrivait plein d'ardeur, sans se préoccuper de l'extrême modicité du traitement attaché à ces fonctions (1), quoiqu'à cette époque des revers de fortune et les charges d'une famille croissante eussent pu faire à d'autres, moins énergiques et moins désintéressés que lui, une loi de conserver une position plus lucrative. Quelques années plus tard, il avait installé à l'École normale le grand laboratoire qu'il a rendu célèbre par tant de travaux, où il a fait école, et qui a été le premier établissement de ce genre que nous ayons eu en France, alors que l'Allemagne avait déjà doté depuis longtemps les universités de ses petites villes d'immenses laboratoires et de puissants instruments de travail.

Aujourd'hui que les pouvoirs publics, mieux inspirés, pourvoient avec une sage libéralité aux besoins croissants de la science, on s'imagine difficilement les difficultés de toute espèce que Deville a eu à surmonter pour obtenir ses premiers instruments de travail, et pour arracher à l'admi

(1) Le traitement des maîtres de conférences de l'École normale a été longtemps de 3000 francs. Les dépenses du laboratoi re pour les élèves, le maître et le préparateur ne dépassaient pas 1800 francs.

nistration d'alors un budget de laboratoire qui paraîtrait aujourd'hui dérisoire.

Plus tard, sa découverte de l'aluminium lui avait valu auprès du pouvoir une influence que peu de savants ont possédée, et qu'il avait toujours vue grandir, parce qu'il ne s'en était jamais servi dans un but personnel. Elle lui a permis peu à peu de vaincre la routine obstinée qui s'était toujours opposée à la création de ces grands laboratoires, dont l'utilité est universellement reconnue aujourd'hui, mais que demandaient en vain à cette époque les hommes les plus éminents de notre pays.

Le premier mémoire de Deville, au laboratoire de l'École normale, est relatif à un ensemble de combinaisons formées par les carbonates métalliques et les carbonates alcalins. Il est particulièrement intéressant par les méthodes d'analyse qu'il y emploie et qui lui permettent de doser d'une manière simple et exacte tous les éléments de ces composés.

La somme des poids de ces éléments doit nécessairement reproduire le poids de la matière employée, ce qui fournit contre toute erreur possible une vérification précieuse, qui manquait trop souvent aux déterminations analytiques. L'esprit rigoureux de Deville voulait introduire cette vérificatio n dans le dosage des silicates naturels ou artificiels, si nombreux et si importants. Mais il fallait changer absolument les méthodes jusqu'alors en usage, qui ne s'y prêtaient en aucune façon, et en imaginer de nouvelles. C'est ce qu'il fit avec un rare bonheur en créant cette méthode qu'il a désignée sous le nom de voie moyenne parce qu'elle emprunte ses procédés, partie à la voie sèche, partie à la voie humid e. Autrefois, pour analyser un silicate (presque toujours inattaquable par les acides), on le fondait d'abord avec un carbonate de potasse ou de soude et l'on attaquait le verre ainsi obtenu par un acide, qui en dissolvait les oxydes métalliques et laissait la silice à l'état insoluble. La solution des oxydes était analysée par des précipitations successives. Ce procédé ne permettait pas de doser, dans les silicates, l'alcali du carbonate que l'on avait employé.

A. Laurent, en vue du dosage des alcalis, avait imaginé d'attaquer les silicates par l'acide fluorhydrique en présence de l'acide sulfurique. La silice s'échappait, à l'état de fluorure de silicium gazeux, les alcalis restaient à l'état de sulfates solubles. Mais, même dans ce cas, on ne dosait dans la liqueur que la potasse, quand la matière contenait de la magnésie, car on n'avait à cette époque aucun procédé réellement commode de séparer la magnésie de la soude.

L'analyse des silicates était donc longue, difficile et incertaine; et si des chimistes tels que Vauquelin et Berzélius avaient heureusement surmonté toutes les difficultés par leur incomparable habileté, la complication de leurs méthodes était de nature à éloigner plus d'un chimiste de l'analyse minérale.

Deville, dans sa nouvelle méthode, fond le silicate à analyser avec de la chaux et dissout le produit dans l'acide azotique étendu; puis, par des calcinations ménagées et l'emploi exclusif de réactifs volatils ou destructibles par le feu sans résidu, il élimine successivement la silice, l'alumine et

le fer, la chaux et la magnésie, sous forme de précipités faciles à laver par décantation.

Les alcalis séparés des autres bases se dosent sans difficulté. La seule dérogation à l'emploi des réactifs volatils est la fusion avec la chaux, facile à éliminer dans le cours de l'analyse. Il devient alors aisé de s'assurer de l'exactitude des diverses séparations et de celle de l'analyse totale.

Ce travail, de la plus haute importance au point de vue de l'analyse, n'a pas été apprécié à sa juste valeur, à l'époque où il a paru. Plus d'un ami de Deville regrettait que l'auteur de la brillante découverte de l'acide azotique anhydre entrât si avant dans un ordre de recherches dont l'importance ne se justifiait pas par des résultats immédiats, comparables à ceux de ses premiers travaux.

Mais en l'engageant davantage dans la chimie minérale, elle lui avait montré tout ce qui restait à faire dans cette partie de la chimie que l'on croyait épuisée à cette époque. Deville avait bientôt pu se convaincre que, seules, les méthodes anciennes avaient usé leur puissance, mais que des méthodes nouvelles, convenablement appliquées, conduisaient à des résultats aussi importants qu'inattendus. A partir de 1854 se succèdent, en effet, ses mémorables recherches sur l'aluminium, sur le bore et le silicium; sur les métaux du platine et sur plusieurs métaux réfractaires, tels que le nickel, le cobalt, le chrome et le manganèse; sur la reproduction des espèces minérales, etc., qu'il a publiées soit seul, soit en collaboration avec l'illustre Wöhler, soit avec plusieurs des élèves qu'il a formés dans son laboratoire, Debray, Troost et Caron.

L'aluminium a été isolé par Wöhler en 1827. L'alumine qui est son oxyde n'étant pas décomposée par le charbon comme son isomorphe l'oxyde de fer, il a fallu pour isoler le métal passer par le chlorure, qu'Erstedt était parvenu à préparer par l'action simultanée du chlore et du charbon sur l'alumine, et décomposer ce chlorure par les métaux alcalins. Cette découverte de Wöhler, comme celle des métaux alcalins de H. Davy, fait époque dans l'histoire de la chimie, car la méthode qu'il a inventée a permis en effet d'isoler tous les métaux terreux qui avaient résisté jusque-là aux anciennes méthodes.

Mais le métal ainsi isolé était une poudre très altérable à cause de son état d'extrême division et aussi parce qu'elle était mélangée avec du potassium ou même du chlorure d'aluminium en excès. On n'avait donc jamais pensé qu'on pût jamais tirer parti d'une telle matière.

En 1845, Wöhler était revenu sur cette préparation et en opérant sur des masses plus considérables, il avait obtenu de petits globules manifestement métalliques, mais dont il n'avait pas étudié suffisamment les propriétés particulières. Le second travail de Wöhler n'apportant dans la question aucun élément essentiel nouveau avait peu frappé les chimistes.

Deville ignorait, comme beaucoup d'autres chimistes, ce dernier travail de son prédécesseur. D'ailleurs, cette circonstance n'aurait eu aucune influence sur le cours des choses, car il ne cherchait point l'aluminium, pour tirer un parti

pratique quelconque de ses propriétés, mais bien pour s'en servir à la production d'un protoxyde d'aluminium, qu'il royait pouvoir exister dans la nature minérale au même titre que le protoxyde de fer. L'aluminium qu'il voulait préparer, par sa réaction ultérieure sur le chlorure ordinaire, devait donner le protochlorure, d'où il pensait dériver les autres composés de protoxyde d'aluminium.

Mais ce protochlorure ne se produisit pas dans ses expériences, et il obtint, au milieu d'une masse de chlorure double d'aluminium et de potassium, très fusible et volatile au rouge, de beaux globules d'une substance brillante, ductile et malléable et d'une légèreté inconnue chez les métaux susceptibles d'applications usuelles. Chose singulière, ce métal tiré d'un oxyde tellement stable, qu'on n'avait pu le décomposer que par des méthodes détournées, était difficileinent oxydable, à ce point qu'on pouvait le fondre dans un moufle sans l'oxyder. L'acide azotique l'attaquait à peine, mais l'acide chlorhydrique et la potasse le dissolvaient facilement avec dégagement d'hydrogène.

L'argile, qui est une des matières les plus abondantes de la nature, se trouvait donc contenir le quart environ de son poids, d'un métal aussi léger que la porcelaine, et d'une inaltérabilité bien plus grande que celle des métaux communs. Ces propriétés, signalées pour la première fois, donnaient à sa découverte une importance particulière. Les métaux jouent par eux-mêmes et par leurs alliages un rôle si important dans le développement de l'industrie (et on peut dire de la civilisation) que ce sera toujours une grande gloire que d'ajouter un nouveau corps à la liste des métaux utiles. Mais pour acquérir cette gloire, il fallait produire l'aluminium en grand, à un prix raisonnable. Incité de divers côtés, encouragé par le chef de l'État, craignant de voir passer en d'autres mains l'honneur de sa découverte, Henri SainteClaire se mit aussitôt à la recherche de procédés économiques de préparation de l'aluminium.

La tâche était particulièrement difficile; il fallait toute son activité et sa merveilleuse habileté pour la mener à bien. On ne peut isoler ce métal de certaines de ses combinaisons, chlorure et fluorure, que par les métaux alcalins, et au moment où Henri Sainte-Claire Deville entreprenait ses recherches, le seul métal alcalin bien connu, le potassium, coûtait 900 francs le kilogramme; il était en outre d'un maniement dangereux et ne donnait en aluminium qu'un faible rendement.

Le premier kilogramme de ce métal a coûté certainement plus de 30 000 francs. Aujourd'hui, l'aluminium est descendu à un prix inférieur à 100 francs, qui lui assure, ainsi qu'à son alliage, le bronze d'aluminium, une consommation certaine et de plus en plus grande dans la mécanique de précision; le potassium est remplacé par le sodium, plus facile à préparer et produisant le même effet chimique que le potassium, sous un poids moindre avec un prix peu élevé (10 francs le kilogramme).

Par ce perfectionnement considérable dans la préparation du sodium, Deville a rendu aux chimistes un immense service. Ils ont pu, depuis cette époque, effectuer avec ce puis

sant réactif une foule d'opérations qui ont eu sur la marche de la science une heureuse influence.

Ce n'est pas le seul service que la préparation industrielle de l'aluminium ait rendu à la science. C'est avec ce métal que Deville a isolé le silicium et le bore sous leur forme adamantine, ce qui a complété heureusement les analogies physiques de ces corps avec le charbon. L'étude plus approfondie du silicium et surtout les travaux de M. Friedel ont également complété leurs analogies chimiques.

Nous n'entrerons ici dans aucun détail sur ces travaux : nous rappellerons seulement, pour montrer que chez Deville le caractère était à la hauteur du talent, que les recherches sur le bore ont été publiées en collaboration avec Wöhler dont il était devenu l'ami à la suite de sa découverte des propriétés de l'aluminium (1).

Ses recherches sur le platine et ses congénères qui ont suivi de près son grand travail sur l'aluminium ont été exécutées en commun avec son élève M. Debray. Elles ont été reprises plus tard à l'occasion des travaux de la commission du mètre qui a adopté, pour la confection des étalons de mesure et de poids, l'alliage de platine et d'iridium, à 10 pour 100 de ce dernier, à raison de son inaltérabilité et de ses précieuses qualités physiques. Ce long et pénible travail a eu non seulement pour but la fusion du platine et de ses alliages, mais la préparation à l'état de pureté des six métaux qui entrent dans la mine de platine, dans l'osmiure d'iridium et aussi l'analyse des alliages naturels ou artificiels, et des résidus de toute espèce par des méthodes nouvelles et plus certaines que les anciennes. On se convaincra facilement du progrès réalisé, si l'on remarque que le platine, l'iridium et l'osmium, qui sont les plus lourds des métaux connus, ont pris dans ces recherches des densités bien plus considérables que celles obtenues jusqu'alors, ce qui montre qu'on en a mieux éliminé les métaux relativement légers, palladium, rhodium et ruthénium.

L'osmium ne peut être confondu avec aucun autre élément, puisqu'il donne un acide volatil à 100°, facile à séparer des autres métaux par une simple ébullition de la dissolution qui les contient. Le métal qu'on en retire est le plus lourd de tous les corps connus; sa densité est 22,447.

Après lui vient l'iridium (D = 22,38) qu'il est facile de séparer absolument du platine en fondant le platine iridié avec du plomb dans lequel l'iridium cristallise. Ces cristaux sont insolubles dans l'eau régale et se séparent facilement du platine par ce réactif. L'iridium est si peu fusible qu'il ne peut

(1) On avait essayé en Allemagne, à cette époque, d'indisposer Wohler contre Deville, que l'on accusait de n'avoir pas cité le deuxième mémoire de son prédécesseur. J'ai dit la raison de cet oubli. J'ajouterai que l'idée de méconnaître les droits de Wohler était si loin de son esprit honnête et généreux, que sa première pensée, quand il eut constaté la malléabilité du métal, fut de faire frapper une médaille d'aluminium, sur laquelle seraient gravés la date de la découverte de cet élément (1827) et le nom de l'inventeur. Cette pensée, il l'a réalisée aussitôt qu'il eut préparé le métal nécessaire. C'est de l'époque de la réception de cet envoi que date l'amitié mutuelle de ces deux grands chimistes, qui se sont, au grand profit de la science, rencontrés sur le même terrain.

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